« Si nous n’avons pas le pouvoir de guérir, nous avons celui d’aimer, d’aider et de partager, avant qu’il ne soit trop tard ! »
Par François Vayne, journaliste et écrivain
« J’envisage la mort comme une belle rencontre, une fête où la nuit n’existera plus, où la nuit sera blanche parce qu’en plus de Vadim, de Barclay, de Gérard Philippe, et de tous les êtres rares qui me manquent terriblement, je verrai Dieu face à face, lui dont j’ai parlé si mal mais que j’ai tant cherché ! On est de passage et en toute chose il faut considérer la fin ! », me disait Robert Hossein, lors de nos entretiens sur la foi, publiés il y a quatre ans (1). Victime du coronavirus, le grand acteur, metteur en scène, réalisateur et scénariste, nous a quittés le dernier jour de cette terrible année 2020, marquée par une pandémie qui a semé la mort de dizaines de milliers de personnes. Alors que nous sommes encore soumis à des règles draconiennes de distanciation sociale, ce converti habité par le désir de Dieu et passionné de fraternité humaine nous laisserait-il un message pour 2021 ? J’en ai la conviction, ayant eu l’honneur d’être son ami et de recueillir ses ultimes confidences. De nos longs échanges, il ressort que sa conversion ressemblait à une « marche au long cours faite de chutes et de meurtrissures ». « De grâce, disait-il, ne parlez pas de conversion subite, je vais me mettre en colère, j’ai horreur de ceux qui font commerce de leur « conversion », allant vendre leurs livres de conférence en conférence sous prétexte de témoigner… Je crois que Dieu agit en nous patiemment, dans le temps, à petits pas ».
Tout commença pour lui avec un départ vécu comme une renaissance, quand à la quarantaine il s’en alla créer un théâtre populaire à Reims, abandonnant derrière lui une vie de mondanités. Persuadé, comme Dostoïevski, que la beauté dans l’art sauvera le monde, il voulait mettre la culture à la portée de tous, pour qu’elle ouvre les cœurs. « Mes sept ans à Reims ont été une rupture avec la vie superficielle que j’avais auparavant à Paris. Croisant tous les jours le sourire de l’ange de la cathédrale, j’ai compris que Dieu croyait en moi, et même qu’il demeurait en moi ; j’ai goûté sa présence intérieure, je me suis mis à sa disposition », m’a-t-il raconté. Avec Candice, son épouse dont la profonde vie de foi le conduisit à demander le baptême à plus de cinquante ans, en 1980, il a cheminé dans une perspective spirituelle, intensément. « L’image du ballon qui s’élève parce qu’on lâche du lest me plaît bien : nous avons à nous alléger pour gagner en disponibilité aux autres et à l’œuvre divine. Ainsi je me suis avancé vers le baptême, pour laisser le Christ me dépouiller de moi-même et me simplifier, prendre toute la place pour que je devienne pleinement un homme, fils de Dieu, comme lui ».
Candice et Robert parlaient beaucoup de Charles de Foucauld, « ce militaire débauché qui faisait des orgies avant de partir au désert, parmi les plus lointains et les plus pauvres, pour l’amour de toute l’humanité ». Touché par l’exemple de bonté et d’humilité de Charles de Foucauld, Robert Hossein voulait lui aussi « aimer à l’extrême ». Il comprit que c’est au théâtre qu’il devait continuer à exercer ses dons « pour éveiller le sens de la transcendance chez les gens ». Ainsi est né son désir de mettre en scène la vie de Jésus, pour « porter l’Evangile du Christ dans l’arène publique, en dehors des cercles paroissiaux ». « Il y avait urgence à sortir le Bon Dieu des sacristies où les adversaires de l’Eglise l’ont enfermé depuis deux siècles, avec la tragique complicité de certains clercs plus attachés à la valeur de leurs chasubles brodées qu’à la personne du Christ, ce nomade habillé comme tout le monde dont le sourire guérit les cœurs avant même qu’il ne parle », lançait Hossein sur le ton des prophètes.
Un homme nommé Jésus, en 1983, au Palais des Sports de Paris, a connu un énorme succès avec 700 000 spectateurs en près de 200 représentations – il est au Guiness des records – puis ce fut Jésus était son nom, en 1991, et Jésus la Résurrection en l’an 2000, toujours au Palais des Sports. Avec Une femme nommée Marie, à Lourdes, en 2011, Robert Hossein reprenait ce spectacle en l’adaptant au message délivré par la Vierge à Bernadette, permettant à des milliers de personnes malades de vivre la représentation gratuitement, tandis qu’elle était retransmise en direct sur une chaîne de télévision publique un samedi soir, à une heure de grande écoute. « Etre chrétien, c’est être conquis par le Christ et être dégagé des cadres étroits d’une seule culture, d’une seule religion, d’une seule nation ! Mon rêve est maintenant de monter un spectacle œcuménique sur Jésus, à la fois à Rome et à Moscou, pour manifester la volonté de réconciliation entre catholiques et orthodoxes », me confiait-il au soir de sa vie. Il avait écrit à ce sujet « une lettre d’amour » au Pape, après la rencontre historique de François avec le patriarche Kirill à Cuba. Ses dernières énergies tendaient toujours vers ce projet.
Au-delà des inoubliables spectacles qui ont élevé nos âmes, le message de Robert Hossein est un appel à favoriser la fraternité universelle, à faire jaillir des sources d’amour au cœur de nos relations humaines. Son testament, que je l’ai entendu plusieurs fois répéter, tient en ces quelques mots criés à Lourdes lors du spectacle sur Marie : « Sortons de nos médiocrités, car si nous n’avons pas le pouvoir de guérir, nous avons celui d’aimer, d’aider et de partager, avant qu’il ne soit trop tard ! »
(1) Je crois en l’homme parce que je crois en Dieu (Plon – Presses de la Renaissance) https://www.amazon.fr/dp/B01FERYZH2/ref=dp_kinw_strp_1/260-3769637-3866731