Albert Malcolm Ranjith, ou l’heure de l’Asie

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Le pape du mystère?
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L’archevêque de Colombo, à la tête d’une communauté catholique très minoritaire, est un « papabile » sérieux, même si il n’est pas la coqueluche des médias. Trois jours avant l’ouverture du conclave, il y avait d’ailleurs peu de journalistes présents à la messe dominicale célébrée par lui dans la paroisse romaine qui lui est attribuée, San Lorenzo in Lucina, non loin de la place d’Espagne, au cœur de la Ville éternelle. Et si les cardinaux, en créant la surprise, le choisissaient comme premier pape asiatique?L’homme d’Eglise, âgé de 65 ans, est réservé, intransigeant avec lui-même, profondément « ratzingérien », et en même temps proche des petits et des pauvres. Son expérience du tsunami en Asie il y a une dizaine d’années, quand il était nonce apostolique en Indonésie et au Timor, l’a profondément marqué. Il s’est alors beaucoup engagé aux côtés des victimes de ce drame, qui lui ont appris, concrètement, à ne jamais désespérer. « Tout n’est pas fini » disait-il dimanche 10 mars lors de son homélie, évoquant les problèmes de survie terribles auxquels sont confrontés des millions de personnes aujourd’hui dans le monde. « Notre Eglise doit donner l’espérance et la joie en ces temps de grande crise, sinon elle se trompe », ajoutait-il en citant le penseur Eric Fromm, auteur de « la révolution de l’espérance ». Parlant avec enthousiasme de « la miséricorde divine qui est au cœur du christianisme », le cardinal Ranjith semblait, à la veille du conclave, vouloir exprimer un message rempli de tendresse pour les personnes, lui qu’on présente à tort comme un grand inquisiteur asiatique, attaché de manière idéologique à la liturgie traditionnelle. En réalité, comme avant lui le cardinal Ratzinger, il est souvent jugé avant d’avoir été entendu. Pour eux la mauvaise interprétation du concile Vatican II a entraîné un relâchement de la discipline ecclésiastique, avec des « comportements inappropriés» qui ont conduit aux scandales des abus sexuels sur mineurs, par exemple. Ils sont persuadés qu’un retour à la prière régulière pour les prêtres, au bréviaire, et aux célébrations liturgiques soignées, va de pair avec un agir moral sans reproche, et avec une qualité de service pastoral vraiment désintéressé, donc fécond. Le concile Vatican II qu’ils défendent cinquante ans après l’évènement n’est pas le « concile virtuel », celui des médias comme disait Benoît XVI. Son disciple du Sri-Lanka sait faire entendre cela plus loin que la vieille Europe, dans les pays défavorisés où les vocations sacerdotales affluent et où s’écrit l’avenir de l’Eglise catholique…
Dans les milieux dits traditionalistes, parmi les jeunes de la génération Benoît XVI, le cardinal Ranjith est considéré comme le pape idéal pour l’Eglise qui vient, capable en effet de porter au-delà de l’Europe le trésor liturgique que le pontificat qui vient de s’achever a remis en lumière. L’avantage de ce pape sri-lankais serait sa couleur, et ses origines, puisqu’il permettrait de désolidariser la messe en latin des cercles européens pseudo-aristocratiques qui la discréditent en tentant de la phagocyter. Ce n’est pas par hasard que, dès le 10 décembre 2005, six mois après son élection pontificale, Benoît XVI rappelait Mgr Ranjith à Rome, faisant de lui le secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Il y a œuvé aux côtés du cardinal Francis Arinze, veillant à la bonne réception du Motu proprio Summorum Pontificum, destiné à libéraliser la messe en latin selon le rite de saint Pie V, demandant que l’on communie dans la bouche, en fidélité au vrai concile Vatican II, et non pas à ce que des groupes qualifiés de progressistes en ont fait, avec les conséquences désastreuses sur la pratique religieuse.
Le 16 juin 2009 l’homme de Rome en Asie était nommé archevêque de Colombo, avant d’être créé cardinal lors du consistoire du 20 novembre 2010 par le pape Benoît XVI, en vue peut-être de le désigner indirectement comme son possible successeur ? De son nom complet Albert Malcolm Ranjith Patabendige Don, l’archevêque de Colombo est né à Polgahawela, dans l’ex-Ceylan, le 15 novembre 1947, un an avant que le Sri-Lanka ne proclame son indépendance. Après ses études au collège de La Salle de Mutwal, il est entré au séminaire Saint-Aloysius de Borella, puis a poursuivi ses études au séminaire national d’Ampitiya. Il a ensuite intégré l’Université pontificale urbanienne de Rome, avant d’obtenir un baccalauréat en théologie, une licence en écriture sainte et un certificat en études bibliques à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il est polyglotte, à l’aise dans une dizaine de langues, dont le cingalais, le tamoul, l’hébreu, le grec, le bien sûr le latin… Ordonné prêtre le 29 juin 1975 par le pape Paul VI en personne, il a été nommé par Jean-Paul II évêque auxiliaire de Colombo le 17 juin 1991. Le 2 novembre 1995 il était transféré à Ratnapura, dont il devenait le premier évêque, dans une dynamique missionnaire qui le caractérise bien. Le 1er octobre 2001, fête de sainte Thérèse de Lisieux, il a rejoint la Curie romaine en tant que secrétaire adjoint de la puissante Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Le 29 avril 2004, il était nommé à Djakarta, comme nonce apostolique en Indonésie et au Timor oriental, où il resta peu de temps puisque Benoît XVI à peine élu le rappela à Rome. Cet administrateur hors pair serait parfaitement capable de réformer la Curie dont il connaît bien les rouages, et les hommes…
Depuis son retour au Sri-Lanka, comme archevêque de Colombo, il y a quatre ans, il a été critiqué pour avoir interdit les « prêcheurs laïcs » qui avaient une fâcheuse tendance au syncrétisme, dans ce pays qui compte seulement un million et demi de catholiques pour vingt millions d’habitants, essentiellement bouddhistes. Il s’engagea ensuite pour défendre le développement de son peuple, prenant la tête d’un lobby interconfessionnel demandant à l’Union européenne de rétablir la préférence commerciale dont bénéficiait le Sri Lanka, disposition qui avait été suspendue en raison des violations des droits de l’homme durant le conflit séparatiste des Tigres tamouls. Lui-même cingalais, accusé par les Tamouls de complaisance à l’égard du gouvernement, Mgr Ranjith a travaillé avec des évêques tamouls pour arracher des cessez-le-feu au plus fort des combats entre les rebelles et les forces armées régulières. « Notre rôle nous a valu des critiques d’extrémistes qui nous considéraient quasiment comme des traîtres, mais les gens de bonne volonté ont apprécié et continuent d’apprécier notre travail, et c’est tout ce qui compte », confie volontiers le cardinal Ranjith, homme modéré, et inclassable. « L’amour de la liturgie et l’amour des pauvres forment le compas qui a guidé ma vie de prêtre », témoigne-t-il, indiquant ne vouloir tomber dans aucun piège manichéen.
Ce jeune cardinal extra-européen, homme de tradition, ouvert au monde, pourrait bien créer la surprise de ce conclave 2013, ce qui ne serait pas pour déplaire à son maître spirituel, le pape émérite dont il saurait régulièrement prendre conseil.

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