Les cardinaux se réunissent pour les “Congrégations générales” lundi matin au Vatican, avant d’entrer en conclave au début de la semaine suivante. Comment la réforme de la Curie romaine va-t-elle se préparer? Quel homme s’imposera surnaturellement pour guider l’Eglise catholique à un moment si important de son histoire? Les questions restent ouvertes, des hypothèses sont envisagées, la prière de tous est instamment demandée, en communion de coeur et d’âme avec le pape émérite, retiré à Castel Gandolfo. Castel Gandolfo, en cette fin d’après-midi du 28 février 2013, pouvait faire penser à Assise. Benoît XVI, ayant quitté le Vatican et dans quelques heures sa charge pontificale, apparaissait une dernière fois en public, bénissant les fidèles massés sur la place de cette petite ville perchée dans la campagne romaine. « Je suis un pèlerin qui commence la dernière étape de son pèlerinage sur la terre. Je voudrais encore, avec mon cœur, mon amour et ma prière, avec toutes mes forces intérieures, travailler pour le bien commun de l’Eglise et de l’humanité », a-t-il improvisé paisiblement depuis le balcon de sa résidence, avant de souhaiter « bonne nuit » à l’assistance venue lui dire un dernier adieu. L’Eglise catholique avait rendez-vous avec l’histoire, pour en écrire un nouveau chapitre, dans la fraîcheur du soleil couchant. Il régnait une atmosphère très particulière, comparable à l’ambiance du 27 octobre 1986 dans la ville de saint François, quand Jean-Paul II avait réuni les responsables des grandes religions afin de prier pour la paix. Un moment extraordinaire et prophétique, évangélique, suivi de près par les grands médias intrigués et fascinés, curieux devant les signes des temps ainsi dévoilés : simplicité, douceur, ouverture à l’inattendu de Dieu…
Jadis un souverain pontife pouvait très exceptionnellement renoncer, ce fut rare, mais à l’avenir la possibilité de se retirer s’offrira à tout pape, selon des modalités qui se mettent en place sous nos yeux. Jésus seul est le Seigneur, l’Eglise veut l’annoncer plus humblement, se libérant des fardeaux et des privilèges matériels et politiques : c’est sans doute ce que Benoît XVI entrevoit en témoignant d’un détachement absolu qui révolutionne une institution bimillénaire dont la vraie force est communautaire, « collégiale », fraternelle, et pour ainsi dire mariale. Nous l’avons mieux compris dans la foule, parmi les habitants heureux d’accueillir le « pape émérite », en regardant de loin la petite silhouette blanche du pape qui pouvait faire penser à celle de la Vierge Marie, première disciple du Christ à avoir accueilli la Parole de Dieu pour lui donner chair dans le monde, elle à qui désormais la foi de toute l’Eglise est confiée, comme au Samedi saint, quand les apôtres tremblaient de peur… « Invoquons la maternelle intercession de la Vierge Marie, Mère de Dieu et de l’Eglise, pour qu’elle accompagne chacun de nous et toute la communauté ecclésiale ; nous nous confions à elle avec une profonde confiance », avait recommandé le Saint-Père en conclusion de la dernière audience générale, la veille de son départ.
Au matin du dernier jour de son pontificat il a voulu parler au collège cardinalice rassemblé, faisant une petite catéchèse lumineuse sur « l’Eglise qui se réveille dans les âmes » (Romano Guardini), « réalité vivante » dont le cœur est le Christ, et qui rend présent le mystère de l’incarnation. « Parmi vous il y a le futur pape, auquel je promets obéissance », a souligné Benoît XVI, prenant le temps de saluer un par un les cardinaux, et plus longuement certains, comme par exemple l’archevêque de Vienne, son fils spirituel, Christoph Schönborn, qui lui a notamment offert le nouveau livre qu’il a écrit à la lumière d’une amitié de quarante ans : « A l’école de vie de Jésus »… Ce « papabile » autrichien est aujourd’hui le chef de file des réformateurs qui veulent en finir avec le système de gouvernement opaque de la curie romaine. Il s’en est pris le premier il y a quelques années au cardinal Angelo Sodano, alors Secrétaire d’Etat de Jean-Paul II, lui reprochant d’avoir couvert et étouffé des affaires de pédophilie ou d’éphébophilie impliquant des prêtres et des évêques, en particulier le cardinal Groër, prédécesseur du cardinal Schönborn à la tête du diocèse de Vienne. C’est justement le cardinal Sodano, diplomate octogénaire, doyen du Sacré Collège des cardinaux, à qui revient la charge d’animer les « Congrégations générales » précédant le conclave à partir de lundi, rôle de premier plan, joué en 2005 par le cardinal Ratzinger…
Vendredi tous les cardinaux ont été convoqués par un courrier, signé du cardinal Sodano, pour leur première réunion fixée au matin du 4 mars, au cours de laquelle ils décideront de la date du conclave. La lettre, d’un genre très administratif, ne fait étrangement aucune mention de l’Esprit Saint. L’autre homme fort de cette période transitoire est le cardinal Tarcisio Bertone, ex-secrétaire d’Etat de Benoît XVI bien que non diplomate de formation, « Camerlingue » de la Sainte Eglise, à qui revient la coordination plus technique de l’interrègne et du conclave. Frères ennemis jusqu’à présent, selon des sources concordantes, les deux cardinaux italiens pourraient s’allier afin de sauver le mode de fonctionnement de la Curie, quitte à tenter de faire élire un pape apparemment populaire mais sans caractère, manipulable par les « bureaux » jaloux de leurs prébendes. Les explications entre cardinaux vont être franches, et les prises de parole très libres viseront à faire la vérité sur bien des points importants. « On va taper sur la table, ça suffit, c’est le moment du grand nettoyage », lance avec véhémence un cardinal européen, qui a participé au précédent conclave et dont nous respecterons l’anonymat. Julian Herranz – de l’Opus Dei – Joseph Tomko et Salvatore de Giorgi, les trois cardinaux qui ont enquêté dans l’affaire Vatileaks, à la suite des fuites de courriers secrets dans la presse, interviendront librement pour répondre aux questions du collège cardinalice encore sous le choc de la renonciation de Benoît XVI.
Dans les couloirs s’exprime déjà la volonté d’une gouvernance plus transversale, avec un « conseil des ministres », empêchant la Secrétairerie d’Etat de tout filtrer et de tout contrôler. « Il nous faudra trouver un pape ferme et déterminé, une personnalité qui ait de l’autorité, un caractère, un homme de Dieu qui soit à la fois un pasteur rayonnant de bonté et un gouvernant, on a le sentiment d’une tache insoluble», note un des futurs électeurs. « Je ne vois actuellement aucun cardinal ayant toutes les qualités requises pour succéder aux deux derniers géants, Jean-Paul II et Benoît XVI », reconnaît une autre voix autorisée, celle d’un des papabili pourtant les plus cités… Plus le conclave approche, plus la « candidature » de l’archevêque de Milan semble bloquée, l’homme étant jugé trop politique, et il a de grands ennemis parmi les cardinaux italiens. Iront-ils chercher un archevêque qui n’est pas encore cardinal, comme le patriarche de Venise, Francesco Moraglia? C’est théoriquement possible, mais difficile à envisager. Mgr Moraglia est un des fidèles héritiers du cardinal Joseph Siri, `pape non élu` quatre fois – après la mort de Pie XII puis de Jean XXIII, de Paul VI et de Jean-Paul 1er – dont la revanche posthume a peut-être sonnée en 2013, grâce à ceux qu’il a soigneusement contribué à former, tels que le cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne, et le cardinal Mauro Piacenza, préfet de la Congrégation pour le clergé…
Les cardinaux des pays émergents sont assez peu connus de leurs confrères, et à leur propos un vieux routier du conclave risque ces mots : « Il nous faut quelqu’un d’irréprochable, on ne va pas tenter le diable ! »… Le seul à s’imposer pour le moment est le canadien Marc Ouellet, théologien de l’école d’Urs von Balthasar, ami de Benoît XVI et du cardinal Schönborn, actuel préfet de la Congrégation pour les évêques, soutenu par les meilleurs éléments de la Curie à laquelle il appartient. Les cercles les plus actifs en sa faveur murmurent audacieusement qu’il sera élu en cinq tours de scrutin et qu’il s’appellera Grégoire XVII : nous verrons. Les mêmes avaient prédit l’élection de Benoît XVI, avec le nom donné à l’avance et le nombre de tours de scrutin, ils ne s’étaient pas trompés. Si les plus anciens parmi eux voulaient l’élection du cardinal Joseph Siri (`Grégoire XVII`…), en 1978, c’était pour endiguer la dérive postconciliaire qui a fait de la liturgie un `show`, alors qu’elle n’a d’autre mission que de nous recentrer sur l’essentiel, le Christ, en nous tournant vers Dieu, ce que le récent pontificat a permis de faire mieux comprendre, en fidélité au vrai concile Vatican II dont l’Eglise célèbre cette année les cinquante ans.
Benoît XVI, « humble ouvrier à la vigne du Seigneur » comme il se définissait lui-même, avait explicité sa vision de la liturgie au synode sur l’Eucharistie, en 2005, avertissant des dangers liés à la perte du sens de la transcendance qui transforme le vin en vinaigre. Commentant l’Evangile des vignerons infidèles (Mathieu 21,33-43), il rappelait que le royaume de Dieu peut nous être enlevé pour être confié à un peuple qui lui fera produire du fruit. Mystérieusement c’est ce texte d’Evangile qui était lu vendredi, premier jour du Sede vacante… « La menace du jugement nous concerne également nous, Eglise en Europe », avait lancé gravement le pape dans sa fameuse homélie du 2 octobre 2005 , sans être réellement entendu dans une société occidentale où le nihilisme individualiste et l’autosuffisance ont succédé aux totalitarismes.
Le signe `prémonitoire` qui a annoncé sa renonciation, quand il déposa son pallium sur la chasse de son lointain prédécesseur, le pape démissionnaire Célestin V, à l’Aquila, le 28 avril 2009, s’accompagne d’un autre signe plus récent que nous devrions sans doute scuter : la canonisation des martyrs d’Otrante. Le 11 février, date à laquelle Benoît XVI a créé la surprise en parlant de sa décision de se retirer, était aussi le jour du consistoire validant la future canonisation de 813 catholiques massacrés à l’est de l’Italie, en raison de leur foi. Mehmet II, qui avait conquis Byzance, rêvait de transformer la basilique Saint-Pierre en écurie pour ses chevaux. Son armée débarquant dans ce but à Otrante à la fin du XVème siècle se heurta à la résistance des habitants, qui, en retardant l’avancée turque, refusèrent de renier le Christ. Tués dans des conditions effroyables, ils témoignèrent de leur foi jusqu’au dernier souffle, puis les troupes du roi de Naples empêchèrent Mehmet II de réaliser le « califat européen » qui sera totalement repoussé le 12 septembre 1683, à la bataille de Vienne… Benoît XVI espère probablement, en cette Année de la foi ouverte au mois d’octobre dernier, que l’évènement de l’élection d’un pape plus jeune et solide favorise un retour au Christ pour tous les baptisés occidentaux, dans l’attestation renouvelée de leurs « racines chrétiennes », avant qu’il ne soit trop tard ? Sa vision du monde trouvera-t-elle un écho au conclave, avec un pape de culture européenne, peut-être `américain`, ou les cardinaux préfèreront-ils abandonner l’Occident et passer sur la rive orientale, avec par exemple un pape asiatique ? L’Esprit Saint en décidera, et nous savons que rien ne pourra l’empêcher d’accomplir son œuvre.
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Le moment que nous vivons me fait beaucoup penser à Sainte Catherine de Sienne, patronne de Rome, de l’Italie, de l’Europe et …des journalistes, dévorée par l’amour de l’Eglise à travers toutes les douleurs du péché des personnes. Si on lui confiait d’adopter pas un seul mais chaque cardinal, en même temps que tout son environnement, pour que chacun se transforme en serviteur de Dieu dans chaque prochain?
Qui peut se targuer de `savoir` le nom inscrit dans le Coeur de Dieu?
Mes pensées ne sont pas vos pensées dit le Seigneur et réciproquement.
Je pense aussi au Cardinal Etchegaray qui a écrit un jour en substance ` le poisson pourrit d’abord par la tête, nous aussi` . Et si nous demandions à l’Esprit Saint de consumer nos vieilles catégories mentales pour que l’homme nouveau puisse prendre toute la place en chacun?
Catarina