La paix est l’œuvre de la justice

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Le successeur de Pierre, François, rencontre le Patriarche orthodoxe Bartholomée, à Istanbul, 30 novembre, en la fête liturgique de saint André, patron de l’Eglise de Constantinople. Les deux hommes ont à cœur de construire l’unité des chrétiens d’Orient et d’Occident, comme ils l’ont montré ensemble au mois de mai dernier lors de la prière œcuménique au Saint-Sépulcre de Jérusalem. Saint Pierre et saint André sont frères de sang, et ils ont en commun d’avoir subi le martyre et d’être morts crucifiés, comme le Christ… Si Pierre est le Premier – « princeps » – des apôtres, André est le Premier appelé, ou « protocletos ». L’Ukraine, épicentre de grandes tensions internationales, le considère comme le premier évangélisateur de Kiev, et la Russie actuelle a rétabli la croix de saint André sur les pavillons de ses navires de guerre, comme le faisaient autrefois les marins du tsar. Nous sommes donc, avec ce voyage du Pape en Turquie, au cœur de grands enjeux spirituels, mais aussi stratégiques. Sur fond de nouvelle guerre froide pour le contrôle des matières premières et des zones d’influence, le conflit régional, près de à la frontière turque, entretenu par le soi-disant Etat Islamique en Irak et en Syrie – l’ISIS – attise les divisions entre croyants des trois religions monothéistes, et le Pape aura à ce propos une parole très attendue, notamment par les autorités musulmanes qui se démarquent de la barbarie terroriste. « Nous affirmons avec clarté que l’Islam ne suggère jamais la violence et la férocité », déclare avec fermeté le Grand Mufti de Turquie, Mehmet Gormez, à la veille de l’arrivée du Saint-Père.
« Je vous invite tous à prier pour que cette visite de Pierre à son frère André porte des fruits de paix, de sincère dialogue entre les religions et de concorde dans la nation turque », a demandé François aux pèlerins présents sur la place Saint-Pierre lors de l’audience de mercredi dernier. Il revenait d’un très court voyage à Strasbourg, le plus court dans l’histoire des voyages pontificaux, où il s’est adressé avec un immense succès aux représentants des institutions européennes. Devant le Parlement européen il a dénoncé avec l’audace de la foi les « politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent les conflits », notamment au Moyen-Orient, précisant combien « il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets ». Avec les accents de Pie XII, dont la devise était « Opus justicae pax», « la paix est l’œuvre de la justice » (Isaïe 32, 17), François appelle à « reconnaître dans l’autre non un ennemi à combattre, mais un frère à accueillir », comme il l’a fait mardi au Conseil de l’Europe, « pour éviter que ce qui est arrivé durant les deux guerres mondiales du siècle dernier ne se répète »… Dans l’avion qui le ramenait à Rome, répondant aux journalistes, il a même osé stigmatiser les Etats qui s’arrogent le droit de massacrer des innocents sous prétexte de tuer des terroristes, dénonçant à ce propos « la menace du terrorisme d’Etat », et soulignant que stopper un agresseur injuste ne peut se faire qu’avec le consensus international. Il met ainsi davantage encore sa vie en danger, mais ne craint rien puisqu’il l’a déjà donnée.

La dignité transcendante de l’homme

Sur ce thème central de « la pression d’intérêts » qui manipule la liberté des peuples, il s’est exprimé avec force à Strasbourg, parlant d’un « défi historique » pour l’Europe. « Maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus », a-t-il courageusement martelé. En ce sens, les deux discours du Pape au Parlement et au Conseil de l’Europe, visaient à encourager leurs membres à « prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes », au nom de « la dignité transcendante de l’homme ». Ses mots ont conquis les représentants des institutions européennes, de droite à gauche et de l’Est à l’Ouest, car ils se fondent sur « une écologie humaine, faite du respect de la personne ». À l’Europe « grand-mère », « fatiguée », « pessimiste », « blessée », « effrayée » et « repliée sur elle-même », François réouvre l’avenir en la ramenant vers ses racines fécondes. Il a commenté pour cela une fresque de Raphaël, dite Ecole d’Athènes (notre photo), où Platon montre le ciel, le monde des idées, et Aristote la terre, la réalité concrète. « Cela me paraît être une image qui décrit bien l’Europe et son histoire, faite de la rencontre continuelle entre le ciel et la terre, où le ciel indique l’ouverture à la transcendance, à Dieu, qui a depuis toujours caractérisé l’homme européen, et la terre qui représente sa capacité pratique et concrète à affronter les situations et les problèmes », précisa-t-il. S’appuyant ainsi sur l’histoire bimillénaire du Vieux Continent, il a considéré que « l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables », plaidant contre « l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, d’exploiter », cette « globalisation de l’indifférence qui naît de l’égoïsme » et qui produit la « culture du déchet ». Prenant la défense des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, des enfants tués avant de naître, et aussi des migrants, de tous ceux qui meurent de faim, ou qui n’ont plus de travail, le Saint-Père a exhorté l’Europe a redécouvrir sa « bonne âme » pour « prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité ».

Premier pape venu d’Amérique latine, François continue à nous faire sortir de nos schémas idéologiques étroits et partisans, il refuse les « étiquettes » qui sont réservées aux insectes – comme il l’a dit avec humour dans l’avion au retour de Strasbourg – et la standing ovation que lui ont réservé les membres du Parlement et du Conseil de l’Europe prouve à quel point il est devenu comme la conscience de l’humanité nouvelle, la guidant à distinguer le bien du mal, et redonnant au monde de ce temps « la boussole inscrite dans nos cœurs et que Dieu a imprimée dans l’univers créé » (1).

(1) Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise – n°37 – cité par le Pape au Parlement européen le 25 novembre 2014.

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