A la suite de frère Paul de Tibhirine, se donner dans le détail des journées
Lors d’une célébration du Jeudi Saint à Tibhirine, frère Christian, le prieur, soulignait la difficulté de persévérer quotidiennement sur le chemin du don de soi : « D’expérience nous savons que les petits gestes coûtent souvent beaucoup, surtout quand il nous faut les répéter chaque jour. Nous avons donné notre cœur « en gros » à Dieu et cela nous coûte fort qu’il nous le prenne au détail… ».
Vivre ainsi le moment présent en le comblant d’amour, c’était concrètement ce qui comptait aux yeux de frère Paul Favre-Miville, le bricoleur de la communauté, mort martyr à 57 ans. Les habitants de la région de Médéa, au sud-ouest d’Alger, le croisaient régulièrement dans sa salopette bleue, au volant de la voiture du monastère chargée de tuyaux et d’objets utiles à l’irrigation. Parmi ces moines laborieux, il était responsable de toute l’installation d’eau, essentielle à l’exploitation agricole, pour sécuriser les plantations.
Avec les algériens associés, il aidait frère Christophe aux travaux du jardin et s’occupait aussi de l’atelier et du chauffage de la vieille bâtisse monastique. « Toujours pris entre graisses, huiles, moteurs et câbles, il ne manquait jamais à la liturgie et toujours il s’y présentait paisible et bien propre », raconte volontiers frère Jean-Pierre, survivant de la tragédie. Tandis que la violence s’amplifiait en Algérie, aux pires heures de la guerre civile, frère Paul écrivait dans une lettre de janvier 1995 : « L’Esprit est à l’œuvre, il travaille en profondeur dans le cœur des hommes. Soyons disponibles pour qu’il puisse agir en nous par la prière et la présence aimante à tous nos frères ».
Ouvert aux autres et doué d’un grand sens de l’humour, il avait été pompier volontaire, membre de la chorale de son village, conseiller municipal, brancardier au sanctuaire de Lourdes, avant d’entrer à la Trappe de Tamié, à l’âge de 45 ans, abandonnant son métier de plombier-chauffagiste qu’il exerçait dans les Préalpes de Savoie. Il portait l’Algérie dans le cœur depuis son service militaire effectué en tant que sous-lieutenant parachutiste durant la guerre d’indépendance, parmi les « bérets rouges » d’un régiment d’élite.
Quand frère Christian de Chergé, en quête de vocations, vint rencontrer la communauté de Tamié, il suscita en frère Paul le désir de retrouver le pays dont il était tombé amoureux à l’âge de 20 ans, ce qu’il fit en 1989. Comme les autres moines qui avaient participé à la guerre d’Algérie, Christian et Célestin, frère Paul voulait être une passerelle vivante pour la réconciliation des mémoires, participant à maintenir une présence chrétienne en Algérie qui témoigne simplement de la réalité du corps du Christ.
« Aimer jusqu’au bout du quotidien », dans une profonde cohérence entre idéal de vie et existence de tous les jours, caractérise le message de Tibhirine qu’il a incarné parfaitement. Cependant, « ce n’est pas réservé aux moines et aux moniales : nous sommes tous appelés à donner notre vie dans le détail de nos journées, en famille, au travail, dans la société, au service de la « maison commune » et du bien de tous », indique clairement le Pape François dans sa préface à l’ouvrage collectif intitulé Tibhirine, l’héritage. « Nous sommes invités – poursuit-il – à être à notre tour signes de simplicité et de miséricorde, dans l’exercice quotidien du don de soi »(1).
A la suite de frère Paul, spécialement durant ce Carême, pour chacune et chacun d’entre nous, il s’agit de chercher à se donner dans les petites choses, sans se décourager, à chaque instant de notre existence.
François Vayne
(1) Collectif, Tibhirine, l’héritage, Bayard 2016
Lire aussi mon livre La vie et le message des sept moines de Tibhrine (éditions Nouvelle Cité), écrit avec le Père Thomas Georgeon, postulateur de la cause de béatification de ces nouveaux martyrs et nouvel Abbé de la Grande Trappe.