Entretien avec le Père Pierre Brunet (59 ans), Vicaire Général de l’archidiocèse de Marseille, l’un des principaux collaborateurs du cardinal Jean-Marc Aveline pour l’accueil du Pape François dans la cité phocéenne, cette grande métropole méditerranéenne fondée vers l’année 600 avant Jésus-Christ par des marins grecs, originaires de Phocée, fuyant les invasions perses.
. Quelles sont les attentes de la population marseillaise, très cosmopolite, à l’égard de la venue du Pape dans votre diocèse, les 22 et 23 septembre prochains ?
. La ville et le diocèse de Marseille sont constitués historiquement de personnes de différentes cultures et de diverses religions, l’universalité est en quelque sorte l’ADN de la population qui vit autour de ce port international ouvert sur l’Orient. Les habitants de Marseille rentrent donc très naturellement dans la perspective des Rencontres méditerranéennes organisées cette semaine (17-24 septembre), qui seront clôturées par le Pape François, considéré ici comme le frère de tous. Ces Rencontres et ce voyage pontifical sont d’une certaine manière le fruit d’une longue préparation diocésaine, depuis la création il y a 30 ans de l’Institut de Sciences et Théologie des Religions (ISTR), par le Père Jean-Marc Aveline, avec le soutien à l’époque du cardinal Robert Coffy, archevêque de Marseille. Notre diocèse est en effet déjà très engagé à penser la foi et la mission dans un contexte de relations étroites, de vie et d’amitié, de tensions aussi parfois, avec les croyants des autres religions. Ce dialogue nous continuons à le vivre avec les juifs et les musulmans, nombreux à Marseille, à la lumière du grand texte conciliaire Nostra aetate, charte de la fraternité interrelieuse.
. Quelle est la spécificité des Rencontres Méditerranéennes organisées à Marseille, après celles de Bari (2020) et de Florence (2022) ?
.Quand notre archevêque, le cardinal Jean-Marc Aveline, a invité le Pape à Marseille, il lui a présenté ce projet comme une étape de son pèlerinage méditerranéen commencé il y a dix ans, l’été qui a suivi son élection, en juillet 2013, sur l’île de Lampedusa, où affluent des milliers de migrants en quête d’une vie meilleure. Cette visite à Marseille est directement liée à cet événement qui a marqué le début du pontificat de François. Elle s’inscrit aussi dans la dynamique des rencontres des évêques des cinq rives de la Méditerranée, avec cette année la spécificité de la présence des jeunes venus d’une trentaine de pays. Ils sont 80 jeunes délégués choisis en raison de leur engagement associatif, dont deux musulmans, d’Algérie et du Maroc, arrivés dimanche 17, pour travailler avec une soixantaine d’évêques – face à la mer, au Palais du Pharo – à un document qui sera présenté au Pape samedi 23. Tout notre diocèse est bien sûr mobilisé autour ces Rencontres méditerranéennes. Les jeunes et les évêques iront à la rencontre des chrétiens du diocèse dans une vingtaine de paroisses, pour une soirée d’échange, le jeudi 21. Des rendez-vous multiples sont prévus, tels qu’un festival, des concerts, des conférences – il y a même au programme un tournoi de football interreligieux – et nous accueillons aussi les directeurs de l’enseignement catholique des pays concernés ainsi que les recteurs des sanctuaires mariaux de la Méditerranée… Vendredi, avant l’arrivée du Pape à 16h, tout le monde pourra se retrouver sur l’esplanade de la cathédrale, la Major – fondée sur le lieu où Marie-Madeleine prêcha l’Evangile – pour un « Village » animé par 70 associations, mouvements et réalités ecclésiales.
. Comment va se dérouler, à Notre-Dame de la Garde, le grand moment de prière interreligieuse pour les disparus en mer?
. Dès son arrivée à Marseille, François est attendu par les prêtres et les consacrés à Notre-Dame de la Garde, célèbre sanctuaire marial cher au cœur de tous les Marseillais. À 18h, le Saint-Père se rendra au fond du parking de la basilique, qui domine la Méditerranée, pour se recueillir devant le monument dédié aux personnes disparues en mer. Ce moment de prière interreligieuse sera animé par l’association Marseille Espérance fondée en 1990 pour favoriser le dialogue entre autorités civiles, le Maire de la Ville, et les responsables religieux, dans un contexte local de laïcité positive, où les religions sont respectées et acceptées au cœur de la vie sociale.
. Le chef de l’Etat français sera présent parmi les 60 000 personnes attendues à la messe présidée par le Saint-Père, samedi 23 septembre au stade Vélodrome. Tandis que les frontières se referment, pensez-vous que la parole du successeur de Pierre réveillera les consciences en France et en Europe à propos de l’accueil des migrants?
. Nous espérons beaucoup que les paroles du Pape sur le respect et l’accueil que l’on doit aux personnes qui fuient la guerre et la misère auront un effet en France spécialement, qu’elles pourront contribuer à « faire bouger les lignes ». Une nation ethniquement pure n’existe pas, c’est même une absurdité dangereuse de militer pour cela ! N’oublions pas que Marseille est née d’un mariage légendaire entre un grec venu de Phocée, Protis, et une fille d’une tribu locale, Gyptis. N’oublions pas non plus que l’Evangile est arrivé à Marseille puis s’est diffusé en France par l’intermédiaire de migrants, des amis de Jésus, Marie Madeleine et Lazare selon une tradition bien enracinée. Sans les migrants catholiques beaucoup de paroisses de Marseille seraient vides aujourd’hui, dans certains lieux sans eux il n’y aurait plus de communauté chrétienne. De même pour le clergé, avec des prêtres et des religieux venus d’ailleurs qui se mettent au service de notre diocèse. L’Eglise est rénovée, renouvelée, régénérée, par les migrants, et cela est vrai pour toute la vieille Europe.
Propos recueillis par François Vayne