Le cardinal Pietro Parolin, légat du Pape à Lourdes ce 11 février, à l’occasion de la Journée mondiale du malade, m’a confié son témoignage en exclusivité pour le quotidien français Sud Ouest, dont je suis correspondant à Rome. Une partie de notre entretien se trouve dans ce journal en date du 10 février. Je vous propose ici l’intégralité de l’interview, après les célébrations vécues dans le sanctuaire international, au cours desquelles l’envoyé personnel de François a manifesté une grande sollicitude envers tous les pèlerins, prenant le temps de parler avec eux, très simplement, avant d’aller rendre visite, dimanche, au cardinal Roger Etchégaray dans sa maison de retraite de Cambo, au pays basque.
. Eminence, vous venez à Lourdes pour le 11 février, anniversaire de la première apparition de Marie à Bernadette et Journée mondiale du malade. Pour l’Eglise universelle, que représente ce haut-lieu spirituel dans le contexte du monde actuel ?
. Pour l’Eglise, Lourdes et son histoire, commencée avec la première apparition de la Vierge Marie à Ste Bernadette et composée avant tout d’histoires personnelles et des corps des malades, représentent un signe fort aux multiples facettes. Lourdes est, avant tout, un appel à « humaniser » le temps de la maladie. Dans le monde occidental, même la maladie a été socialement absorbée par la logique de la consommation. Il est vrai que les malades perdent les formes « normales » et « quotidiennes » de la consommation, mais ils compensent cette perte par le fait qu’ils deviennent – par l’entremise des structures sanitaires – des clients des industries pharmaceutiques et de l’industrie biotechnologique. Même en phase terminale, le malade ne cesse pas d’être un client : là encore, sa valeur sociale est maintenue, eu égard aux dépenses liées à la thérapie de la douleur. Lourdes et son histoire contestent cette compréhension de la personne du malade comme consommateur et client, et en dénoncent avant tout la partialité : si le malade n’a de la valeur qu’en tant que consommateur et client, dès lors qu’il ne le sera plus, il deviendra seulement un poids économique pour lequel il ne conviendra pas de dépenser des ressources financières, humaines et structurelles. Il sera, comme le rappelle souvent le Pape François, un « déchet » à jeter sans s’en soucier davantage. Dans le contexte occidental, Lourdes et son histoire représentent alors un défi ouvert, lancé avant tout à la culture, à la société, à l’économie et à la politique, car la qualité « humaine » du temps de la maladie et la valeur des corps des malades ne dépendent ni de leur utilité, ni de leurs capacités productives ou économiques.
. La révolution de la tendresse dont parle souvent le Pape François est mise en pratique à Lourdes tous les jours, notamment à travers le service des personnes malades. Le 11 février est une date symbolique à cet égard, d’ailleurs le Saint-Siège a choisi plusieurs fois cette date pour la signature de documents diplomatiques importants, comme les accords du Latran notamment. Comment définiriez-vous le lien spirituel entre Lourdes et Rome, pourquoi est-il si fort selon vous ?
. On pourrait bien remonter à la fin du XIX° siècle, pour situer le lien spirituel entre Lourdes et Rome, mais je voudrais partir seulement du Concile œcuménique Vatican II. Le Concile nous a rappelé que l’Eglise tout entière est appelée à la sainteté – comme Marie, l’Immaculée/la Toute-Sainte – et que la mesure de cette sainteté est la charité, vécue dans la justice et la vérité. La « révolution de la tendresse », véritable image-guide typique choisie par le Pape François comme paradigme de son ministère pétrinien, s’enracine dans ce lien indissoluble entre sainteté, justice, vérité, développement humain intégral et charité, et qui est la porte de l’Eglise. Ce lien, en effet, introduit dans la maison des croyants, en explique le sens, les dispositions, les traditions, le langage. Cependant, il fait aussi sortir de cette maison pour aller à la rencontre de toutes les personnes, les situations, les expériences et les histoires privées de sainteté, de justice, de vérité, de développement humain intégrale et de charité, afin qu’elles puissent en bénéficier par la grâce et la miséricorde de Dieu. La « révolution de la tendresse » est la forme actuelle par laquelle l’Evêque de Rome sert l’Eglise universelle, afin qu’elle soit à la hauteur du don qu’elle a reçu. L’Eglise peut et doit vivre cet appel avec la Vierge Immaculée et, comme elle, elle doit donner par son style voix aux sans-voix et visibilité à ceux qui n’en ont pas. C’est ce que le Pape François met en relief au n° 286 de l’Exhortation Apostolique Evangelii gaudium¨ : « Marie est celle qui sait transformer une grotte pour des animaux en maison de Jésus, avec de pauvres langes et une montagne de tendresse. » Dans la grotte de Lourdes, Bernadette d’abord, et le Peuple de Dieu ensuite, ont reconnu la présence de la Vierge Immaculée. Avec Marie, cette grotte destinée aux animaux, froide, humide et insalubre, s’est transformée en une maison où la fragilité, la maladie et même la mort ne sont ni enfermées ni immobilisées, mais sont au contraire enveloppées de la « montagne de la tendresse », qu’est le Père, de l’espérance de justice et de vie, qu’est le Fils, et de l’amour qu’est l’Esprit Saint. J’estime que c’est là le contexte, qui nous permet aujourd’hui d’établir non seulement le lien entre Lourdes et Rome, entre Lourdes et le Pape, entre Lourdes et l’Eglise universelle, mais aussi de comprendre pourquoi ce lien est si fort.
. Est-ce la première fois que vous vous rendez en pèlerinage à Lourdes ? Que demanderez-vous à la Vierge Marie dans votre prière et quel message aimeriez-vous adresser depuis ce sanctuaire marial international ?
. C’est la deuxième que je me rends en pèlerinage à Lourdes. La première fois c’était en 1996, avec un groupe d’étudiants universitaires. Je me réjouis beaucoup de pouvoir revenir aux pieds de la Vierge Immaculée, à laquelle je demanderai d’accompagner l’Eglise, afin qu’elle réponde avec joie et persévérance à sa vocation à la sainteté. Nous avons besoin de saints et de saintes. Nous devons devenir saints et saintes. Au fond, la sainteté est l’humble don que les chrétiens et les chrétiennes, par pure grâce de Dieu, sont appelés à partager avec leurs frères et sœurs en humanité et, dirais-je, avec la création tout entière. De ce lieu particulier, qu’est Lourdes et son histoire, le message que je voudrais alors adresser à toutes les personnes de bonne volonté, est celui de Saint Jean-Paul II, tellement attaché à ce sanctuaire que, conscient d’être au terme de son pèlerinage terrestre, il a voulu s’y rendre, pour remettre entre les mains maternelles de l’Immaculée sa fragilité, sa maladie et sa mort. Au début de son Pontificat, il exhortait en effet le Peuple de Dieu et l’humanité entière en ces paroles pleines d’émotions et de vitalité : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme » ! Et lui seul le sait ! Aujourd’hui, si souvent l’homme ignore ce qu’il porte au-dedans de lui, dans les profondeurs de son esprit et de son cœur. Si souvent il est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est envahi par le doute qui se transforme en désespoir. Permettez donc — je vous prie, je vous implore avec humilité et confiance, — permettez au Christ de parler à l’homme. Lui seul a les paroles de vie, oui, de vie éternelle ! ».[1] Laissons parler le Christ. Même le temps de la maladie, de la souffrance, de la fragilité extrême, de la mort même, par sa grâce peuvent devenir un temps « favorable » à son accueil. Laissons parler le Christ. Et accueillons Marie, sa Mère, l’Immaculée, car « à l’homme d’aujourd’hui souvent tiraillé entre l’angoisse et l’espérance, prostré par le sentiment de ses limites et assailli par des aspirations sans bornes, troublé dans son âme et déchiré dans son cœur, l’esprit obsédé par l’énigme de la mort, oppressé par la solitude alors qu’il tend vers la communion, en proie à la nausée et à l’ennui, [elle], la Vierge Marie, contemplée dans sa vie terrestre et dans la réalité qu’elle possède déjà dans la Cité de Dieu, offre une vision sereine et une parole rassurante : la victoire de l’espérance sur l’angoisse, de la communion sur la solitude, de la paix sur le trouble, de la joie et de la beauté sur le dégoût et la nausée, des perspectives éternelles sur les perspectives temporelles, de la vie sur la mort ».[2]
[1] Homélie pour la Messe solennelle d’intronisation du Pape Jean-Paul II, 22 octobre 1978, in Acta Apostolicae Sedis 70 (1978), p. 947.
[2] Paul VI, Exhortation Apostolique Marialis cultus, n° 57, in Acta Apostolicae Sedis 66 (1974), p. 166.
2 Comments
Merci, François. Que Notre-Dame de Lourdes continue à t’accompagner, toi et les tiens.
Si nous mettons ces paroles dans notre coeur elles nous feront comprendre pour chaque rencontre de ce type pour nous même et pour les autres …
Marguerite