La paix suppose la conversion de chacun
Moins de trois mois après les attaques du 7 octobre en Israël, j’ai eu la grâce d’accompagner le Grand Maître de l’Ordre du Saint-Sépulcre en Terre Sainte, du 28 décembre 2023 au 3 janvier 2024. Avec l’Ambassadeur Leonardo Visconti di Modrone, Gouverneur Général de l’Ordre, nous étions trois dans la délégation. Accueillis par le cardinal Pierbattista Pizzaballa, Patriarche de Jérusalem, nous avons rencontré les représentants des diverses réalités de l’Eglise locale et avons pu nous recueillir dans les lieux saints, priant aux intentions de la paix. Ce voyage vécu dans un contexte de guerre et de grave crise sociale, a permis d’encourager la communauté catholique de Terre Sainte et de montrer qu’il est possible de retourner la visiter sans crainte.
Arrivés à l’aéroport de Tel Aviv, en provenance de Rome, en la fête des saints innocents, nous étions attendus fraternellement à la sortie de l’avion par le Nonce Apostolique, Mgr Adolfo Tito Yllana, et par le curé de Gaza, le Père Gabriele Romanelli, qui se trouvait à Bethléem le 7 octobre et n’a pu depuis lors retourner dans sa paroisse. Le soir même une cérémonie officielle était organisée à Jérusalem, au siège du Patriarcat latin, au cours de laquelle le cardinal Pizzaballa remercia le Grand Maître de son audacieuse et généreuse initiative, qu’il qualifia aussi de courageuse. Il reçut des mains de celui-ci l’offrande spontanée de près d’un million d’euros que les Chevaliers et Dames lui firent parvenir à cette occasion – en plus des contributions ordinaires – par l’intermédiaire du Grand Magistère de l’Ordre. Le cardinal Filoni expliqua notre choix de venir en Terre Sainte à la lumière de l’engagement de l’Ordre à soutenir la population chrétienne pour qu’elle puisse continuer à vivre sur sa terre, malgré un contexte politique et social très défavorable.
Le lendemain, après un temps de recueillement matinal de la délégation au Saint-Sépulcre, nous avons rencontré les évêques et les prêtres du Patriarcat latin. Il est ressorti de ces échanges l’extrême gratitude de l’Eglise Mère de Jérusalem qui, en cette période de grandes difficultés liées au conflit en cours, peut s’appuyer sur le soutien moral et matériel de l’Eglise universelle à travers la solidarité de l’Ordre. Dans l’après-midi, nous sommes allés rendre visite à plusieurs familles chrétiennes soutenues par le Patriarcat, qui habitent de très petits appartements dans la vieille ville de Jérusalem. De nombreuses familles sont en effet aidées grâce aux donations des Chevaliers et Dames qui permettent ainsi à la communauté chrétienne de demeurer présente dans la ville où le Christ a donné sa vie pour l’humanité. Bouleversé par les situations douloureuses constatées, nous avons écouté avec attention les membres de ces familles aux prises avec de grands problèmes sociaux liés en particulier au manque de travail, priant avec eux pour la paix en Terre Sainte.
Le troisième jour de ce pèlerinage, le Grand Maître célébra la messe de l’aurore dans l’Édicule du Saint-Sépulcre. Il rappela, à la lumière des lectures du jour, qu’après sa naissance le Seigneur fut présenté au temple de Jérusalem selon la loi de Moïse, en respect de laquelle il prit sur lui la mission de compléter la révélation divine. Le cardinal remercia le Ressuscité d’accompagner l’histoire et la vie de chacun, l’implorant pour que le don de Sa Paix retourne en Terre Sainte.
Après la messe, la délégation partagea le petit-déjeuner avec la communauté des franciscains en charge du Saint-Sépulcre, découvrant le chantier de restauration du pavement, « entrailles » de ce lieu saint si cher au cœur de tous les chrétiens. Nous avons chaleureusement partagé avec ces religieux qui préservent depuis des siècles la présence catholique au Saint-Sépulcre en communion avec le clergé grec-orthodoxe et arménien.
Poursuivant notre parcours spirituel et solidaire, ce 30 décembre, nous prenions ensuite la direction de Taybeh, en Palestine, pour rencontrer la communauté paroissiale et visiter la maison de repos qui dépend du Patriarcat latin. Ce village, qui s’appelait jadis Ephraïm, aujourd’hui entièrement habité par des chrétiens palestiniens, fut un refuge pour Jésus et ses apôtres juste après la résurrection de Lazare (Jean 11, 45-56). Saint Charles de Foucauld y séjourna, cherchant à mettre l’Evangile en pratique. Le soir, à Jérusalem, nous étions accueillis à l’abbaye bénédictine de la Dormition, communauté monastique qui porte dans la prière les intentions de nombreuses personnes et travaille au service du dialogue entre les croyants des trois grandes religions monothéistes. Après les vêpres, le temps du repas a permis un échange avec l’abbé Nikodemus Schnabel, à propos notamment des difficultés liées à la montée de l’extrémisme religieux en milieu juif. Sur les lieux où la Vierge Marie se serait endormie, selon la tradition, entourée des apôtres, notre délégation pria les complies avec la communauté bénédictine, confiant à la Mère de Dieu l’intention de la paix.
Le dernier jour de l’année, nous avons fait étape à Beit Sahour, un village proche de Bethléem, en Palestine, pour la célébration de la messe du dimanche de la Sainte Famille. Ce village est considéré comme ayant été construit là où les bergers furent avertis par les anges de la naissance du Christ. Le Grand Maître présida l’eucharistie dans l’église paroissiale, aux côtés du cardinal Pizzaballa qui concélébrait. Dans son homélie, le cardinal Filoni souligna comment Dieu s’est fait pèlerin parmi nous en s’incarnant au sein d’une famille, nous donnant l’exemple pour faire à notre tour de notre vie une rencontre dans l’amour avec les autres, quelque soit leur race ou leur culture.
Après la messe, notre délégation rencontra la communauté catholique locale, à l’occasion d’un déjeuner en commun avec le conseil paroissial. Les graves problèmes actuels furent évoqués, liés en particulier au chômage en Palestine, qui s’est aggravé depuis le 7 octobre en raison de l’impossibilité pour les travailleurs palestiniens de passer la frontière et de venir travailler en Israël. La peur ambiante est que rien ne soit plus jamais comme avant et que certaines zones de Cisjordanie, illégalement occupées par des colons juifs, soumises à l’injustice et au désespoir, subissent à terme le sort de Gaza.
Dans l’après-midi, une étape émouvante de prière pour la paix nous a réunis dans la basilique de la Nativité, à Bethléem, silencieuse et vide. Tous les trois, pèlerins de la paix, en compagnie du curé de Gaza, nous sommes restés de longues minutes en prière, les yeux fermés, assis près de la mangeoire, seuls dans la grotte où la Vierge donna naissance au Sauveur du monde. Ce fut pour moi le moment spirituel le plus fort de ce voyage, tant je me suis senti proche des bergers et des mages, désireux de louer le Dieu puissant qui s’est fait tout petit pour nous rejoindre, ce merveilleux conseiller, le Prince de la paix (Isaïe 9,5) qui nous invite à nous faire tout petits pour le trouver.
Après une visite au centre Effata de Bethléem – voulu par le Pape Paul VI lors de son pèlerinage historique en 1964 – où sont accueillis et soignés des enfants sourds et muets venus de toute la Palestine, nous sommes retournés à Jérusalem pour participer au Te Deum présidé par le Custode, Père Francesco Patton, dans la paroisse catholique latine de la ville sainte, tenue par des religieux franciscains.
Lors de la Journée Mondiale de la Paix, le 1er janvier, le Grand Maître concélébra la messe que présidait le cardinal Pizzaballa, dans la Pro-Cathédrale, en présence de nombreux fidèles venus confier l’année nouvelle à la Mère de Dieu, en ce jour de sa fête liturgique. À la fin de la célébration, le cardinal Filoni prononça un bref discours de remerciement pour l’accueil réservé à la petite délégation de l’Ordre en ces jours, puis il récita la prière pour la paix adressée à Notre-Dame de Palestine et rédigée par lui. Tous les participants, à qui le texte de cette prière avait été distribué au préalable, s’associèrent à cette invocation, avant la cérémonie des vœux du Patriarche. Dans l’après-midi les responsables du Vicariat Saint-Jacques, chargé notamment du soin pastoral d’une centaine de catholiques israéliens hébréophones, nous présentèrent leur oeuvre d’Eglise au coeur de la population juive.
L’avant-dernier jour de ce pèlerinage, nous avons marché sur les pas du Christ dans les rues actuellement désertes de Jérusalem – près des appartements exigus des familles chrétiennes qui nous recevaient quelques jours avant – spécialement le long de la Via Dolorosa, méditant à chaque station du Chemin de Croix. « Aujourd’hui le Golgotha est à Gaza », s’exclama une femme rencontrée, implorant les membres de l’Ordre et leurs amis de continuer à prier et à agir pour la paix en Terre Sainte. Dans l’après-midi, la délégation participa à la traditionnelle procession quotidienne organisée par les frères franciscains dans la basilique du Saint-Sépulcre, sur les lieux de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur. Avec les quelques pèlerins présents – un cierge allumé à la main – nous nous sommes recueillis au pied du Calvaire, près de la pierre de l’onction du corps du Crucifié, devant le tombeau vide et à l’endroit, marqué d’un grand cercle sur le sol, où Marie Madeleine rencontra le Ressuscité au matin de Pâques.
Avant de retourner à Rome, le 3 janvier, fête du Saint Nom de Jésus et de la Pro-Cathédrale du Patriarcat, à la fin d’un pèlerinage d’une semaine, nous nous sommes rendus de grand matin, à 6h30, dans la basilique du Saint-Sépulcre, pour une messe présidée au Golgotha par le Grand Maître. Tous les membres de l’Ordre avaient été invités la veille – par le moyen des réseaux sociaux – à s’unir à nous spirituellement car la paix suppose la conversion de chacun.
Une visite du Vicariat pour les migrants et les demandeurs d’asile s’est ensuite déroulée au Centre Sainte Rachel, à Jérusalem, où les enfants en bas-âge de ces personnes sont pris en charge dans la journée par le Vicariat. Le soutien pastoral et social de 70 000 travailleurs étrangers catholiques, en situation très précaire en Israël, originaires surtout d’Asie et d’Afrique, est assuré par le Patriarcat latin, grâce aussi à l’aide de l’Ordre.
En conclusion de ce pèlerinage pour la paix, un rendez-vous de l’au-revoir eut lieu au Patriarcat où le cardinal Pizzaballa, entouré de son staff, remercia encore l’Ordre du Saint-Sépulcre pour la solidarité concrète manifestée à l’égard de l’Eglise qui est en Terre Sainte, espérant que la démarche exceptionnelle de ce voyage encouragera les chrétiens à revenir prochainement dans les lieux saints, sur cette terre de Dieu (Zacharie 2,16), qui est lumière pour le monde et n’appartient pas aux hommes.
François Vayne
2 Comments
Très emu par ce récit. Merci de nous l’avoir partagé.
Un texte, des rencontres, qui nous laissent espérer que la Paix est possible . Merci pour ce partage.