« Fratelli tutti », tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ?

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Ma vie chrétienne fut décisivement marquée par une des premières Journées mondiales de la jeunesse, à Rome, autour de saint Jean Paul II. J’avais une vingtaine d’années et les mots de ce grand saint résonnent encore dans mon cœur : « Si vous connaissez le Père, vous êtes forts de la puissance même de la fraternité humaine ». Dans sa Lettre à tous les jeunes du monde à l’occasion de l’Année internationale de la jeunesse, en 1985, il précisait en effet que la prière du Seigneur, qui commence par les mots « Notre Père », révèle le Père et confirme en même temps que tous les hommes sont frères. « La prière du « Notre Père » éloigne les cœurs humains de l’inimitié, de la haine, de la violence, du terrorisme, des discriminations, des situations où la dignité humaine et les droits humains sont bafoués », ajoutait-il. Autrement dit, nous serons vraiment tous frères si nos cœurs s’ouvrent à la transcendance en reconnaissant la paternité de Dieu, « car il n’y a de frères que lorsqu’il y a un père. Et les hommes ne sont des frères que là où est le Père ».

Dans la nouvelle encyclique papale, intitulée « Fratelli tutti » (« Tous frères »), il me semble essentiel de relever cette référence fondamentale au Père sans laquelle les rêves de fraternité universelle ne seront jamais que des chimères. François cite à ce propos saint Jean Paul II : « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes » (Centesimus annus). Le Pape s’appuie également sur l’encyclique Caritas in veritate, de Benoît XVI, soulignant que « la raison, à elle seule, ne parvient pas à créer la fraternité ».

Nous sommes loin des commentaires répétitifs évoquant un « Evangile laïque » à propos du texte important que le Saint-Père est allé signer à Assise, le 3 octobre dernier. Seule la foi peut assurer une fraternité authentique entre tous les hommes et c’est de cela que nous avons à témoigner dans notre société matérialiste en voie de décomposition avancée.

François le rappelle clairement dans cette encyclique politiquement si mal interprétée : « Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres » (Fratelli tutti, n°72).

La récente encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale trop souvent présentée médiatiquement comme une sorte de « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » doit être lue et approfondie pour ce qu’elle est, une ode à l’amour de Dieu qui fonde le bonheur de l’humanité. D’ailleurs le Pape conclut Fratelli tutti en citant l’exemple exigeant du bienheureux Charles de Foucauld, qui « grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes ». François souligne enfin, évoquant en particulier les Méditations sur le Notre Père  de Charles de Foucauld : « Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes ». Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous. Que Dieu inspire ce rêve à chacun d’entre nous » (Fratelli Tutti, n°286-287).

Ce rêve des vrais croyants – devenir frère ou sœur de toutes les âmes – s’est incarné plus près de nous dans la personne d’un jeune adolescent mort à l’âge de 15 ans, Carlo Acutis, béatifié à Assise le 10 octobre, une semaine après la signature de l’encyclique dans la ville se saint François. « C’était un garçon normal, simple, il aimait la nature et les animaux, il jouait au football, il avait beaucoup d’amis de son âge, il était attiré par les moyens modernes de communication sociale, passionné d’informatique, autodidacte au point de construire des programmes pour transmettre l’Évangile », a dit avec admiration le cardinal qui présidait la béatification, présentant ce garçon comme « un phare de lumière ». Sa vie lumineuse était « totalement donnée aux autres, comme le Pain eucharistique ».« Jésus était pour lui un ami, un enseignant et un sauveur. Il était la force de sa vie et le but de tout ce qu’il faisait. Pour aimer son prochain et lui faire du bien, il est nécessaire de puiser l’énergie du Seigneur », a ajouté le célébrant, insistant beaucoup sur le fait que « Carlo ne s’est jamais replié sur lui-même, mais a pu comprendre les besoins et les exigences des personnes dans lesquelles il voyait le visage du Christ », certitude de sa vie qui l’a amené à avoir « une grande charité envers son prochain, en particulier envers les pauvres, les personnes âgées seules et abandonnées, les sans-abri, les handicapés et les personnes que la société a marginalisées et cachées ».

L’exemple eucharistique et fraternel du bienheureux Carlo, qui éclaire en profondeur le sens de l’encyclique du Pape François, ravive en nous la foi et le désir de vivre l’Evangile au quotidien, malgré les scandales à répétition, sexuels et financiers, qui n’en finissent pas d’obscurcir la vie de l’Eglise depuis Vatileaks. Après les horreurs commises sur des mineurs par des représentants du clergé catholique, voilà que sont révélées des pertes incroyables de fonds destinés au bien des fidèles… Un cardinal de la Curie romaine est gravement mis en cause, notamment en raison de sa confiance mal placée à l’égard d’une apprentie Mata Hari.

Mon espérance à moi, c’est que des baptisés laïcs, formés, compétents et honnêtes, puissent travailler librement aux réformes ecclésiales prévues il y a soixante-dix ans par le Concile Vatican II, non pas comme des auxiliaires d’un clergé omnipotent mais en tant que véritables partenaires, dans un esprit de fraternité capable de faire rayonner l’Evangile au cœur de la société. Nous en avons tous assez des discours-programme contredits par les faits et des opérations de communication qui sont comme des rideaux de fumée ; il est plus que temps d’accomplir cette réforme, à l’heure où tant de fidèles se méfient de leurs pasteurs et ne veulent plus rien donner à l’Eglise, rejoignant silencieusement les rangs désespérés du sécularisme et de l’individualisme.

La vie est compliquée, pourtant que la vie est belle ! Carlo, ce jeune de 15 ans élevé à la gloire des autels, témoigne que si la Sainte Eglise est faite de pécheurs, elle demeure riche en grâces ! Ne nous laissons pas voler l’espérance. Comme l’affirmait François au début de son pontificat, en 2013 à Castel Gandolfo, pour la fête de l’Assomption : « Qu’on ne nous vole pas l’espérance, parce que cette force est une grâce, un don de Dieu qui nous porte en avant, en regardant le ciel ».

 

 

 

3 Comments

  1. Jean Emmanuel Giraud-Heraud dit :

    Merci de nous partager cette belle lettre ..
    Dans ces moments particuliers il est important de nous recentrer sur l’essentiel.
    L’Amour du Père qui nous aime inconditionnellement
    en enfin que nous sommes tous Frères.
    meme si aujourd’hui nous sommes sous le choc.
    Union de prieres

  2. Andrée Vayne dit :

    Très vrai . Merci.

  3. … Pourtant … par Pensées … par Paroles et par Actions … Que Sa Volonté Soit FÊTE semble simple …
    Et quand Marie défait les nœuds …
    Il suffit d’Aimer …

    Mais quand cela semble si simple et de surcroît immmmmmmmmmmmmense……………
    nous avons dû mal à y croire et comme dit Bernadette : “Je ne suis pas chargée de vous le faire croire mais je vous le dire …”

    Et pourtant …

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