Consacrée à « l’amour dans la famille », l’exhortation apostolique post-synodale tant attendue vient d’être rendue publique ce 8 avril, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle intervenait principalement le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, dont je vous ai souvent parlé depuis trois ans sur ce blog. La Salle de presse du Saint-Siège était comble pour la présentation de « Amoris Laetitia » – « La joie de l’amour » – ce grand texte d’ouverture pastorale signé le 19 mars, en la fête de saint Joseph, par le Pape François. Les représentants des médias du monde entier se demandaient si l’Eglise catholique allait annoncer des innovations, notamment s’agissant de l’accès des personnes divorcées remariées à l’eucharistie. La véritable nouveauté en réalité est que « quelque chose a changé dans le discours ecclésial », comme l’a constaté le cardinal Schönborn, parlant d’un « évènement de langage » dans le sens d’une plus grande proximité aux réalités des familles « telles qu’elles sont », loin d’un idéal théologique du mariage trop abstrait et pour ainsi dire désincarné. L’autocritique, au début de l’exhortation, est historique, regrettant une « idéalisation excessive » dans la manière de présenter les convictions chrétiennes qui « n’a pas rendu le mariage plus désirable et attractif, bien au contraire ».
Le langage des neuf chapitres est vivant, simple, proche de l’expérience, et n’a plus rien à voir avec la « langue de buis » de certains discours ecclésiastiques ennuyeux. François souhaite en effet être compris de toutes les familles, et de toutes les personnes, jeunes ou âgées, dont il veut le bien dans la diversité de la réalité humaine, au-delà des stéréotypes.
Chaque histoire est unique, et chaque personne mérite d’être considérée dans sa vie concrète. Il n’y a plus de division entre baptisés « réguliers » et « irréguliers » : tous sont en chemin dans le peuple de Dieu, ayant ensemble besoin de discernement et d’accompagnement.
« Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles », dit le Saint-Père dans ce document qui ne se situe aucunement en rupture avec l’enseignement des papes précédents, mais illustre dans la continuité un « développement organique de la doctrine », selon les mots du cardinal Schönborn.
« On ne peut pas jouer avec Dieu, on ne peut pas jouer avec les sacrements, on ne peut pas jouer avec la conscience », a noté l’archevêque de Vienne, mettant en lumière l’importance davantage accordée au « discernement personnel et pastoral des cas particuliers » dans les situations familiales complexes, qualifiées non pas d’irrégulières par le Pape mais de « soi-disant irrégulières »…
Le plus important s’écrit dans la marge…
Aujourd’hui, devant les déchirements vécus par de nombreux couples dont les enfants souffrent de la séparation de leurs parents, l’Eglise décide de valoriser le discernement personnel, véritable clé de compréhension de l’évolution en cours, car « le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas ». Il s’agit pour les pasteurs, évêques et prêtres, d’accompagner, de discerner et d’intégrer la fragilité.
Concernant l’accompagnement des divorcés remariés, François promeut particulièrement la logique d’intégration, affirmant qu’ils ne doivent pas se sentir excommuniés mais peuvent « mûrir comme membres vivants de l’Eglise, la sentant comme une mère qui les accueille toujours ».
L’exhortation ne décrète pas une nouvelle législation générale et « canonique », applicable dans tous les cas, mais le successeur de Pierre ouvre une brèche, dans une des notes du document (351), déclarant que « l’on peut aussi apporter l’aide des sacrements dans certains cas ». Le plus important s’écrit dans la marge : cette note oriente vers la via caritatis , la voie de l’amour, indiquant à nouveau aux prêtres que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais le lieu de la miséricorde du Seigneur, et que l’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède.
« Nous posons tant de conditions à la miséricorde que nous la vidons de son sens concret et de signification réelle, et c’est la pire façon de liquéfier l’Evangile », lance le Pape à ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide, dont le rigorisme provoque en réaction laxisme et désaffection de la pratique religieuse.
Cette exhortation apostolique, splendide synthèse en même temps que document de référence ouvrant des perspectives, est une source d’espérance. Elle gagnera à être travaillée et approfondie, notamment en ses très beaux chapitres portant sur l’amour dans le mariage, la relation intime, et la nécessité de se choisir réciproquement sans cesse, pas à pas.
« Amoris Laetitia » insiste spécialement sur la préparation au mariage et l’accompagnement des époux dans les premières années de la vie conjugale, en particulier dans les crises qui peuvent être le signe d’une maturation affective. « Chaque crise cache une bonne nouvelle qu’il faut savoir écouter en affinant l’ouïe du cœur », fait remarquer le Pape.
« Ne désespérons pas à cause de nos limites », souligne-t-il paternellement, « mais ne renonçons pas non plus à chercher la plénitude d’amour et de communion qui nous a été promise ».
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On dirait que le Pape nous entraîne à passer d’un état individuel statique à une marche ensemble dynamique et il donne envie de prendre enfin ce chemin.