« Enfants d’Abraham, juifs, chrétiens et musulmans, apprenons à mieux nous connaître ! »

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Le film « Reste un peu » de Gad Elmaleh, sorti au cinéma le 16 novembre, s’était hissé à la 5ème place du box-office dès sa deuxième semaine d’exploitation, avec près de 300 000 entrées en France, pays laïc où la foi ne s’exprime habituellement pas dans le domaine public. Le succès du film ne s’est pas démenti ensuite, au cours du mois de décembre, le bouche à oreille ayant fonctionné bien au-delà des cercles catholiques. Il s’agit d’un phénomène, car le célèbre humoriste français, comparable à Roberto Benini en Italie, témoigne de son cheminement spirituel vers la foi chrétienne et de son admiration pour l’Eglise catholique, alors qu’il est de confession juive. Dans cet entretien exclusif paru dans l’hebdomadaire italien Famiglia Cristiana, l’acteur et réalisateur commente les réactions à son film et revient sur son histoire d’amour avec la Vierge Marie, qui débuta par une rencontre mystérieuse avec elle quand il était enfant, à Casablanca, au Maroc, son pays natal.

. Gad, dans le film « Reste un peu » vous revenez des Etats Unis et vos parents, qui vous accueillent chez eux à Paris, découvrent votre conversion au catholicisme… Comment ce « coming out spirituel » est-il reçu par le public en France ?

Des échanges ont lieu après les projections, un peu partout, et quand les gens ont vu le film ils saisissent généralement la subtilité de mon chemin spirituel. Une vraie discussion, un débat, a lieu avec des spectateurs juifs ou musulmans en particulier. C’est différent pour ceux qui ont entendu parler du film, ils commentent et jugent trop vite, comme par exemple certains membres de la communauté juive qui ont eu des réactions un peu dures parce qu’ils ont considéré que cette histoire représentait un abandon de ma part à leur égard, mais ce n’est pas cela. Ce que propose mon chemin avec la Vierge Marie c’est une expérience généreuse et ouverte de dialogue fraternel et interreligieux. Récemment j’ai rencontré des jeunes juifs d’une association de scouts, l’échange était lumineux car chacun, grâce au film, a pu réfléchir sur son chemin personnel avec Dieu, ce cœur à cœur avec le Créateur qui dépasse l’appartenance religieuse.

. Avec ce film ne brisez-vous le tabou qu’une certaine laïcité intolérante impose aux croyants des différentes confessions, cherchant à enfermer leur foi dans le domaine privé ?

Je pense en effet qu’en France nous sommes trop crispés sur les questions de religion. Nous souffrons d’un manque de connaissance mutuelle et les grandes réunions vertueuses « œcuméniques » ne suffisent pas. Les catholiques ne connaissent pas profondément leurs frères et sœurs juifs ou musulmans, et vice versa. Je prêche pour que nous nous connaissions mieux, sans nous laisser impressionner par le discours intolérant d’une certaine laïcité envers le fait religieux. Le message de mon film est là : enfants d’Abraham, juifs, chrétiens et musulmans, apprenons à mieux nous connaître! Je veux pouvoir aller dans une église et que les catholiques puissent entrer dans une synagogue, que nous construisions un dialogue de frères en humanité, vécu, pas quelque chose d’académique, de théorique, un dialogue de la vie, dans l’esprit de Charles de Foucauld, le frère universel. J’étais présent à sa canonisation à Rome et c’est lui qui m’inspire.

. Dans le film qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Je me suis appuyé sur des faits réels, ce sont mes parents qui jouent leur rôle dans le film, ainsi que ma sœur et des amis… En revanche je n’ai pas fait de catéchuménat vers le baptême, cela a été scénarisé pour illustrer ce que je vis intérieurement, cet attrait pour le catholicisme que ma rencontre avec la Vierge Marie a suscité. Le baptême n’est pas une fin en soi, c’est le renouvellement quotidien de la foi qui compte, la conversion de tous les jours… « Je chemine », comme dit Mehdi-Emmanuel Djaadi, cet acteur musulman converti au catholicisme qui joue lui aussi dans mon film.

. Vous évoquez le cardinal Jean-Marie Lustiger dans votre film, l’ancien archevêque de Paris qui était lui aussi d’origine juive et avait reçu le baptême dans sa jeunesse. En quoi son exemple vous a-t-il marqué ?

Dans le film je cite le cardinal Lustiger, je dis même que le prénom chrétien que je voudrais prendre est le sien, Jean-Marie, en forme d’hommage. Le film se termine par une citation de lui où il explique que c’est en embrassant le christianisme qu’il a retrouvé ses racines juives. C’est ce message pour moi qui est fondamental et il n’a rien à voir avec le fameux « vivre ensemble » des hommes politiques… A Lourdes j’ai rencontré un juif qui m’a reconnu et m’a demandé ce que je faisais là, je lui ai répondu en lui posant la même question… et nous nous sommes souri. Dans la détresse, il poussait son enfant malade dans une chaise roulante, et avec sa femme, en venant à Lourdes, ils voulaient tout essayer pour sauver leur fils. Nous avons tous le droit aux grâces de Dieu que la Vierge Marie veut répandre, musulmans, juifs, pauvres, riches, débiles, fous, prisonniers, comiques… tous !

. Vous admirez aussi beaucoup Simone Weil, cette philosophe juive fascinée par le christianisme. Comment avez-vous entendu parler d’elle ?

J’ai lu un livre qui raconte la conversion de grands intellectuels juifs du XXème siècle, tels que Henri Bergson, Simone Weil, Edith Stein… et ce qui m’a intéressé ce sont les réactions dans leur milieu, de vrais séismes ! Edith Stein raconte par exemple que sa mère qui avait connu les pires moments atroces de la persécution contre les juifs, pleura devant elle une seule fois, quand elle a vu sa fille entrer au couvent pour devenir l’épouse du Christ. Ce que je raconte dans mon film c’est la réalité du désaccord de mes parents, c’est la vraie histoire qui me fait renoncer au baptême par amour pour eux, une histoire qui n’est pas finie. Mon film commence avec une porte qui s’ouvre, je pense que dans ma vie une autre porte s’ouvrira. La suite du film, le « deux », se passera peut-être à Jérusalem, qui sait ?

. Vous avez le même sang que le fils de la Vierge Marie qui coule dans vos veines, le sang du peuple élu. Qui est le Christ pour vous ?

Les gens sont perplexes parce que je parle très peu de Jésus, mais en fait là où est la Vierge Marie, il est là aussi. Elle le porte et lui donne vie, elle continue à lui donner vie spirituellement pour que devenions tous des frères, enfants de Dieu, fils de Dieu. Je m’exprime peu au sujet de Jésus car je ne comprends pas encore le mystère de la Trinité, mais faut-il comprendre pour croire ? Dans la Torah, le Pentateuque, l’ensemble des cinq premiers livres de la Bible, il est écrit en substance que c’est quand on agit que l’on comprend, alors faisons et avançons, dans la foi ! Je lis en ce moment une biographie de Jésus, écrite par Jean-Christian Petitfils, et le Christ vient à moi comme un ami. Moi qui ai étudié les commentaires de la Torah dans les écoles talmudiques, je reconnais en Jésus non seulement un rabbin mais un juif accompli. Dieu est tellement patient avec nous, c’est lui qui a l’initiative, alors laissons-le agir. Respectons les étapes qu’il fixe.

. Vous nous avez parlé du Christ, que vous découvrez, mais dans le film, le cœur de votre expérience c’est la rencontre avec la Vierge Marie. Que s’est-il passé avec elle ? Pourquoi l’aimez-vous tellement ?

Je crois qu’il faut renaître au cours de cette vie et, sans bien comprendre, moi je sens par intuition qu’il faut renaître de Marie et devenir un frère universel. Elle est venue chercher un petit gamin juif dans un pays arabe, elle n’est pas allé chercher quelqu’un dans une église, elle est venue à moi et elle m’aime d’un amour fou, sans me forcer à rien. Mes copains disent que c’est l’image maternelle, ils disent ce qu’ils veulent et ils on raison après tout, mais en fait Marie est venue sur mon chemin, c’est ainsi, je l’ai vue quand j’étais enfant à Casablanca et elle m’accompagne depuis lors. Elle représente la gratuité de l’amour de Dieu, la force de la bonté de Dieu, la valeur infinie de notre cœur uni à celui de Dieu. Quand je suis allé chez les moines faire une retraite j’ai cherché leur secret, et j’ai trouvé que le secret c’est dans le cœur, un cœur qui aime concrètement, dans les actes posés. Vous voyez, à la fin, comme j’essaie de le montrer dans le film et comme la Vierge Marie le révèle à Bernadette à Lourdes, la véritable spiritualité c’est de reconnaître le Christ dans le pauvre, en celui qui souffre, à commencer par nous-mêmes, dans nos limites aussi.

. Saint Charles de Foucauld, que vous aimez beaucoup, a posé des actes de solidarité, allant vivre au désert avec les plus lointains ; est-ce que votre chemin spirituel vous conduit aussi à cela?

J’ai découvert cette dimension de la foi qui devient service d’amour à Lourdes, auprès des personnes malades ou handicapées. Dans mon film, je raconte ma rencontre avec Raymond – qui s’appelle Guy en réalité -, un vieil homme malade et non croyant, que je visite et auquel je lave les pieds. Cet homme, qui joue lui aussi son propre rôle, est maintenant parti pour l’autre vie et mon film lui est dédié. Le don total de soi, le don du cœur et du temps, de l’argent, voilà la vraie foi incarnée que je veux mettre en lumière ! Faire des donations c’est bien, j’en fais bien sûr, mais c’est de soi qu’il faut donner. Quand j’ai vu l’image du Pape François lavant les pieds des prisonniers lors du Jeudi saint, j’ai désiré faire comme lui, c’est-à-dire servir. Je ne sais rien du Pape que je n’ai pas eu la joie de rencontrer encore, mais son exemple de chrétien qui met sa foi en pratique illumine mes pas sur le chemin. C’est cette culture du don que j’aimerais transmettre à mes enfants.

. Que diriez-vous à un enfant de couple mixte, dont le père et musulman et la mère chrétienne, qui ne sait pas quelle religion choisir ?

Je crois qu’il faut transmettre les deux traditions afin que l’enfant puisse grandir librement et choisir au moment voulu. C’est une erreur de dire que l’enfant choisira plus tard sans rien lui avoir transmis. Si cet enfant était mon fils, je lui raconterai le soir l’histoire de Charles de Foucauld, en lui montrant comment la manière de prier des musulmans l’a aidé à devenir un vrai chrétien, un priant, un homme de Dieu capable de se sentir frère de tous. C’est notre relation personnelle avec Dieu qui est importante, dans l’esprit de notre père Abraham.

. Qu’aimeriez dire au Pape ?

J’aimerais lui dire humblement que nous continuons à prier pour lui. Il faut que les juifs, les musulmans, le chrétiens, tous prient pour lui, parce qu’il est l’homme qui essaie avec amour de nous unir et de nous conduire au chemin la fraternité. C’est seulement ce chemin qui peut donner encore une espérance à l’humanité.

Propos recueillis par François Vayne

(Gad a eu la joie de rencontrer le Saint-Père, suite à cet entretien, le 23 décembre 2022).

2 Comments

  1. PELLETIER Gilles dit :

    Grand merci pour votre échange mis à la disposition de tous!
    Soyez assuré de ma prière pour votre travail et votre famille.
    Pere Gilles Pelletier, sv.

  2. Bel entretien généreux, dense et sans idées passe-partout. Le signe d’une vraie foi. Merci pour ces enseignements précieux

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