Ce 25 mars, jour de l’Annonciation, nous publions un texte de Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Lourdes, actuellement en retraite active dans une paroisse du Limousin. Celui qui a accueilli deux papes à la Grotte de Massabielle, en 2004 et 2008, propose ici un premier bilan du pontificat de François, un an après son élection. Le texte de Mgr Perrier est riche de sa longue expérience pastorale marquée par l’esprit d’initiative, et l’intelligence du coeur. “L’évêque des deux papes” est un grand témoin de l’histoire de l’Eglise qui continue de s’écrire sous nos yeux, avec ses rebondissements et ses surprises…Comment faire un bilan au bout d’un an ? Et que signifie le mot « bilan », appliqué à des réalités spirituelles ? Il y aurait des motifs légitimes pour refuser de répondre à la question qui sert de titre. Mais ce serait lâcheté.
Notre époque est pressée : elle exige des résultats rapides. Les politiques en pâtissent. Les bulles financières se gonflent à coup de spéculations à court terme. L’Eglise n’échappe pas à cette contraction du temps. Un an après la nomination d’un curé ou d’un évêque, la question arrive : quoi de nouveau depuis un an ? On peut le déplorer, car les transformations en profondeur ne s’opèrent pas en un an. Mais c’est ainsi. Qu’en est-il du pape François ?
Chaque pape impose son style, même s’il était, avant son élection, un proche collaborateur, voire un intime de son prédécesseur. Ce fut le cas de Pie XII par rapport à Pie XI et de Benoît XVI par rapport à Jean Paul II. Il n’a pas fallu longtemps pour s’apercevoir que le style « François » ne serait pas le style « Benoît » mais on se tromperait lourdement en opposant leurs visées.
Quelques signes d’un changement de style : le choix d’un nom qu’aucun pape n’avait porté jusque-là ; à sa première apparition au balcon de Saint Pierre, les quelques instants de silence pour que la foule implore sur lui la bénédiction de Dieu ; le lendemain, le passage à l’hébergement où il avait résidé avant le conclave pour régler sa pension ; le désir d’habiter à la maison Sainte Marthe, dans l’enceinte du Vatican, mais en dehors du palais apostolique ; la célébration de la Messe, chaque matin, dans la chapelle de Sainte Marthe, avec un brève homélie, reproduite par les médias du Vatican ; le message quotidien sur un compte tweeter.
Les médias ont fait bon accueil à ce pape venu de loin. Après des siècles de papes italiens, la question se posait depuis longtemps : le pape pourrait-il ne pas être italien ? Cette étape franchie par les deux derniers papes, un polonais et un allemand, la question devenait : le pape pourrait-il ne pas être européen ? Une réponse affirmative était logique, vu la répartition des catholiques sur la surface du globe.
Les médias ont besoin de nouveauté : l’arrivée d’un pape argentin leur en fournissait une. Ils eurent vite un a priori favorable, car il semblait s’inspirer de ce que bien des romans ou des utopistes imaginaient depuis plus d’un demi-siècle : un pape proche du « peuple », se mêlant presque incognito à la population de Rome. Il parlait clair. Il dénonçait les scandales dans l’Eglise. Il ne se contentait pas de sourire. Il riait franchement. Pas par convention, comme à la télé, ce qui ne trompe pas les hommes de télévision. Il riait par tempérament et parce que l’Evangile est porteur de joie : cela donnait de bonnes photos pour les magazines et même pour les sacristies.
Pourquoi tant parler des médias dans un bilan ? Parce que les vraies mesures qu’il a commencé de prendre, et qu’il prendra, ne porteront leurs fruits que plus ou moins lentement. Mais ces mesures ont une meilleure chance d’être efficaces si elles sont reçues par une opinion plutôt favorable au pape. Dès le jour de son élection, le pape Benoît XVI avait été fusillé par les médias occidentaux : dans l’opinion, il ne s’en est jamais relevé. L’Histoire lui rendra justice mais, en attendant, des chances pour l’Evangile auront été perdues. Si l’image du pape est donc plutôt bonne, voire très bonne, au-delà même des cercles catholiques, il faut s’en réjouir. Au bilan, c’est un élément favorable. Même s’il faut se garder des illusions.
Le pape François est, sans doute, un des premiers à avoir été élu, non pas sur un programme, mais avec un cahier des charges établi par les cardinaux durant les séances qui ont précédé le conclave : le futur pape doit reprendre en main le gouvernement de l’Eglise. Le gouvernement de l’Eglise n’était la préoccupation première, ni de Jean Paul II, ni de Benoît XVI. Les appareils étant ce qu’ils sont, des disfonctionnements étaient inévitables : aussi bien en interne, à Rome même, que dans les relations avec l’Eglise dans les différents pays.
En ce sens, l’acte le plus marquant de la première année du pontificat est d’avoir institué un groupe de huit cardinaux, dont un seul appartient à la curie romaine, pour revoir tout le fonctionnement des services, non seulement dans leur aspect pratique, mais dans leur esprit. Certes, c’est le pape qui décidera. Mais, vu la personnalité des hommes choisis par le pape, la commission n’accouchera pas d’un rapport qui serait ensuite soigneusement rangé dans un placard. Cette commission pourrait d’ailleurs devenir un organe permanent, ce qui serait dans la ligne du concile Vatican II.
Un domaine dans lequel la remise en ordre était particulièrement urgente était la question des finances. Benoît XVI déjà avait essayé de voir clair dans tous ces mécanismes dont l’Eglise a effectivement besoin mais dans lesquels bien des filous s’étaient infiltrés. Dans sa tâche, Benoît XVI n’a pas été aidé et n’a pu aller jusqu’au bout. Mais le terrain était préparé. Le pape François a déjà pu prendre des décisions énergiques, ne serait-ce qu’en nommant un unique superviseur de toutes ces questions, un homme qui a sa totale confiance : il ne rendra compte qu’au pape.
A de multiples reprises et avec d’autant plus de force qu’il s’adressait à un échelon plus élevé de la hiérarchie, le pape a condamné l’esprit « mondain ». L’esprit mondain fait rechercher le succès, le pouvoir, éventuellement l’argent. Il manœuvre, il complote, il calcule. Avec la rigueur d’un prédicateur des Exercices de saint Ignace, le pape François invite toute personne exerçant la moindre responsabilité dans l’Eglise à se défaire de cet esprit qui est aux antipodes de la logique de la Croix. Sans conversion, les réformes ne porteraient pas de fruits.
Au bilan de la première année, il faut mentionner deux textes qui engagent davantage le Magistère du pape que les homélies, les discours et les messages quotidiens. Ce sont l’encyclique « Lumière de la foi » et l’exhortation apostolique « La joie de l’Evangile ». Dans l’encyclique, le pape François reprend très largement le travail de son prédécesseur qui avait voulu cette « année de la foi ». Dans l’exhortation, le pape s’exprime plus personnellement. Avec beaucoup d’enthousiasme, le pape invite à la mission aux « périphéries » (un mot qu’il affectionne, pensant, vraisemblablement, à la périphérie de Buenos Aires et à toutes ses misères), de l’Eglise et de la société.
Que sera la deuxième année du pontificat ? On peut espérer pour le pape François qu’il ne soit pas éclaboussé par des scandales tels que ceux des prêtres pédophiles ou du fondateur des Légionnaires du Christ : le pape Benoît XVI a fait preuve, sur ces questions, d’une énergie intransigeante. On peut espérer qu’une purification se soit faite.
Le travail des huit cardinaux aboutira sûrement à des conclusions et, dans la mesure où il les approuvera, on peut être sûr que le pape François les appliquera sans mollesse. A l’automne, il réunira un synode sur la famille. Le cardinal Vingt-Trois sera un des trois vice-présidents. Là, il pourrait se produire quelques grincements dans la sphère médiatique car il ne faut pas compter sur le pape François pour approuver la dérive « relativiste » (terme fréquent sous la plume de Benoît XVI) de notre époque.
Au mois de mai, il se rendra en Terre Sainte, soixante ans après la rencontre entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. Le 15 août, il sera en Corée pour des Journées asiatiques de la Jeunesse : ce voyage marquera son intérêt, à la fois, pour les jeunes et pour l’Asie.
Le pape a choisi le nom du Poverello d’Assise par sens de la pauvreté évangélique mais il sait certainement que le père de François d’Assise a choisi ce nom pour son fils parce que lui-même revenait de France et qu’il s’y était beaucoup plu. A bon entendeur, bienvenue !