Chers amis, beaucoup d’entre vous m’ont connu à Lourdes, où j’ai travaillé 26 ans au service des publications et des relations publiques du sanctuaire international, en confiance avec des évêques qui ont eu à coeur de préserver la spécificité de ce haut-lieu spirituel, largement ouvert à tous. Pour s’y recueillir il n’a en effet jamais été nécessaire de franchir au préalable le seuil d’une église. S’étant manifestée en marge de toute structure institutionnelle, la Mère de Dieu a voulu que chacun se sente accueilli à bras ouverts à la Grotte, sans aucune barrière, même symbolique.
La famille Soubirous, très pauvre, n’avait pas bonne réputation dans la paroisse quand Bernadette a rencontré la mystérieuse “petite demoiselle”, au creux du rocher de Massabielle, venue lui révéler sa profonde dignité. L’adolescente n’était certainement pas considérée comme une “bonne chrétienne”, n’ayant même pas fait sa première communion, à 14 ans…
Aujourd’hui, en ce temps de crise à tous les niveaux, la voyante de Lourdes rejoint toujours davantage les personnes en difficulté morale ou matérielle, pour leur délivrer un extraordinaire message d’espérance. C’est afin de relayer l’actualité de son témoignage que je viens d’écrire un nouveau livre consacré à elle, diffusé dans tous les kiosques à journaux de France.
Cet effort de communication extra-muros dépasse largement le cercle des catholiques pratiquants, en fidélité à “l’événement fondateur” de Lourdes, et bien à l’unisson des intuitions prophétiques du Pape François qui nous appelle à annoncer la joie de l’Evangile aux périphéries existentielles.
Voici, pour vous, lecteurs de ce blog, les premières pages de cet ouvrage que j’espère vous pourrez lire intégralement et contribuer à faire rayonner généreusement, dans un esprit de fraternité universelle, comme nous l’avons réalisé jusqu’en 2012 avec la revue Lourdes Magazine.
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Introduction
Quand, en mai 1867, une nouvelle arrivée au couvent de Nevers identifia la petite voyante de Lourdes en s’exclamant « ça ! », Bernadette lui répondit en souriant : « Mais oui, Mademoiselle, ce n’est que ça… ».
Avec humilité, sans concessions ni demi-mesures, Bernadette mit ainsi l’Evangile en pratique, étant devenue religieuse infirmière à Nevers, dans la Nièvre, au cœur de la France, après avoir quitté pour toujours sa famille, et sa chère grotte des apparitions, il y a 150 ans.
A l’occasion de cet anniversaire, tandis selon la presse de plus en plus de pèlerins décident de faire à pied le chemin vers Nevers, voici un nouveau livre sur ce que fut la courte vie de sainte Bernadette, son message et son héritage universels.
Son nom, Soubirous, signifie « souverain » en patois pyrénéen, comme si le Ciel voulait à travers elle manifester la dignité royale de tous les baptisés. Bernadette, humble et souveraine, gloire du peuple de Dieu !
« Ce que l’on écrira de plus court sera le meilleur », disait-elle avant sa mort, à l’âge de trente-cinq ans, après avoir passé treize années données au Christ dans la communauté des sœurs de la Charité.
Cet ouvrage n’a pas d’autre ambition que de revenir aux faits, à l’essentiel, loin du marketing sans âme en vogue dans certains sites de « tourisme religieux », afin de voir en quoi l’expérience de Bernadette peut nous concerner spirituellement aujourd’hui, dans un esprit évangélique.
Ne s’agit-il pas finalement d’entrer avec elle par la porte de Nevers, pour avancer sur le chemin de l’offrande ?
La mémoire du Ciel…
Pourquoi en 1858 la Vierge Marie a-t-elle choisi Lourdes, bourgade alors sans importance, dans les Hautes-Pyrénées, pour entrer en relation avec une jeune fille illettrée, Marie-Bernarde, surnommée Bernadette ? Etait-ce par hasard ou en fidélité à une longue histoire cachée ? Il faut, pour essayer de se faire une idée, remonter dans le temps, et y chercher les indices éventuels d’une complicité locale avec le Surnaturel, et avec le Ciel qui ne reprend jamais ses dons. Nous verrons aussi quels étaient les événements, dans l’Eglise et à l’échelle du diocèse de Tarbes, qui ont pu motiver pareille « visitation ».
D’abord l’antiquité de l’habitation humaine en cet endroit est attestée, notamment par des silex taillés et des ossements trouvés dans la grotte des Espélugues, site quelque peu ésotérique, au-dessus de celle de Massabielle où se déroulèrent au XIXème siècle les fameuses apparitions mariales.
A l’époque de Moïse, Lapurda, sœur de Tarbis, la reine d’Ethiopie, aurait fondé Lourdes, selon une légende pyrénéenne bien ancrée qui relie mystérieusement ces lieux montagneux à l’Orient lointain. Le mystère est d’autant plus troublant que les Éthiopiens considèrent leur pays comme le fief de Marie, et que sous sa protection l’Éthiopie a une fête propre : Kidäma Mehret – le Pacte de Miséricorde – célébrée le 10 février… C’est aussi un 10 février que le roi Louis XIII voua la France à la Vierge, en 1638. C’est également un 10 février que Louis XVI consacra son royaume au Cœur Immaculé de Marie, en 1790. Et c’est au lendemain du 10 février que la Vierge d’Orient, Myriam, apparut à Lourdes, en 1858, peut-être en réponse à cette longue fidélité. Accueillons les clins d’œil de Dieu en renonçant à tout comprendre, comme lorsqu’on s’émerveille des tours d’un magicien qui aime nous surprendre, et poursuivons notre découverte.
Ce qui est certain, au plan historique, c’est que des appellations locales gardent la trace du séjour des légions romaines, à qui l’on doit probablement les bases de l’imposant château – Mirambel – la clef des Pyrénées au carrefour de sept vallées, qui domine toujours la petite cité.
Non loin de Lourdes, à Lugdunum Covenarum, devenue Saint Bertrand de Comminges, le tétrarque de Judée Hérode Antipas, qui fit tuer le prophète Jean-Baptiste, aurait fini ses jours en exil avec l’épouse de son frère, Hérodiade. Qui pouvait imaginer, au moment où l’humble Marie – enceinte du Messie – fuyait Hérode, qu’elle serait sans égale dans le monde, et que la puissante Hérodiade finirait jetée à bas de son trône?
Les barbares venus du Nord, Vandales et Wisigoths, ont sans doute aussi occupé ces terres rendues fertiles par les alluvions des glaciers. Il y eut ensuite les hordes de Maures, souvent des berbères d’Afrique du Nord fraîchement convertis à l’islam alors naissant, qui se seraient accrochés à ces rochers du sud-ouest de la France après leur défaite de 732 à Poitiers.
Par transmission orale la population raconte, de génération en génération, que lors du siège organisé par Charlemagne en 778, un valeureux chef sarrasin, Mirat, accepta de se rendre à l’évêque du Puy, représentant de la Vierge noire du Velay, la mère de Jésus, « Meryem », la seule femme citée nommément dans le Coran, tant aimée par les musulmans. Ce thème historique a été retrouvé au archives du Parlement de Pau, datant du XIème siècle.
Une statue éthiopienne, peut être copte, représentation primitive de Marie honorée déjà comme Vierge noire, aurait ensuite été témoin du baptême de Mirat au célèbre sanctuaire marial, où il prit le nom de Lordus, dont dériverait celui de Lordum puis de Lourdes. Le berbère devenu chevalier, revenu à la foi de ses ancêtres, conserva ainsi son château, consacrant ses richesses et son territoire à Notre-Dame.
Le nom de Lourdes pourrait s’inspirer aussi du mot arabe Alouroude, désignant au pluriel les roses, comme un hommage de Mirat à la Vierge Marie, après son baptême au sanctuaire du Puy, alors le plus connu et fréquenté de toute la chrétienté, point de départ du pèlerinage vers Compostelle.
Les armoieries du Puy, la cité d’Anis, consistent en un aigle sur un champ d’azur, semé de fleurs de lys d’or, et la coïncidence est singulière car justement le blason de Lourdes représente un aigle venu du ciel survolant le château en portant un poisson. Ce poisson est-il simplement le symbole des réserves dont disposaient les assiégés ? Ou au contraire un message religieux adressé aux occupants de la place forte? Le poisson est le signe sacré par lequel les premiers chrétiens se reconnaissaient, car il était en grec Icthus, l’anagrame de leur foi : Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur. L’aigle venu du Puy apportait-il ainsi le signe du Christ sur la citadelle tenue par les Sarrasins ?
Un millénaire plus tard, la première apparition de la Vierge Marie se déroulera un 11 février, date qui est aussi pour les musulmans l’anniversaire du jour où, en 624, Mahomet rompit avec les tribus juives de Médine et se tourna, pour prier, non plus vers Jérusalem, mais vers la Mecque, vers la Kaaba où se trouve la mystérieuse Pierre Noire qui viendrait du Paradis. Le Ciel, se manifestant de nouveau dans notre histoire humaine le 11 février 1858, aurait-il fait le choix de Lourdes pour nous indiquer un chemin spirituel de fraternité interreligieuse, au moyen de la prière qui secrètement illumine le monde?
Plus avant dans le temps, un document que l’on peut consulter au Cartulaire de Bigorre, montre qu’en 1062 le comte de Bigorre Bernard 1er, et son épouse, Clémence, ont très officiellement fait donation de leur Comté à la Vierge du Puy jadis apparue sur le mont Anis, à l’époque du Concile d’Ephèse qui proclama Marie « Mère de Dieu » en 431, et honorée sous le vocable de Notre-Dame de l’Annonciation.
Bernard et Clémence engageaient leurs successeurs à honorer cette « suzeraineté », ce qui fut fidèlement réalisé jusqu’à la Révolution française par une délégation de Lourdes qui portait au Puy, pour la fête de l’Annonciation, des fleurs de Bigorre et des mottes de terre arrachées du pré du comte avec l’herbe qui les garnissait. La Vierge, souveraine et miséricordieuse, est donc chez elle à Lourdes où sa bannière flotta sur le château pendant des siècles.
Le roi de Navarre Thibaut, époux de la fille de saint Louis, s’intitulait d’ailleurs vassal du Chapitre du Puy au XIIIème siècle, « en exécution d’une tradition ancienne », obédience acceptée en 1267 par le Pape Clément V, ancien évêque du Puy et conseiller de Louis IX. Sur ordre de ce saint roi, après enquête, le Parlement de Paris reconnut la suzeraineté de l’Eglise du Puy sur ce domaine pyrénéen, hélas livré à l’Angleterre en 1360 par le traité de Brétigny marquant une trêve dans la guerre de Cent Ans, tandis que vinrent régner sur le château des capitaines-brigands.
La Bigorre, et sa forteresse qui garde la route d’Espagne, retournèrent à la France en 1406, mais les guerres de religion troublèrent longtemps la région, puis le château devint prison d’Etat au XVIIème et XVIIIème siècles, notamment pendant les sanglantes périodes révolutionnaire et napoléonienne. Cette « Bastille des Pyrénées » fut supprimée, mais jusqu’au milieu du XIXème siècle s’y tenait une garnison de soudards.
Un régime hostile aux croyants ayant ainsi dérobé la chapelle du château de Mirambel à Notre-Dame de l’Annonciation, n’a-t-elle pas désiré s’en faire bâtir une autre pour qu’on vienne y manifester publiquement la foi chrétienne, en France, sur ce territoire dont elle était depuis longtemps la suzeraine ?
Le Pape lui-même, subissant à Rome les assauts de révolutionnaires menaçant son autorité universelle, n’avait-il pas plus que jamais besoin des renforts célestes ?
Qui mieux que cette petite occitane des périphéries existentielles, Bernadette Soubirous, pouvait rendre un témoignage d’actualité au Dieu biblique, chanté par la Vierge Marie dans le Magnificat, Celui qui renverse les puissants de leur trônes et élève les humbles ? Mater omnium, « La Mère de tous », venue en son comté, en fera sa petite messagère pour appeler à la prière tous les catholiques, tous ses enfants, pour l’Eglise et le salut du monde.
Par rapport aux événements de l’Eglise catholique, relayés par le diocèse de Tarbes à l’époque, qui se souvient qu’en 1858, l’année des apparitions, le Pape Pie IX avait demandé la prière de tous les catholiques, des prières publiques, afin de neutraliser les efforts des ennemis de l’Eglise, proposant une période jubilaire comme celle de 1851, qui permettait d’obtenir une indulgence plénière? La situation du successeur de Pierre à Rome était alors fort menacée, le temps pressait.
Mgr Bertrand Sévère Laurence, l’évêque du diocèse pyrénéen, publia un « mandement » pour ce Jubilé le 20 janvier 1858, parlant une quarantaine de fois de la prière présentée comme une « armure invincible », demandant aux curés d’organiser une prédication de quinze jours dans leur paroisse, en faisant appel aux missionnaires ou à des confrères.
Un mois plus tard le curé de Lourdes n’ayant pas trouver de prédicateur, à la veille du Carême, c’est la Vierge Marie elle-même, suzeraine en son fief, qui se chargea de la prédication, demandant à Bernadette de venir chaque jour justement pendant une quinzaine, période au cours de laquelle elle rendra manifeste la force de la prière, et la puissance de la divine miséricorde, pour la conversion des pécheurs.
Un des plus beaux privilèges de la suzeraineté, n’est-ce pas en effet le droit de faire grâce ?