« Oui, le divorce et tous les drames qui bouleversent la famille ont une dimension internationale, on ne peut pas dire que ce qui se passe en Occident ne concerne pas le reste du monde, la globalisation des modes de vie est une réalité et c’est pour cela que l’initiative du Pape François va au cœur de nos préoccupations face à ce grand changement culturel, où que nous vivions », m’ont dit Dieudonné et Emerthe Gatsinga, un couple d’amis rwandais qui participe au Synode actuellement à Rome.
« Les femmes affirment leur dignité, notamment par le travail, et la relation paritaire avec les hommes est difficile à mettre en œuvre, ce qui entraîne partout des conflits dans le village global qu’est notre monde », résument-ils avec réalisme, affirmant que « l’Evangile vécu dans l’amour réciproque permet une meilleure écoute de l’autre, facilite le pardon et le dialogue ». Ainsi les membres du Synode, évêques et laïcs, cherchent ensemble à proposer des réponses aux souffrances que traversent de nombreuses familles, notamment en proposant un nouveau langage et de nouvelles approches pastorales pour les soutenir. Ce Synode semble préparer l’Eglise à repenser toute sa pastorale à partir de la famille, principal réseau de survie dans les moments de crise. Que veut le Pape exactement ? Il l’a dit quatre jours à peine après son élection, qui s’en souvient? Lors de son premier Angélus, le 17 mars 2013, depuis la fenêtre du palais apostolique, il évoquait un livre du cardinal Kasper :` Ces jours-ci, j’ai pu lire un livre d’un cardinal – le cardinal Kasper, un théologien très bien, un bon théologien – sur la miséricorde. Ce livre m’a fait tant de bien, mais ne croyez pas que je fais de la publicité pour les livres de mes cardinaux ! Ce n’est pas cela ! Il m’a fait tant de bien, tant de bien … Le cardinal Kasper disait que faire l’expérience de la miséricorde change tout. C’est la plus belle parole que nous puissions entendre : elle change le monde. Un peu de miséricorde rend le monde moins froid et plus juste. Il nous faut bien comprendre cette miséricorde de Dieu, ce Père miséricordieux qui a tant de patience … Rappelons-nous du prophète Isaïe, qui affirmait que même si nos péchés étaient rouges comme l’écarlate, l’amour de Dieu les rendrait blancs comme la neige. C’est beau, la miséricorde !`. Et le nouveau pape nous disait ensuite qu’à peine nommé évêque, en 1992, la statue de la Vierge de Fatima était arrivée à Buenos Aires et qu’à cette occasion une grande messe pour les malades avait été célébrée, au cours de laquelle une femme âgée lui fit mieux comprendre que `si le Seigneur ne pardonnait pas tout, le monde n’existerait pas`… La référence au cardinal Kasper, la miséricorde ou le triomphe de l’amour dans les drames de l’histoire selon ce que la Vierge est venu dire à Fatima : tout le pontificat était annoncé dans ces quelques mots, et ce Synode en est la parfaite illustration.
Un peuple en chemin, engagé dans une histoire
Lors de l’ouverture du consistoire des cardinaux sur la famille, le 20 février 2014, le cardinal Walter Kasper a esquissé les grandes lignes d’une possible réadmission des divorcés remariés aux sacrements au terme d’un chemin de pénitence. Le 13 octobre 2014, anniversaire d’une des grandes apparitions de Notre-Dame de Fatima, date chère au cœur du Pape François, le cardinal Péter Erdö, rapporteur général du Synode, présentait un premier document, fruit des travaux en cours, déclarant que « la vérité s’incarne dans la fragilité humaine non pas pour la condamner, mais pour la guérir », et qu’il y a donc « urgence de chemins pastoraux nouveaux, qui partent de la réalité effective des fragilités familiales ».
Dans cette logique par exemple les personnes divorcées remariées pourraient accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, suivant une règle de gradualité et après un discernement au cas par cas… « La réalité positive » des mariages civils serait également accueillie de manière constructive, et les unions homosexuelles aussi dans la mesure où « le soutien réciproque jusqu’au sacrifice constitue une aide précieuse pour la vie des partenaires ».
Il n’en fallait pas plus pour déclencher un tollé orchestré par les groupes de pression opposés depuis le début du pontificat à la révolution évangélique du Pape François. Le lendemain de cette présentation du texte de synthèse des premiers débats, lors de son homélie matinale à la maison Sainte Marthe, le Saint-Père dénonçait les « docteurs de la loi » qui oublient d’appartenir à un peuple en chemin, engagé dans une histoire où Dieu réserve des surprises… Ce même jour, mardi dernier, Il Foglio avait publié un entretien avec le cardinal américain Raymond Leo Burke, préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, très critique par rapport à la médiatisation du premier rapport synodal, parlant à ce propos de « manipulations ». Les évêques membres du Synode ont en effet pleine liberté pour s’exprimer dans les moyens de communication, et ne s’en privent pas. Parmi les réactions d’affolement, certains médias ont fait état de propos assez durs émanant également du cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce que l’intéressé a démenti jeudi par la voix du Père Federico Lombardi, directeur de la Salle de Presse du Saint-Siège.
« À la suite des réactions et débats ayant suivi la publication de la Relatio post disceptationem, à laquelle on a attribué un poids qui ne lui appartient pas, le Secrétariat rappelle qu’il s’agit d’un document de travail résumant les interventions et la discussion de la première semaine synodale. Ce texte est maintenant soumis à l’attention des Circuli Minores, en conformité au règlement du Synode », souligna un communiqué officiel, rappelant qu’il s’agit d’un chemin de réflexion non encore abouti : le Pape ne se prononcera qu’après le prochain Synode prévu à l’automne 2015 sur le même sujet.
En attendant le Pape écoute, prend conseil, et fait confiance à l’Esprit Saint qui guide la barque de Pierre. Sa méthode, qui s’inspire de celle du Pape Paul VI pendant le Concile Vatican II, consiste à laisser se dégager progressivement un consensus, après que chacun ait pu donner son point de vue. Aucun schisme ne s’est d’ailleurs produit sous le pontificat de Paul VI, béatifié dimanche, en clôture du Synode, comme pour placer sous sa protection l’ensemble de la dynamique d’évangélisation en cours, processus de fidélité et d’ouverture. C’est le destin de l’Evangile dans le monde contemporain qui préoccupait Paul VI, l’inventeur du Synode des évêques maintenant revivifié. Son âme sacerdotale et missionnaire était habitée par un immense amour pour la personne du Christ, ce qui motivait sa volonté d’encourager en permanence un « dialogue salvifique », non pas un dialogue de salon mais un dialogue exigeant qui guérit et qui sauve, à l’exemple de celui de Jésus avec la Samaritaine (Jean 4, 1-30).
« Faire trésor de la vie réelle », et « voir du côté de ce qui est déjà promesse »
Les groupes linguistiques, ou « Circoli Minores », qui amendaient cette semaine le document très commenté, ont remis jeudi leurs rapports où l’on peut lire notamment : « Nous avons demandé que la pratique de la « communion spirituelle », recommandée traditionnellement à ceux qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas communier « sacramentellement », soit étudiée et évaluée en ses fondements théologiques et, si elle est accréditée par cet examen, soit promue et mieux diffusée parmi les fidèles ». Il apparaît cependant clairement que la majorité des groupes ne s’oppose pas à l’accès aux sacrements pour les divorcés remariés, à certaines conditions. Pour ma part, à l’humble niveau de ce blog, j’espère simplement que le Synode fera en sorte que les divorcés remariés découvrent leur place dans l’Eglise et la possibilité de communier davantage à la Parole vivante de Dieu, et à la présence du Christ – l’Emmanuel, Dieu avec nous – quand nous sommes réunis en son nom (Matthieu 18, 20)… Samedi un nouveau texte de synthèse est attendu, ayant pour but de susciter à nouveau la réflexion dans toutes les Eglises locales jusqu’à octobre prochain, pour « faire trésor de la vie réelle » selon l’expression de Mgr Bruno Forte, Secrétaire spécial de cette assemblée.
Le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, qui a donné la clé herméneutique de ce nouveau regard en ancrant la démarche dans la Constitution conciliaire Lumen Gentium (voir mon blog de la semaine dernière), souligne la volonté synodale de « voir du côté de ce qui est déjà promesse ». Le Synode de 2015 remettra au Pape ses conclusions votées par l’assemblée, pour que François décide alors, en son âme et conscience, et exprime solennellement ce qui s’appliquera ensuite légitimement dans l’Eglise universelle, pour le bonheur de toutes les familles d’aujourd’hui.
«L’idée principale de ce Synode est que l’Eglise est une famille qui tient sa porte ouverte à tous, et nous devons chercher des chemins pour que tous se sentent accueillis malgré leurs problèmes », nous a confié Mgr Victor Manuel Fernandez, recteur de l’Université catholique de Buenos Aires, ami du Pape François. « L’idéal de l’Evangile est une plénitude vers laquelle nous essayons d’aller. Dans les situations réelles, chacun fait ce qu’il peut dans le moment précis de sa vie. Nous voulons que, par capillarité, la lumière divine puisse entrer dans toutes les maisons ».
L’ère des grands discours moraux, et des hypocrisies cléricales, est bien close : l’heure est à la rencontre du Christ et à l’expérience de son amour dans la réalité quotidienne, à la lumière du pardon qui relève, car, comme l’a dit un des pères synodaux, « les évêques ne sont pas patrons de la miséricorde de Dieu ».
Dans la chapelle du Synode pour la famille, située au cœur de la basilique Sainte Marie Majeure, la prière des fidèles ne cesse pas jusqu’à ce dimanche, devant les reliques des parents de sainte Thérèse de Lisieux, les bienheureux Louis et Zélie Martin, et devant celles des bienheureux époux romains Louis et Marie Beltrame Quattrochi (notre photo). L’évènement qui se déroule à Rome n’a en effet certainement rien de politique, car cette assemblée extraordinaire est à l’écoute de l’Esprit Saint, dans une logique spirituelle d’ordre trinitaire qui échappe à toutes les analyses « binaires ». Le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, l’un des trois présidents délégués du Synode, l’a bien expliqué, resituant ce rendez-vous de l’Eglise universelle dans le grand élan du Concile Vatican II qui fut comme une « nouvelle Pentecôte ».
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Voilà sans doute la clé de compréhension de la réalité du Synode: elle échappe à toutes les analyses “binaires” parce qu’il s’agit d’une logique trinitaire. Merci de la donner.
Andrée Marie