Avant le voyage à haut risque de François en Afrique noire, à la fin de ce mois de novembre, je voudrais revenir sur ce qu’il a dit au 5ème Congrès national de l’Eglise italienne, à Florence, tournant la page d’une période où l’Eglise était trop liée au pouvoir politique et financier. Son discours du 10 novembre constitue il me semble comme une « petite encyclique » à ce sujet, dont la portée dépasse largement le cadre italien. Elle se révèlera probablement de très grande valeur avec le temps, dans l’histoire de ce pontificat qui accompagne un changement d’époque. Le Pape venait de s’exprimer publiquement au sujet de la pesante affaire Vatileaks 2, l’avant-veille de sa journée à Florence. « Je veux vous assurer que ce triste fait ne m’écarte pas du travail de réforme que nous sommes en train d’accomplir avec mes collaborateurs et le soutien de vous tous », affirmait-il dimanche 8 novembre, à l’angélus, après avoir ouvertement parlé du délit que constitue ce vol des documents confidentiels – intervenu au printemps 2014, à quelques semaines de son pèlerinage en Terre Sainte – « acte déplorable » suivi par la récente publication de deux livres à scandale destinés à entraver sa volonté de réforme, et à le délégitimer au plan international… « L’Eglise se renouvelle avec la prière et la sainteté quotidienne de chaque baptisé », concluait-il, confiant dans la protection céleste.
Continuant sa route il s’est exprimé clairement devant les 220 évêques de la Péninsule réunis dans la capitale de la Toscane, berceau de la Renaissance en Italie, leur expliquant pourquoi et comment l’Eglise doit changer en s’affranchissant des puissants. « Jésus est notre humanisme », a-t-il rappelé, suggérant aux évêques de se laisser « inquiéter » – comme saint Augustin – par sa demande : « Vous, qui dites-vous que je suis » (Matthieu 16,15).
« Le visage de Jésus est semblable à celui de tant de nos frères humiliés, rendus esclaves, vides, sans force et sans idéal. Dieu a assumé leur visage. Et ce visage nous regarde », a poursuivi le Pape. « Si nous ne nous abaissons pas nous ne pourrons pas voir son visage. Nous ne verrons rien de sa plénitude si nous n’acceptons pas que Dieu se soit vidé… », indiqua-t-il pour mieux faire comprendre ce qu’il entend par « humanisme chrétien ».
Ainsi il a demandé aux pasteurs de l’Eglise d’être humbles, désintéressés, et de vivre les Béatitudes, en ayant « le cœur ouvert au Saint Esprit ». « Nous ne devons pas être obsédés par le pouvoir, même quand il prend les apparences d’un pouvoir utile et fonctionnel à l’image sociale de l’Eglise », souligna-t-il aussi, en répétant qu’il préfère « une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie dans les rues, plutôt qu’une Eglise malade de fermeture et de confort, agrippée à ses propres sécurités ».
Les deux tentations d’une Eglise dure et coupée du réel
Il a désigné deux tentations, celle du pélagianisme dur et normatif qui s’appuie sur les planifications abstraites, et celle du gnosticisme désincarné et coupé de la réalité, enfermé dans des idées pures, stériles et sans dynamisme.
Au pélagianisme il oppose que la doctrine chrétienne n’est pas un système fermé, sans interrogations, mais qu’elle a un visage non rigide et une « chair tendre » parce qu’elle s’appelle Jésus Christ… Au gnosticisme qui renferme la foi dans le subjectivisme des raisonnements et des connaissances, perdant « la tendresse pour la chair du frère », il répond par le mystère de l’incarnation, par la Parole de Dieu mise en pratique dans la vie des saints qui ont aimé les gens, de François d’Assise à Philippe Neri, expérience féconde si bien popularisée au cinéma avec le personnage de don Camillo… « Proximité aux gens et prière sont les clés pour vivre un humanisme chrétien populaire, humble, généreux et heureux », résuma François, citant en exemple un prêtre de Florence qui a accueilli un jeune immigré albanais de 16 ans devenu prêtre à son tour aujourd’hui.
« Aux évêques je demande d’être pasteurs, rien de plus : pasteurs ! », insista-t-il, les exhortant à regarder vers Jésus et à imiter son cœur. « Voyons Jésus qui mange avec les pécheurs (Marc 2,16) ; contemplons-le en conversation avec la Samaritaine (Jean 4, 7-26), épions-le tandis qu’il rencontre de nuit Nicodème (Jean 3,1-21) ; goûtons avec affection la scène où il se fait laver les pieds par une prostituée (Luc 7,36-50), sentons sa salive sur la pointe de notre langue pour qu’elle se libère (Marc 7,33). Admirons la « sympathie de tout le peuple » qui l’entoure avec ses disciples – c’est-à-dire nous – et expérimentons « leur joie et simplicité de cœur » (Actes 2, 46-47) », proposa le Pape, revenant sur l’importance d’aller à l’essentiel, « le kerygme », cette annonce joyeuse de la mort et de la résurrection du Christ qui porta les premiers chrétiens jusqu’aux « extrémités de la terre ».
Une Eglise avec un visage de maman, qui comprenne et caresse
Enfin, après avoir plaidé pour « la pauvreté évangélique, créative, accueillante, et riche d’espérance » il a encouragé les évêques à « dialoguer – et non à négocier – en construisant des projets, non seulement entre catholiques mais avec tous ceux qui sont de bonne volonté ». Devant ce qui est plus « un changement d’époque » qu’une époque de changement, François veut que les difficultés soient vécues comme des défis et non comme des obstacles, appelant les évêques à ne pas construire des murs ni des frontières mais des places et des hôpitaux de campagne, en accompagnant en priorité ceux qui sont au bord de la route, « boiteux, estropiés, aveugles et sourds » (Matthieu 22,9).
« J’aime une Eglise italienne inquiète, toujours plus proche des abandonnés, des oubliés, des imparfaits. Je désire une Eglise joyeuse avec un visage de maman, qui comprenne, qui accompagne, qui caresse », conclua-t-il en donnant pour consigne aux évêques de rêver eux-aussi d’une telle Eglise, de croire en elle et d’innover avec liberté.
Une nouvelle page de l’histoire a commencé à s’écrire, loin des compromissions mondaines qui ont défiguré l’Eglise qui est en Italie non seulement au long des siècles mais aussi ces dernières décennies.