Dieu, toujours à l’œuvre dans notre histoire, fait souvent connaître sa volonté à l’Eglise par l’intermédiaire de personnes assez pauvres d’elles-mêmes pour accueillir sa présence et son amour. Les gens ne s’y trompent pas, et ce « sens de la foi du peuple fidèle » guide les pasteurs, ou devrait les guider, selon ce que le Pape François enseigne régulièrement.
Ainsi, suite aux visions de Julienne Cornillon, au XIIIème siècle, près de Liège, puis au miracle eucharistique de Bolsena – au cours duquel des gouttes de sang tombèrent de l’hostie tandis que doutait le célébrant – la fête du Corps et du Sang du Christ fut instaurée par Urbain IV. Collaborateur de ce pape, saint Thomas d’Aquin écrivit l’office du Saint-Sacrement et l’hymne du Pange Lingu a qui se termine par le très populaire Tantum ergo . Nous l’avons à nouveau chanté à Rome lors de la traditionnelle procession du Saint-Sacrement allant de Saint-Jean de Latran à Sainte Marie Majeure, jeudi 26 mai.
Le Pape François, durant la messe de cette fête, insista pour que nous soyons signes du pain rompu et partagé, à la suite du Christ qui nous demande « de nous rompre pour les autres ».
« Recevoir le pain rompu des mains de Jésus et le distribuer à tous », comme cela s’est passé lors du miracle de la multiplication des pains, telle est la vocation eucharistique du chrétien. Quelques jours plus tard, vendredi 3 juin, François présidait la messe de la Solennité du Sacré Cœur de Jésus, place Saint-Pierre, en présence de plus de 6000 prêtres et séminaristes venus vivre pendant trois jours le jubilé de la Miséricorde dans la Ville éternelle. Cet évènement spirituel universel est aussi né de révélations privées, celles du Christ à Marguerite-Marie Alacoque, à Paray-le-Monial, qui ont convaincu les évêques français de demander au pape l’instauration de cette fête, ce que fit Pie IX en 1856, il y a 160 ans.
« Nous sommes appelés à viser au cœur, c’est-à-dire à l’intériorité, aux racines les plus fortes de la vie, au noyau des affections, en un mot, au centre de la personne », commenta le Saint-Père à l’homélie, proposant cette question essentielle aux prêtres participants : « Où est orienté mon cœur ? ».
Le Pape remercie les prêtres pour leurs « oui » cachés de tous les jours
Jésus dit « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6, 21). « Il y a des faiblesses en nous tous, et aussi des péchés. Mais allons au fond, à la racine : où est la racine de nos faiblesses, de nos péchés, c’est-à-dire où est vraiment ce « trésor » qui nous éloigne du Seigneur ? », interrogea-t-il, considérant que le cœur du prêtre, « transpercé par l’amour du Seigneur », « ne se regarde plus lui-même » : « c’est un cœur établi dans le Seigneur, captivé par l’Esprit Saint, ouvert et disponible aux frères. Et là il résout ses péchés ».
Concluant à la fin de la messe ces journées de prière consacrées aux prêtres et séminaristes du monde entier, le Pape a tenu à les remercier pour leur « oui », et pour de nombreux « oui » cachés de tous les jours, que seul le Seigneur connaît. « Je vous remercie pour votre « oui » à donner la vie unis à Jésus : là se tient la source pure de notre joie », précisa-t-il, en maître spirituel exigeant.
Inspiré par la figure de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus à laquelle il a appartenu, François venait d’animer, la veille, une retraite sacerdotale itinérante dans Rome, offrant trois grandes méditations sur la Miséricorde, que j’ai eu la joie de commenter pour une part en direct sur le canal francophone de radio Vatican.
Ce qui m’a touché, c’est la proximité toute simple du Pape avec les prêtres, le temps qu’il a voulu passer en leur compagnie, comme pour leur transmettre son trésor de vie, leur donner son âme.
« L’envie d’être désormais miséricordieux envers tout le monde »
La première étape de ces « exercices spirituels » hors du commun, en la basilique Saint-Jean de Latran, était centrée sur la miséricorde « qui nous pousse à passer de ce qui est personnel à ce qui est communautaire », comme lors du miracle de la multiplication des pains, qui naît de la compassion de Jésus pour son peuple et pour les étrangers. « Lorsque nous agissons avec miséricorde, les pains se multiplient au fur et à mesure qu’ils sont partagés », nota le Saint-Père, faisant référence aux effets du pardon qui libère chez le pécheur – guéri de sa fermeture sur lui-même – « l’envie d’être désormais miséricordieux envers tout le monde ».
« Voilà le feu que Jésus est venu apporter sur la terre, celui qui allume d’autre feux », expliqua François, décrivant le chemin qui conduit progressivement « de l’éloignement à la fête », comme dans la parabole de l’enfant prodigue.
Au cours de la seconde méditation, à Sainte Marie Majeure, le Pape a parlé plus spécifiquement du cœur recréé comme « une outre neuve pour le vin nouveau de la miséricorde », cette miséricorde de Dieu « toujours plus grande que notre conscience du péché ». L’image de ce réceptacle, cette « source régénérée », se situe pour chacun dans les plaies du Seigneur ressuscité, « image de l’empreinte du péché restauré par Dieu, qui ne s’efface pas totalement ni ne suppure », car « c’est une cicatrice, non une blessure purulente », notait François, conduisant son auditoire au plus profond de la mystique chrétienne.
« En contemplant le cœur blessé du Seigneur, nous nous voyons en lui comme dans un miroir. Notre cœur et le sien se ressemblent en ceci que les deux sont blessés et ressuscités. Mais nous savons qu’il a été blessé parce qu’il a accepté d’être vulnérable ; notre cœur, en revanche, était pure plaie, qui a été guérie parce qu’elle a accepté d’être aimée ».
Le Pape a illustré son propos par l’exemple des saints, gravissant cette échelle, « à la recherche des vases de miséricorde », jusqu’à la Vierge Marie qui nous enseigne que « l’unique force capable de conquérir le cœur des hommes est la tendresse de Dieu ». « Ses yeux miséricordieux sont ceux que nous considérons comme le meilleur vase de miséricorde – disait François – dans le sens que nous pouvons boire en eux ce regard indulgent et bon dont nous avons soif… ».
« Créer une culture de la miséricorde »
Dans la troisième et dernière méditation, le Saint-Père est entré davantage dans les questions pratiques liées au sacrement de la miséricorde dont les prêtres sont appelés à être « instruments » et « médiateurs ».
Il a montré comment le Seigneur « met les gens en mouvement », lui qui est « le Dieu qui se met en route avec son peuple, qui fait aller de l’avant et accompagne notre histoire », avec patience.
« N’ayez jamais le regard du fonctionnaire, de celui qui voit seulement des « cas », et s’en débarrasse », souligna le Pape en s’adressant aux prêtres, les invitant à « construire une bonne relation », à faciliter les choses, à ne pas créer d’empêchements, pour que la miséricorde puisse « couvrir de son manteau » le péché, comme les deux fils de Noé qui couvrirent d’un manteau la nudité de leur père qui s’était enivré (Génèse 9,23).
Il appela plus largement à « créer une culture de la miséricorde » plutôt que d’établir des « plans pastoraux centrés sur des dynamiques abstraites » voués à l’échec…
Désireux de rendre hommage à tous les prêtres qui se dévouent à leur peuple avec générosité, François a souhaité, à la fin de cette journée de retraite itinérante, lire la lettre d’un curé de paroisse, et s’appuyant sur ce témoignage, il a mis en valeur la prière régulière – même si on s’endort devant le Saint-Sacrement – l’engagement à se laisser « regarder par Marie », la disponibilité aux gens, le zèle apostolique et l’humour, comme autant de clés pour vivre un sacerdoce pleinement cohérent, fécond et heureux.
Il semble qu’après ces heures passées dans « la bonne odeur du Christ et la lumière de la miséricorde », le malentendu soit dissipé entre François et bon nombre de prêtres, le Pape leur ayant fait sentir que ses critiques parfois dures ne sont que l’expression de son attachement paternel et de l’exigence qu’il s’impose lui-même pour se laisser guider par « le sens de la foi du peuple fidèle », et par son « sens du pauvre », dans l’amour pour Jésus, le Bon Pasteur.