Cloué au lit par une grippe qui a terrassé des dizaines de milliers de personnes en Italie, j’ai eu la chance de suivre depuis ma chambre la visite pontificale au Chili et au Pérou, retransmise en direct sur TV2000. Toutes les étapes sont certainement importantes au regard de l’histoire de l’Eglise dans cette partie du monde, mais j’ai choisi de revenir ici, en votre compagnie, sur la rencontre avec les peuples autochtones, au Colisée Madre di Dios, à Puerto Maldonado, en Amazonie péruvienne, le 19 janvier. Nous étions là au cœur de ce voyage du premier pape latino-américain, dans l’esprit de sa grande encyclique Laudato si’, avec en même temps la dénonciation des multinationales qui corrompent les responsables politiques, détruisant la terre et la culture, et aussi la proposition d’une alternative au « progrès » consumériste dans une attention renouvelée pour la sauvegarde la Création. Au fond, derrière cette question de l’Amazonie, ce n’est rien moins que la survie de notre famille humaine qui est en jeu, puisque « la défense de la terre n’a d’autre finalité que la défense de la vie ».
D’une certaine manière, le rendez-vous péruvien constituait la première réunion du synode sur l’Amazonie, qui se tiendra au Vatican en octobre 2019. Le sujet est vital pour l’avenir de notre Terre, dont la forêt amazonienne est un immense « poumon vert ». « Une énorme richesse biologique » constitue en effet le trésor tant convoité de cette région, comme l’a souligné François. « Probablement, les peuples autochtones amazoniens n’ont jamais été aussi menacés sur leurs territoires qu’ils le sont présentement », a-t-il fait remarqué, évoquant les industries extractives étatiques qui restent totalement dépendantes des marchés internationaux. « L’Amazonie est une terre disputée sur plusieurs fronts : d’une part, le néo-extractivisme et la forte pression des grands intérêts économiques qui convoitent le pétrole, le gaz, le bois, l’or, les monocultures agro-industrielles. D’autre part, la menace visant ses territoires vient de la perversion de certaines politiques qui promeuvent la ‘‘conservation’’ de la nature sans tenir compte de l’être humain et, concrètement, de vous, frères amazoniens qui y habitez », souligna le Saint-Père, en affirmant que « nous devons rompre avec le paradigme historique qui considère l’Amazonie comme une réserve inépuisable des États sans prendre en compte ses populations ».
« La reconnaissance et le dialogue seront la meilleure voie pour transformer les relations historiques marquées par l’exclusion et la discrimination », précisa encore le Pape, qui au bout de cinq ans de règne est devenu plus que jamais voix des sans-voix de la planète. « Vous êtes la mémoire vivante de la mission que Dieu nous a donnée à nous tous : sauvegarder la Maison commune », lança-t-il aux représentants indigènes. Le successeur de Pierre mit ainsi en lumière la profondeur du débat, au-delà des aspects « exotiques » de la rencontre, parfois médiatisée de façon superficielle, martelant que « nous ne sommes pas les propriétaires absolus de la création ». « Nous ne pouvons pas disposer des biens communs au rythme de l’avidité et de la consommation. Il faut des limites qui nous aident à nous prémunir contre toute volonté de destruction massive de l’habitat qui nous conditionne », insista-t-il sur un ton prophétique, au nom d’une Église « qui ne se lassera jamais de crier pour les marginalisés et pour ceux qui souffrent ».
La contamination environnementale due à l’exploitation minière illégale s’accompagne hélas de la traite des personnes : la main-d’œuvre esclave ou l’abus sexuel. « La violence à l’encontre des adolescents et des femmes est un cri qui parvient au ciel », protesta le Pape avec force. Il haussa aussi la voix contre « la pression que des organismes internationaux exercent sur certains pays pour qu’ils promeuvent des politiques de reproduction visant la stérilisation ». « La culture de nos peuples est signe de vie. L’Amazonie, outre qu’elle constitue une réserve de biodiversité, est également une réserve culturelle que nous devons sauvegarder face aux nouveaux colonialismes », expliqua-t-il, notant que « face aux différents impérialismes, la famille des peuples autochtones a été le meilleur rempart de la vie ».
Plus largement, tous les peuples sont concernés par cet « effort spécial » que demande le Vicaire du Christ, « pour ne pas nous laisser attraper par les colonialismes idéologiques sous le couvert de progrès qui imprègnent peu à peu en dissipant les identités culturelles et en établissant une pensée uniforme, unique… ». Nous sommes tous, en ce sens, des Indiens d’Amazonie !
Je suis, moi aussi, un Indien d’Amazonie : c’est sans doute ce que François voulait nous faire comprendre en se laissant coiffer d’une couronne de plumes multicolores, plaidant pour que se façonne dans le dialogue « une Église avec un visage amazonien et une Église avec un visage indigène », montrant que « le Christ s’est incarné aussi dans une culture, la culture juive, et à partir d’elle, il s’est offert à nous comme nouveauté pour tous les peuples, de façon que chacun, à partir de son identité, se retrouve personnellement en lui ».
Contre l’uniformisation libérale et marchande qui veut faire de l’humanité une esclave asservie à ses besoins de consommation, l’Eglise catholique mène la bataille décisive en faveur du respect de la dignité et de la liberté des personnes, au service de la vie. « Chaque culture et chaque cosmovision qui reçoivent l’Évangile enrichissent l’Eglise par la perception d’une nouvelle facette du visage du Christ », a redit le Pape depuis le Pérou, nous indiquant le Dieu incarné et la promesse de la vie éternelle, à travers le témoignage des peuples indigènes : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jean 14, 6).