Chers lecteurs, depuis quelques semaines j’ai laissé mon blog en « jachère », occupé à relire les épreuves d’un nouveau livre sur le pape latino-américain, désormais prêt à paraître.
Récemment, en m’exerçant au tango argentin avec des amis, m’est venue l’idée que cette danse pouvait nous aider à mieux entrer dans l’esprit qui inspire ce pontificat réformateur qui parfois surprend. En effet « l’abbraccio » est essentiel dans le tango, cette tendresse humaine à laquelle nous invite si souvent le Saint-Père. De plus, la musique nostalgique est comme l’expression du désir de retrouver le paradis perdu, l’harmonie divine. Le retour, en grec, se dit nostros, et algos signifie souffrance : la « nostalgie » est donc la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner, sentiment que le tango suscite à sa façon car « nous sommes poussière qui aspire au ciel » selon les mots de François (1).
C’est aussi une danse qui exige de faire des pas qui semblent chercher de nouveaux chemins, allant et venant, sans excitation, en se laissant guider avec confiance pour ce qui est de la cavalière, comme lorsqu’on s’abandonne spirituellement à la volonté divine. Le cavalier, qui guide avec douceur et fermeté, nous laisse ainsi envisager le rapport harmonieux qui peut s’instaurer entre Dieu et l’humanité quand elle veut bien lâcher prise par obéissance d’amour.
Voilà un condensé du message de Jorge Mario Bergoglio, ce fils d’immigrants européens qui entraîne toute l’Eglise, l’épouse de l’Apocalypse, dans une danse trinitaire où les différences sont des chances, à condition de nous accorder, à l’écoute les uns des autres, au rythme d’un cœur à cœur, comme dans une ronde printanière de petits papillons blancs volant à égale distance.
Cette introduction libre peut éclairer l’actualité romaine, marquée par l’autorité bienveillante du successeur de Pierre, décidé à aller de l’avant – avec courage et persévérance – pour appliquer le programme que les cardinaux ont fixé en l’élisant, le 13 mars 2013.
Lors de son vingt-cinquième anniversaire d’ordination épiscopale, fin juin, il a rappelé vouloir être comme un grand-père qui indique aux plus jeunes le sens de la vie, à la lumière de son expérience. C’est ce qu’il voudrait que chaque cardinal ressente aussi afin que le gouvernement de l’Eglise ne ressemble pas à une gérontocratie bureaucratique. Aux cinq nouveaux cardinaux inattendus, acteurs de paix et de réconciliation de divers horizons (Mali, Laos, Salvador…), créés au début de l’été, le pape a demandé de marcher sur le chemin de Jésus qui ne les a pas appelés à devenir des « princes de l’Eglise », mais « à servir comme lui et avec lui » dans l’humanité d’aujourd’hui.
Face à la grogne de certains prélats qui doutent publiquement du pape, contrariés par le style simple et ouvert progressivement imposé à toute la gouvernance de l’Eglise, le saint peuple fidèle continue de manifester son soutien à François : il a dépassé les 35 millions de followers sur Twitter, plus que tout autre chef politique ou religieux…
De quelle réforme s’agit-il au fond, l’avons-nous vraiment compris ?
« Mettez-vous en disposition de sortir et allez vers l’humanité blessée et rejetée », disait en substance le pape à des religieux le 30 mars dernier. Tout est là : entrer dans le mouvement par lequel Dieu sort de lui-même pour venir à nous dans l’incarnation, et poursuivre son œuvre de guérison, à travers nos réseaux de relations, jusqu’à susciter l’amour réciproque dans toute la société, en mode de communication trinitaire.
Des modèles nous sont donnés par François pour travailler dans cette direction, celle d’une sainteté collective. Le philosophe et mathématicien français Pascal, par exemple, mériterait selon lui d’être béatifié. Il l’a confié à son ami le journaliste Eugenio Scalfari, fondateur du quotidien « La Repubblica ».
Blaise Pascal fit l’expérience de sa pauvreté, du vide intérieur que le divertissement essaie de masquer, et ouvrit son cœur au débordement de l’amour divin, réconciliant en lui la raison et la foi. Ayant identifié que la vérité sans la charité n’est pas Dieu, il consacra son temps aux pauvres et aux malades, parmi lesquels il fit le choix de finir ses jours.
« Que le Seigneur nous donne à tous l’espérance d’être saints », lançait le pape à l’audience générale du 21 juin, en précisant ce que cela signifie : « Faire ton devoir toute la journée: prier, aller au travail, t’occuper de tes enfants. Mais il faut faire tout cela avec le cœur ouvert à Dieu, de manière à ce que le travail, même dans la maladie et la souffrance, même dans les difficultés, soit ouvert à Dieu »…. « C’est le grand don que chacun de nous peut rendre au monde », ajoutait-il, invoquant la grâce du Seigneur pour « croire profondément en Lui, au point de devenir image du Christ pour ce monde ».
« Notre histoire a besoin de «mystiques» : de personnes qui refusent toute domination, qui aspirent à la charité et à la fraternité. Des hommes et des femmes qui vivent en acceptant également une portion de souffrance, parce qu’il prennent en charge les difficultés des autres. Mais sans ces hommes et ces femmes, le monde n’aurait pas d’espérance ».
L’ouverture de notre cœur à l’action de l’Esprit Saint est donc la voie parfaite pour réforme des réformes. En suivant cet horizon, il nous reste à vérifier quelle « zone » en nous n’a jamais vu la lumière du Christ parce qu’elle ne lui a jamais été ouverte, comme François nous y exhortait lors de l’angélus du 9 juillet. « Chacun de nous a sa propre histoire. Et si quelqu’un a cette zone obscure, cherchez Jésus, allez chez un missionnaire de la miséricorde, allez voir un prêtre, allez… Mais allez à Jésus, et racontez cela à Jésus », insistait-il, faisant résonner ce que le Seigneur dit à chacun : « Courage, ne baisse pas les bras devant les poids de la vie, ne te ferme pas face aux peurs et aux péchés, mais viens à moi! ».
Une fois l’Esprit accueilli, il transforme les personnes fermées à cause de la peur en témoins courageux. À ce propos, pour les 50 ans du Renouveau charismatique, pendant la veillée au Circo Massimo, le pape Bergoglio a souligné qu’on ne peut pas « enfermer l’Esprit Saint dans une cage ».
Je crois qu’il y a là une clé de ce pontificat missionnaire où se dessinent des voies inexplorées. Ainsi notamment, depuis 11 juillet, la lettre apostolique « Maiorem hac dilectionem » – « Il n’est pas de plus grand amour » – permet la béatification de personnes qui auront donné leur vie pour les autres, dans un acte d’offrande volontaire, acceptant une mort certaine à brève échéance. Les paroles de l’Evangile de Jean (15, 13), « nul n’a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis », sont mises en relief par les faits et gestes de François, impatient de nous guider à l’essentiel du christianisme : une Parole à vivre.
Il lance la première journée mondiale des pauvres, le 19 novembre prochain, continue de défendre la dignité des personnes migrantes avec réalisme contre tous les égoïsmes – prônant une véritable aide au développement en Afrique – et propose aux syndicats « un nouveau pacte pour le travail » en faveur des jeunes…
Pour l’accompagner, il s’entoure de nouveaux collaborateurs, nommant à la tête de l’épiscopat italien, et aussi à Rome et à Milan, des pasteurs de terrain qui ont sur eux « l’odeur des brebis ». À la Congrégation pour la doctrine de la foi, un nouveau chef de dicastère travaillera sur la même ligne que lui, qui est « pasteur et docteur suprême » selon le droit canon, en attendant probablement aussi un changement de direction au Secrétariat pour l’économie – épicentre de la réforme des finances du Vatican et de la lutte contre la corruption – dont le préfet est parti répondre à ses accusateurs devant les tribunaux australiens. Le cardinal George Pell est en effet inculpé pour abus sur mineurs, cependant Mgr Luigi Mistò, le numéro deux du Secrétariat pour l’économie, qui assure l’intérim, se félicite que la transparence, la coresponsabilité et la participation soient désormais la règle dans les dicastères de la Curie romaine.
Un scandale dans l’ancien diocèse du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, récemment non reconduit, atteint indirectement le frère du pape émérite, Georg Ratzinger, qui dirigeait la chorale de Ratisbonne où de nombreux enfants auraient été abusés…
Malgré les vents contraires, le pape, en bon capitaine, ne change pas de cap dans la tempête.
Le 13 juillet, à Dublin, le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne et théologien de renom, a pris à nouveau la défense de François contre quatre cardinaux sans responsabilité curiale – dont l’un vient de mourir – qui lui ont écrit en exposant publiquement leurs désaccords avec les ouvertures pastorales qu’il souhaite vis-à-vis des personnes divorcées remariées. « Les rigoristes et les laxistes ont des réponses claires et rapides, mais ils oublient de regarder la vie », a expliqué le cardinal Schönborn, renvoyant dos à dos ceux qui laissent tout filer et ceux qui évitent l’effort de discernement.
Ceux qui attaquent ce pape sur tous les fronts devraient se souvenir qu’il en a vu d’autres, et qu’il ne pliera pas. Se souvient-on bien de quel bois est fait l’ancien supérieur des jésuites d’Argentine ? Il est rude, coriace, solide, tenace, comme le chêne ou l’ébène. Au temps de la dictature en Argentine il a caché des prêtres et des séminaristes menacés de mort par les milices gouvernementales. Un de ses protégés dont l’évêque, Mgr Enrique Angelilli, fut assassiné en 1976 par les militaires, vient de témoigner dans la presse italienne. « Quarante années après, il n’a pas changé », s’exclame Enrique Martinez Ossola en sortant d’une entrevue avec le Saint-Père qu’il appelle toujours « Padre Jorge ». Il recevra l’ordination épiscopale le 18 août, et exercera son ministère en fidélité à l’évêque martyr, prophète audacieux et humble, défenseur des paysans sans terre, des exploités et des pauvres.
Sur la porte de la chambre du successeur de l’apôtre Pierre, dans la Casa Santa Marta, il est écrit : « Défense de se lamenter » (Vietato lamentarsi, en italien). Ce panneau lui a été offert par un psychothérapeute lors d’une audience générale. L’objectif est de faire comprendre que l’on peut faire beaucoup pour aller bien : l’écoute et la communication positive pleine de respect sont productives. Il s’agit de changer notre vision de la vie, et de chercher des solutions pour changer les situations ou les améliorer.
Voulons-nous, avec le pape François, participer à ce renouveau? Pour ma part j’y suis déterminé.
(1) Audience générale du 9 juillet
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Vous nous donnez envie d’afficher sur notre porte cette même consigne pour nous la redire souvent !
Madeleine