Aux côtés de frère Michel, rejoindre nos « racines priantes »
Qu’est-ce qui a bien pu conduire Michel Fleury, né en 1944 dans le Pays nantais, à devenir moine en Algérie jusqu’à verser son sang, à 52 ans, en fidélité à l’appel reçu ? Ayant travaillé à la ferme paternelle dans son enfance, il aimait s’occuper du jardin de la communauté de Tibhirine auprès de laquelle il officiait aussi comme cuisinier. Le prieur, ayant discerné en lui une particulière capacité d’écoute de la Parole de Dieu, l’avait institué « lecteur », le chargeant d’entretenir la fidélité de tous à la lecture des Ecritures. Mettre en pratique l’Evangile, intensément, fut son grand idéal.
Après avoir étudié au séminaire en vue du sacerdoce, il avait changé de voie et rejoint le monde ouvrier comme simple frère, dans l’esprit du bienheureux Antoine Chevrier, fondateur de l’Institut du Prado, passant son certificat d’aptitude professionnelle de fraiseur industriel. Employé en usine à Lyon, Paris et Marseille, il s’était engagé syndicalement, vivant dans un foyer d’immigrés maghrébins. La foi de ces travailleurs étrangers musulmans, malgré leur situation de précarité, le toucha profondément. Délicat et sensible, il se sentait concerné par la souffrance des autres, portant leurs douleurs.
Homme discret, attiré progressivement par la contemplation, sa grande intériorité l’entraîna vers l’abbaye de Bellefontaine en 1980, puis vers Tibhirine en 1984. Il avait trouvé comment unir les deux dimensions de sa vocation, l’attrait pour la prière et le dialogue concret avec les croyants de l’islam. « Priants parmi d’autres priants », selon leur expression, frère Michel et ses compagnons contribuaient à rendre l’Eglise catholique respectable et crédible en terre d’islam.
Comme un appel à la prière qui retentit jusqu’à nous aujourd’hui, le dernier signe qu’ils ont laissé est la « coule » de frère Michel, son vêtement blanc utilisé pour chanter l’office, symbole de sa vie consacrée, offerte. Elle a été retrouvée sur la route près du monastère, dans l’herbe pleine de rosée, juste après l’enlèvement. Cet habit liturgique illustre la « célébration » vers laquelle les frères s’en sont allés. « Esprit Saint Créateur, daigne m’associer – le plus vite possible – au mystère pascal de Jésus-Christ, par les moyens que Tu voudras et pour ce que Tu voudras…» (1), demandait frère Michel dans son « acte d’offrande » signé le 30 mai 1993, veille de la Visitation qui coïncidait avec l’Aïd-el Kbir, la fête musulmane commémorant le sacrifice d’Abraham.
Il était membre du Ribat es-Salam (Lien de la Paix), ce groupe né à l’ombre du monastère pour vivre une solidarité spirituelle avec les musulmans, dans la prière. Sa persévérante intercession pour être « le canal d’autres cris » fut la source cachée de son expérience solidaire. C’est en même temps le grand secret du rayonnement universel des sept martyrs. De fait, l’opération criminelle qui avait pour but d’élever un mur entre chrétiens et musulmans a finalement renforcé la « culture de la rencontre » prônée par le Pape François. Ce retournement de situation est probablement le fruit du témoignage des bienheureux moines de l’Atlas, incorporés au Christ par une charité active que la prière irriguait.
De laïcs avaient pris l’habitude, en les fréquentant, de pratiquer eux aussi la méditation amoureuse et vivifiante des textes bibliques. Qui sait quel miracle pourrait se produire si, aux côtés du bienheureux frère Michel, dans la communion des saints, davantage fidèles à la lecture et à l’écoute de la Parole Dieu, nous allions à notre tour rejoindre nos « racines priantes » pendant ce Carême?
François Vayne
(1) Moines de Tibhirine, Heureux ceux qui espèrent (Bayard-Cerf-Bellefontaine)
Lire aussi mon livre La vie et le message des sept moines de Tibhrine (éditions Nouvelle Cité), écrit avec le Père Thomas Georgeon, postulateur de la cause de béatification de ces nouveaux martyrs et nouvel Abbé de la Grande Trappe.
1 Comment
Merci du beau témoignage de frère Michel .
Nous vous remercions de nous informer de vos publications et interventions publiques.
Bien fraternellement