Le Pape François dans le sillage du prophète Ezéchiel
Alors que la pandémie de COVID-19 est loin d’être terminée, et malgré les risques qui pèsent sur sa sécurité, le Saint-Père a choisi d’aller courageusement en Irak, pays déstabilisé par un terrorisme endémique. « Je viens comme un pénitent qui demande pardon au Ciel et aux frères pour de nombreuses destructions et cruautés. Je viens comme pèlerin de paix, au nom du Christ, Prince de la paix », s’est-il exclamé en arrivant vendredi matin à Bagdad, tandis qu’un vent chaud soufflait fort. « Combien nous avons prié, ces années, pour la paix en Irak ! Saint Jean-Paul II n’a pas épargné les initiatives, et il a surtout offert prières et souffrances pour cela. Et Dieu écoute, écoute toujours! », a-t-il ajouté, en exhortant à la fin des extrémismes, des factions et des intolérances…
Au cours de son 33ème voyage apostolique, qui se déroule en Mésopotamie du 5 au 8 mars, François – premier pape à visiter l’Irak – veut réconforter l’Eglise locale très éprouvée, marquée par les persécutions et l’exil. Avant la désastreuse et injustifiable invasion de l’Irak par les anglo-américains, en 2003, les chrétiens qui vivaient dans ce pays étaient encore au nombre d’un million et demi. Le chaos qui suivit, ouvrant la porte aux milices islamistes, a eu pour conséquence de réduire à environ 300 000 personnes cette population fidèle au Christ, communauté dont la présence est ininterrompue depuis les temps apostoliques.
Le premier geste pastoral du Pape a d’ailleurs été de se rendre dans la cathédrale syriaque-catholique Notre-Dame du Salut, qui fut baignée par le sang des martyrs lors d’une prise d’otages, le 31 octobre 2010, veille de la Toussaint. L’assaut mené de manière archaïque, très violente, par les forces spéciales irakiennes et leurs conseillers de l’armée américaine, avait causé la mort d’une quarantaine de fidèles, parmi lesquels des femmes et des enfants. « Puisse le souvenir de leur sacrifice nous inspirer à renouveler notre foi dans la force de la Croix et de son message salvifique de pardon, de réconciliation et de renaissance », lança François, encourageant l’apostolat éducatif et caritatif de l’Eglise en Irak qui, « bien que petite comme une graine de moutarde (Matthieu 13, 31-32), continue à enrichir la marche du pays dans son ensemble ».
Durant ces trois jours, le Pape veut également favoriser le dialogue interreligieux, condition de la paix au Moyen-Orient et dans le monde, considérant que « la diversité religieuse, culturelle et ethnique, qui a caractérisé la société irakienne pendant des millénaires, est une précieuse ressource à laquelle puiser » (discours au Palais présidentiel de Bagdad). Demain, à Ur, patrie d’Abraham, François rencontrera les leaders des traditions religieuses présentes dans ce pays, « pour proclamer une fois encore notre conviction que la religion doit servir la cause de la paix et de l’unité entre tous les enfants de Dieu », comme il l’a expliqué vendredi après-midi dans la cathédrale de Bagdad.
Avant de se rendre à Ur, le Saint-Père fera étape à Najaf où l’attend l’ayatollah Ali-al Sistani, leader musulman chiite très respecté. Près de Najaf, à Kafel-al-Hilla, se trouve la tombe du prophète Ezéchiel, premier prophète d’Israël envoyé hors de son pays, déporté en exil, invoqué à la fois par les croyants juifs, chrétiens et musulmans. Afin que nous entrions davantage, dès aujourd’hui, dans l’esprit de ce voyage pontifical historique, je voudrais partager avec vous une intuition liée à ce lieu sacré où Ezéchiel est vénéré, symbole de la résurrection promise, non seulement pour les habitants de ces territoires bibliques meurtris et endeuillés mais pour toute l’Eglise.
C’est le Grand Maître de l’Ordre du Saint-Sépulcre et ancien Nonce apostolique en Irak, le cardinal Fernando Filoni, qui m’a éclairé sur l’importance de cette tombe du prophète Ezéchiel où lui-même s’est rendu en pèlerinage. Ayant la chance de travailler à Rome avec cet homme de Dieu, qui fut l’ambassadeur de saint Jean Paul II en Irak durant la seconde Guerre du Golfe, j’ai eu l’occasion de l’écouter souvent, dans le cadre de la préparation de ce voyage apostolique auquel d’ailleurs il participe personnellement, dans la délégation pontificale.
« Si à Ninive on dit que plane l’esprit de Jonas, le prédicateur de la conversion, dans la région de l’ancienne Babylone plane celui d’Ézéchiel, prêtre déporté en 597 avant Jésus Christ, avec Joachin, roi de Juda. Sur cette terre, Ézéchiel fut le compagnon de vie des déportés », rappelle le cardinal Filoni. De ce prophète on se souvient en particulier de la vision grandiose de la vallée pleine d’ossements desséchés (Ezéchiel 37, 1-14) qui s’animent et reprennent un aspect humain au point de former une multitude infinie d’êtres vivants.
« En Irak, aujourd’hui encore, nous avons besoin de visions et de prophéties », dit-il, voyant dans l’évènement de cette visite du Pape comme « un souffle chaud, qui redonne vie à de nombreux martyrs et à la foi de beaucoup de chrétiens tués, persécutés ou discriminés ». « Il faut que les chrétiens, les yézidis, les mandéens et toutes les autres minorités, ainsi que les chiites et les sunnites, parviennent à une coexistence civile dans le respect des droits pour tous. Être frères, c’est possible, s’il y a l’Esprit de Dieu », considère avec profondeur l’ancien Nonce à Bagdad, sûr que la visite du Pape François, qui était le grand désir de Jean-Paul II, pour l’an 2000, peut être « la semence de vie qui donnera du fruit ».