Entretien avec le Père Gabriel Romanelli, curé de Gaza
« Agissez partout pour un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza ! Nous devons tout faire pour que le conflit israélo-palestinien ne s’étende pas à toute la région ». J’ai entendu le Père Gabriel Romanelli, curé de Gaza, prononcer cet appel à plusieurs reprises en Terre Sainte, en confiant à l’Enfant-Dieu venu nous sauver les larmes et la douleur de tant de familles dévastées par les représailles militaires ordonnées après la cruelle attaque du Hamas le 7 octobre dernier. Ce témoignage attachant a été recueilli en marchant avec lui sur les lieux de Jésus et de Marie, au début de l’année 2024.
. Comment vivez-vous la situation de vous trouver hors de Gaza alors que votre communauté paroissiale souffre de la guerre ?
. Je me suis demandé pourquoi, alors que je devais rentrer à Gaza le 6 octobre, un retard a fait que je me suis trouvé à Bethléem le 7 octobre, jour des attaques du Hamas en Israël, sans pouvoir ensuite retourner dans ma paroisse. Je revenais des cérémonies romaines du cardinalat du Patriarche de Jérusalem, et j’attendais à Bethléem de récupérer des médicaments en provenance d’Argentine pour une religieuse en service à Gaza. Il était prévu que ces médicaments me parviennent le 6 et que je rentre à Gaza dans la journée, mais la livraison du paquet en provenance de Nazareth a été retardée. Je devais donc aller à Gaza le 8, au lendemain du shabbat – car durant cette fête juive hebdomadaire la frontière est fermée -, quand, le 7 au matin, nous avons appris la tragédie. Pendant les actes de terreur ont été assassiné 1 200 personnes dans des conditions effroyables, ce sont des crimes odieux que nous avons aussitôt condamné! Ensuite, j’ai pensé que c’était sans doute providentiel que ne soit pas sur place à Gaza afin de pouvoir mieux aider la communauté chrétienne de ma paroisse, car je suis aux côtés du cardinal Pizzaballa, au Patriarcat latin, à Jérusalem, pour l’assister dans cette situation, en lien direct avec le Pape qui me téléphone presque chaque jour. Il me parle en espagnol, puisque je suis argentin comme lui. Il appelle aussi la communauté à Gaza quand cela est techniquement possible, et cela est un soutien extraordinaire pour nous tous! Je reste bien sûr en contact avec mon vicaire, le Père Youssef Asaad, même si les communications sont très difficiles.
. Combien de morts compte la communauté chrétienne à Gaza ?
. Il y a 2,3 millions de personnes qui habitent la bande de Gaza, musulmans en grande majorité. Au début de la guerre nous étions un millier de chrétiens, précisément 1017 personnes, dont une centaine de catholiques, 135 exactement. Nous avions trois écoles catholiques, qui sont endommagées elles aussi. Actuellement 600 personnes sont réfugiées dans notre église paroissiale de la Sainte Famille, dont de nombreux enfants, une soixantaine étant accompagnés par les sœurs de la Charité Mère Teresa. Les bombardements et les snipers israéliens ont tué vingt personnes parmi les chrétiens orthodoxes et catholiques, et sept autres sont mortes par manque d’assistance médicale. Nous avons perdu 27 fidèles à ce jour, ce qui représente près de 3% de la communauté chrétienne à Gaza ? Les blessés ou les malades sont comme des condamnés à mort car il est presque impossible de les soigner par manque de moyens médicaux.
. Que font les paroissiens dans la journée, par exemple ?
. Nous avions mis sur pied une fabrique d’hosties, pour pouvoir célébrer chaque jour l’Eucharistie pendant la pandémie qui rendait notre approvisionnement compliqué. Notre idée aussi était de fournir les visiteurs en hosties à utiliser lors des messes à leur retour, cela afin de créer un lien spirituel plus fort avec le reste du monde. Le laboratoire fonctionne et maintenant des paroissiens y travaillent, fournissant en hosties nos deux messes quotidiennes. Les catholiques prient beaucoup pendant la journée, en se relayant par groupes pour réciter le chapelet et en participant aux célébrations eucharistiques du matin et de l’après-midi.
. Quel message adressez-vous aux chrétiens du monde entier ?
. Le premier message que j’adresse c’est : agissez partout pour un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza car il y a déjà eu trop de morts, plus de 22 000 victimes des bombes dont 8 000 enfants ! Ne nous habituons pas à ce carnage. Plus de 56 000 blessés attendent des soins… Nous devons tout faire pour que le conflit israélo-palestinien ne s’étende pas à toute la région. L’autre message est un appel à venir en pèlerinage en Terre Sainte, car les lieux saints sont ouverts et il n’y a objectivement aucun danger. La reprise des pèlerinages permettra à la population de ne plus se sentir abandonnée et de retrouver l’espérance qui manque tant en ce moment. Selon les statistiques il reste 2% de chrétiens en Terre Sainte, soutenons la présence de ces « pierres vivantes » là où le Christ a vécu, est mort et a donné sa vie pour nous ! Toute la population palestinienne attend les pèlerins, qui expriment par leur démarche de prière la proximité du monde entier à la cause de la justice et de la paix.
. Vous êtes en Terre Sainte depuis longtemps. Au regard de votre expérience de terrain, que pensez-vous de la situation d’incommunicabilité actuelle entre juifs et musulmans depuis le 7 octobre?
. J’ai 54 ans et je suis en Terre Sainte depuis 28 ans. Entré à 18 ans dans la congrégation du Verbe incarné en Argentine, j’ai été destiné à servir en Palestine où notre famille religieuse est très engagée auprès des plus pauvres. Mon expérience est qu’en Palestine, non seulement les musulmans mais aussi les chrétiens ont un sentiment d’injustice depuis le début de l’occupation israélienne en 1948. Beaucoup ont tout perdu, ont été chassés de leurs terres, vivent dans des camps, et les résolutions de l’ONU en leur faveur ne sont pas suivies d’effet. L’extrémisme et le terrorisme se sont développés sur la base de cette injustice. Maintenant, le cessez-le-feu est la seule urgence, car chaque minute de guerre produit plus de haine, plus de désir de vengeance, et personne ne peut gagner de cette façon à la longue. Il ne reste plus rien à Gaza, les civils n’ont plus de logement, plus de travail… Le Pape a raison quand il dit que la violence et la terreur n’offrent aucune solution, mais qui veut l’entendre ? Il est très difficile de nuancer les positions en ce moment, mais quel avenir propose-t-on aux 6,8 millions de Palestiniens qui vivent aujourd’hui sur le territoire de l’ancien mandat britannique en Palestine (1923-1948), devenu l’Etat d’Israël et les territoires palestiniens de la bande de Gaza et de Cisjordanie ? Cette guerre atroce – 1200 morts d’un côté, 22 000 de l’autre à la date où nous parlons – sera peut-être l’occasion de comprendre que « l’œuvre de la justice sera la paix », selon les mots du prophète Isaïe.
. Le cardinal Fernando Filoni est récemment venu en pèlerinage en Terre Sainte au nom des 30 000 membres de l’Ordre du Saint-Sépulcre dont il est le Grand Maître. Vous l’avez accompagné pendant une semaine. Qu’est-ce que son geste a signifié pour vous ?
. Ce pèlerinage d’une petite délégation de l’Ordre du Saint-Sépulcre guidée par le Grand Maître a provoqué une profonde joie parmi tous les catholiques de Terre Sainte, à un moment où nous nous sentions très seuls et désemparés. La présence chrétienne en Terre Sainte est menacée par les suprémacistes et par les extrémistes, qui sont les deux faces d’une même intolérance religieuse. Le soutien de l’Ordre envers les écoles catholiques et les paroisses du Patriarcat latin, envers les familles les plus déshéritées de notre Eglise, est l’expression de la noblesse de cœur des Chevaliers et Dames, la noblesse de Jésus-Christ. Ils sauvent la présence chrétienne dans les lieux saints et ainsi ils donnent le témoignage au monde entier que Jésus est vivant ! Jamais, depuis la résurrection, la mort n’aura le dernier mot ! La population palestinienne vit un calvaire actuellement, mais unie à Jésus par l’intermédiaire de mes paroissiens qui prient et offrent leurs souffrances à Dieu, elle est promise à une vie nouvelle. La Terre Sainte ne sera pas la même après cette guerre et nous devrons réfléchir à des programmes d’aide pour créer des emplois et favoriser l’autonomie locale. Je crois que la paix du monde dépend de la paix en Terre sainte, et dans ce but la conversion personnelle de chaque chrétien est importante. Il n’y aura pas de paix si chaque chrétien ne cherche pas à vivre personnellement la paix essentielle, avec Dieu et avec les autres, grâce aux sacrements de l’Eglise. Il faut commencer en soi et autour de soi. Une belle confession sacramentelle est le premier pas de la paix dans le monde. Et, comme disait saint Jean-Paul II, « la paix sera le dernier mot de l’Histoire ».
Propos recueillis par François Vayne, à Jérusalem, le 3 janvier 2024