Le Pape revient d’Arménie, charnière de l’Eurasie, avec une reproduction de l’Arche de Noé, dans laquelle est planté un petit arbre sur de la terre venant de plusieurs pays de la diaspora arménienne, d’Irak, de Syrie, d’Iran, et de Terre Sainte. Le mont Ararat, où aurait été retrouvée l’Arche, symbole du salut que Dieu offre à la Création par le moyen de son alliance avec l’humanité, est situé sur le territoire de la plus ancienne nation ayant accueilli collectivement la foi au Christ, en l’an 301, anticipant de douze ans la conversion de Constantin et de tout l’empire romain avec lui. Une nation qui a payé très cher sa fidélité au christianisme, notamment lors du génocide perpétré par l’armée turque, en 1915, tandis que beaucoup d’Arméniens s’étaient alliés à la grande Russie orthodoxe dans la guerre qui l’opposait à l’empire musulman ottoman. François a tenu à aller se recueillir au mausolée de Tzitzenakaberd qui fait mémoire de ce premier génocide du XXème siècle au cours duquel un million et demi de personnes, hommes, femmes et enfants, furent immolés comme des agneaux innocents, dans des conditions atroces, en particulier par des crucifixions publiques dont témoignent de nombreuses photos de l’époque.
Sans craindre les réactions de la Turquie et de ses alliés, le Saint-Père avait prononcé le mot « génocide » devant les autorités civiles et le corps diplomatique, dès son arrivée à Erevan - comme il l’avait déjà fait publiquement à Rome le 12 avril 2015 pour le centenaire de ces tragiques évènements - puis il a expliqué durant ce voyage de trois jours que la mémoire éclairée par la foi doit s’accompagner de projets de réconciliation et de paix.
Le Saint-Père n’a en effet pas cherché à raviver des plaies pour susciter des polémiques, même si ses propos provoquent notamment la protestation du gouvernement turc. Avant son départ, dimanche soir, il a lâché des colombes près de la frontière turque, avec Karékine II, Patriarche de tous les Arméniens, se situant dans une perspective de miséricorde, seule capable d’ouvrir de nouveau l’avenir en ces temps de troublés. « Nous sommes appelés à construire des chemins de communion, sans jamais se fatiguer, à édifier des ponts d’union et à dépasser les barrières de séparation », disait-il par exemple pendant l’homélie de la messe célébrée à Gyumri en présence d’une foule immense, citant saint Grégoire de Narek, docteur de l’Eglise universelle et « voix de l’Arménie », « qui a toujours mis en dialogue les misères humaines et la miséricorde de Dieu ».
Pour mieux comprendre cette logique spirituelle dans laquelle nous fait progresser le Saint-Père, il est bon de revenir à une confidence qu’il a faite récemment, à l’audience publique du mercredi 22 juin, quand il a évoqué sa brève prière, avant d’aller au lit, « Seigneur, si tu veux,tu peux me purifier !», s’inspirant des mots du lépreux adressés à Jésus (Luc 5, 12). Il a précisé qu’il dit chaque soir cinq Notre Père , « un pour chaque plaie de Jésus, parce que Jésus nous a purifiés avec ses plaies ». Ne pourrions-nous pas nous aussi prier ainsi, invoquant la miséricorde du Père céleste par les cinq plaies du Christ qui, devenues cicatrices, témoignent de son amour vainqueur?
Fort de la miséricorde, le chrétien devrait avoir pour carte de visite l’amour concret, comme François l’a répété en Arménie, car « Dieu demeure dans le cœur de qui aime ; Dieu habite où l’on aime, spécialement où l’on prend soin, avec courage et compassion, des plus faibles et des pauvres ».
L’actualité européenne marquée par la peur et l’orgueil, la fermeture sur soi, semble il est vrai aller contre cet appel persistant du Pape. Ainsi l’Angleterre vient de choisir de quitter l’Europe, avec le vote historique du Brexit elle est « out ». Doit-on seulement s’en plaindre ou au contraire y trouver le motif d’une nouvelle prise de conscience, pour éviter ce mauvais exemple et renforcer nos liens géographiques naturels avec des pays qui n’ont pas renoncé à leurs racines spirituelles?
Le Royaume-Uni ne voyait-il pas que des intérêts commerciaux dans l’Union européenne, n'a-t-il pas toujours ménagé sa relation à Washington, bloquant l’embryon de défense européenne au profit de la suprématie de l’OTAN, allant combattre aux côtés des Etats Unis en Irak contre l’avis de la France et de l’Allemagne, et portant en conséquence aussi la responsabilité de la situation désastreuse au Moyen-Orient?
Avec le voyage du Pape en Arménie, pays membre de l’Union économique eurasiatique, nos yeux se sont tournés vers un autre horizon, et l'on peut se demander si, afin de sortir de l’enfermement guerrier imposé par une idéologie libérale matérialiste qui sème partout la mort des âmes, l’Eurasie unie ne serait pas pour nous, à long terme, la solution?