Au début de l’audience générale hebdomadaire, sur la place Saint-Pierre, le Pape a demandé pardon, de manière exceptionnelle, pour les récents scandales qui ont secoué l’Eglise dans la Ville éternelle. Il faisait probablement allusion au « coming out » d’un prélat polonais, fonctionnaire du Vatican, qui a présenté son compagnon à la presse, ainsi qu’à une affaire de prostitution masculine dans une paroisse romaine administrée par les Carmes Déchaux. « Je voudrais, au nom de l’Eglise, vous demander pardon pour les scandales qui ces derniers temps se sont produits, à Rome comme au Vatican », a dit François, dont le son de la voix témoignait d’une grande peine. Il a salué, à la fin de l’audience, le groupe de mineurs chiliens qui était resté soixante-dix jours sous terre après l’effondrement d’une mine à San José, les remerciant d’avoir montré « ce que signifie l’espérance ».
Dans cette espérance qui traverse et dépasse les ténèbres, le Pape veut nous affermir, alors que le second Synode sur la famille, à mi-parcours, fait apparaître des résistances aux ouvertures pastorales que propose l’Instrumentum laboris, le document de travail écrit à partir d’une très large consultation universelle. Le trouble au sujet de ce Synode s’est propagé dans l’opinion publique en raison d’une lettre contestataire adressée au Pape, signée par quelques cardinaux, diffusée de façon malveillante sur un site manifestant une opposition idéologique à l’actuel pontificat. Face aux questions soulevées par ce document au contenu invérifiable, le Père Federico Lombardi, directeur de la Salle de Presse du Saint-Siège, a appelé les journalistes à « ne pas se laisser conditionner », d’autant qu’au moins quatre cardinaux prétendus signataires ont démenti être impliqués.
Il n’en demeure pas moins vrai que le débat est vif autour de l’articulation entre miséricorde, vérité et justice, notamment en ce qui concerne la question de l’accès aux sacrements pour les divorcés remariés. C’est la pierre d’achoppement, « la question qui cristallise les différentes approches qui s’expriment dans cette assemblée », selon Romilda Ferrauto, directrice du programme francophone de radio Vatican, proche collaboratrice du Père Lombardi, chargée avec d’autres de rendre compte de ce Synode devant la presse.
Sans parler de blocage, il semble pour l’heure encore difficile de parvenir à un consensus et ce n’est pas un hasard si le Pape est revenu le 15 octobre, lors de la messe matinale, sur les docteurs de la loi qui « raccourcissaient les horizons de Dieu », rendant « tout petit l’amour de Dieu »… Il a rappelé que « la gratuité du salut » est la vraie doctrine annoncée par Jésus et par saint Paul, la synthèse des commandements étant d’aimer Dieu et le prochain.
François considère que seul ce comportement d’amour, « un amour sans limites », permet d’être « à la hauteur de la gratuité du salut, parce que l’amour est gratuit ». « De nombreux saints ont été persécutés pour défendre l’amour, la gratuité du salut, la doctrine. Tant de saints. Pensons à Jeanne d’Arc », a-t-il ajouté, précisant que cette lutte « ne finit pas », et nous demandant de ne pas nous laisser « tromper par les docteurs qui limitent cet amour »… Message parfaitement clair, à nouveau.
Il veut nous faire découvrir ou mieux comprendre que la miséricorde n’est pas à côté de la doctrine, mais qu’elle en est le cœur, au-delà de la loi, comme il l’a développé dans la bulle d’indiction du prochain Jubilé, Misericordiae Vultus (n°20 et n°21).
Aujourd’hui comme aux temps bibliques…
Le Synode est pour François un temps favorable qu’il offre à toute l’Eglise afin de sortir de l’abstraction et d’entrer dans la relation, parce que le christianisme n’est pas une idéologie mais la rencontre avec une Personne.
Ainsi s’explique la place essentielle désormais accordée aux carrefours ou « circoli minores » qui ont pour ainsi dire « une influence civilisatrice » sur le Synode, comme le dit l’abbé bénédictin allemand Jeremias Schröder, un des participants à ces échanges féconds.
Le cardinal Vincent Nichols, archevêque de Westminster, parle à ce propos d’une riche créativité, invitant à lire avec attention les conclusions des groupes de travail qui seront intégrées dans la relation finale. « Les histoires humaines en quête de bonheur, aujourd’hui comme au temps bibliques, sont complexes… marquées par leur contexte culturel. Cette complexité est le lieu et l’occasion de la manifestation de la miséricorde de Dieu », note par exemple un de ces groupes où la parole des auditeurs laïcs, hommes et femmes, est prise en compte comme jamais cela ne s’était produit depuis que l’institution synodale a été fondée, il y a 50 ans.
Le rôle du laïcat est reconnu et exalté, en fidélité aux intuitions et à la volonté de celui que François désigne comme « le grand timonier » du Concile Vatican II, le bienheureux Paul VI. N’est-ce pas lui qui fit de l’entrée des auditeurs laïcs au Concile, par une décision communiquée en juillet 1963, un symbole du point de vue ecclésiologique?
Une nouvelle mentalité fraternelle
« Faisons confiance à l’Esprit-Saint. C’est dans l’échange des confrontations et le choc des points de vue qu’il fera jaillir la lumière, nous révélant les surprises de Dieu dont le Pape François aime tant nous parler. Oui, faisons confiance à l’Esprit », écrivent les membres d’un des carrefours dont le modérateur est Mgr Maurice Piat, évêque de Port Louis à l’Ile Maurice.
« Du choc jaillit la lumière », résume avec confiance le cardinal africain Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou. Il compare le Synode à une séance familiale de « palabre » dans la savane africaine, où le père écoute ses enfants s’exprimer, librement, avant de dire une parole de sagesse pour sauvegarder la communion entre tous.
Les jeunes communautés chrétiennes d’Afrique par exemple, qui ont parfois à peine un siècle d’existence, attendent que le Synode resitue l’essentiel du dessein de Dieu sur le mariage et la famille, comme l’explique Mgr Ouédraogo, et en même temps tienne compte des spécificités de ce continent où la polygamie est très répandue.
Au vu de la diversité des situations, en fonction des continents, parmi les suggestions issues des « circoli minores » l’idée se répand peu à peu de laisser les conférences épiscopales régionales décider des orientations pastorales à prendre en fonction des « zones culturelles », sur la base de critères doctrinaux réaffirmés de manière positive. Il s’agirait notamment de parler de fidélité et d’indissolubilité en termes de don et d’appel plutôt qu’en termes juridiques de devoir.
« Une nouvelle mentalité fraternelle » se développe en tout cas progressivement dans l’Eglise, constate une auditrice, Thérèse Nyirabukeye, du Rwanda, qui y voit la réalisation du souhait de François pour régénérer aussi la société à partir des familles, de toutes les familles comme elles sont, réseaux d’amour et de solidarité dans l’océan d’un égoïsme globalisé.
Entrant bientôt dans sa troisième et dernière semaine, le Synode est accompagné par la prière du peuple de Dieu, notamment à Sainte Marie Majeure, auprès des reliques de Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de Lisieux, qui sont canonisés ce dimanche 18 octobre à Rome.