Irène est née dans la rue, une nuit de l’hiver 2016, à deux pas de la basilique Saint-Pierre, tandis que la crèche, sur la place, était encore proposée à la contemplation des pèlerins. Les parents du bébé, Maria et Rasvan, des sans-abris d’origine roumaine, avaient élu domicile sous un porche, chaque soir depuis cinq mois, avec leur chien Pizzy. Appelée au secours par le papa affolé, alors que Maria ressentait de douloureuses contractions, c’est une policière en service dans le quartier, Maria Capone, qui a aidé la maman a accoucher au milieu des cartons, alors que la température avoisinait zéro degré. Dès le matin Mgr Konrad Krajewski, aumônier du pape chargé des questions caritatives, est allé avertir cette petite famille que François avait décidé de la prendre en charge pendant un an. Apprenant la nouvelle, les paroles du Saint-Père pendant la messe de l’Epiphanie me revenaient en mémoire : « C’est dans la simplicité de Bethléem que se trouve résumée toute la vie de l’Eglise ». Il nous indiquait que la mission de l’Eglise n’est pas de faire du prosélytisme, mais de refléter la lumière qui émane du visage du Christ. « L’Eglise est véritablement comme la lune; elle brille non pas de sa propre lumière mais de celle du Christ », précisait-il en citant saint Ambroise.
C’est au nom de cette mission, de ce service – faire resplendir la lumière du Christ – que François a écrit aux dirigeants de la planète et des élites économiques, réunis récemment à Davos, en Suisse, pour le Forum économique mondial sur le thème de la « quatrième révolution industrielle ».
Dans un contexte géopolitique marqué par les attentats et la crise migratoire, il rappelle les menaces de destruction de la personne humaine, et désigne le danger que représente « la transformation de notre planète en un jardin vide pour le plaisir de quelques élus ». « L’homme doit guider le développement technologique, sans se laisser dominer par lui », souligne-t-il avec force, en insistant pour ne jamais permettre que « la culture du bien être nous anesthésie » au point de nous rendre incapables « d’éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres ».
« N’oubliez pas les pauvres! » lance-t-il en forme d’alarme aux participants du Forum de Davos, continuant de susciter l’ouverture des cœurs aux « nouveautés de l’Esprit Saint », avant qu’il ne soit trop tard, désireux de favoriser en chacun une révolution intérieure, un changement d’ordre spirituel.
Trois ans déjà après la démission de Benoît XVI, ce Jubilé de la Miséricorde, que François a voulu en urgence dix ans avant la date prévue pour un jubilé ordinaire, fait résonner en nous le texte du prophète Isaïe lu par Jésus dans la synagogue de Nazareth au début de son ministère public : « L’Esprit du Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés… ».
Il s’agit d’une libération de l’égoïsme, de l’envie et du repli sur soi, une guérison à demander, plus nécessaire que jamais.
Le don de l’empathie et de la compassion
Le pape donnait ces derniers jours l’exemple biblique de David, qui fit tuer son officier dévoué, Urie le Hittite, pour prendre sa femme, avant de reconnaître sa barbarie, et de demander pardon en reconnaissant son péché devant le prophète Nathan. « Il n’y a pas de saint sans péché, ni de pécheur sans futur », disait le Saint-Père, nous invitant à recourir sans attendre au sacrement du pardon.
Je repense souvent aux paroles de son premier angélus, le 17 mars 2013 : « Rappelons-nous du prophète Isaïe, qui affirmait que même si nos péchés étaient rouges comme l’écarlate, l’amour de Dieu les rendrait blancs comme la neige. C’est beau, la miséricorde ! ». Il nous racontait qu’à peine nommé évêque, en 1992, la statue de la Vierge de Fatima était arrivée à Buenos Aires et qu’à cette occasion une grande messe pour les malades avait été célébrée, au cours de laquelle une femme âgée lui fit mieux comprendre que « si le Seigneur ne pardonnait pas tout, le monde n’existerait pas… ».
Au début du Carême, à l’occasion du Mercredi des Cendres, il enverra dans le monde entier des « missionnaires de la Miséricorde » choisis sur tous les continents en accord avec leurs évêques, pour prêcher et pardonner les péchés les plus graves. Le corps de saint Padre Pio, inlassable confesseur canonisé par Jean-Paul II en 2002, sera vénéré par les fidèles dans la basilique Saint-Pierre du 5 au 11 février, ainsi que les reliques de saint Léopold Mandic, prêtre capucin d’origine croate, qui fut lui aussi un authentique témoin de l’amour de Dieu (1).
Tous deux intercèdent pour la guérison de notre mémoire blessée, et pour nous orienter dans des processus de réconciliation. Comprendrons-nous à temps qu’il n’y a pas de changement profond et durable sans conversion personnelle, et comme des pauvres, les mains ouvertes, dans la prière, aurons-nous l’humilité de demander à Dieu le don de l’empathie et de la compassion?
(1) Leurs portraits, réalisés en mosaïque par le Père Rupnik, illustre cet article sur une photo que j’ai prise l’été dernier lors d’un pèlerinage au sanctuaire de San Giovanni Rotondo où repose Padre Pio.