Entretien avec Mgr Guy de Kerimel (71 ans), archevêque de Toulouse, au sujet du surprenant renouveau des demandes de baptêmes de jeunes et d’adultes en France.
. Comment la tendance à l’accroissement du nombre de jeunes et d’adultes catéchumènes en France se fait-elle sentir d’une année sur l’autre dans votre diocèse et comment interprétez-vous ce phénomène?
Tous les évêques de France constatent la croissance des catéchumènes, surtout des jeunes, et c’est un sujet de consolation et de joie profonde. Dans l’ensemble de mon diocèse, en 2023, nous avions autour de 130 catéchumènes ; en 2024, autour de 170, cette année 230, auxquels il faut rajouter un peu plus de 120 adolescents, en forte augmentation.
. D’où viennent généralement ces jeunes et ces adultes qui découvrent l’Evangile et veulent s’engager dans la vie de l’Eglise en recevant le baptême ou la confirmation?
Ces catéchumènes ne viennent pas de nos réseaux ; ils viennent de partout et de nulle part. C’est ce qui constitue une surprise joyeuse. Dieu lui-même est allé les chercher et ils ont eu le courage de frapper à la porte des communautés. Depuis quelques temps plusieurs prêtres font des appels au baptême, après certaines célébrations, et ils accueillent de nouvelles demandes.
. Pouvez-vous nous partager quelques-uns des témoignages que vous avez reçus dans les lettres de demandes de baptême ou de confirmation cette année? Qu’expriment de commun ces personnes?
Avant l’Appel Décisif, les catéchumènes qui seront baptisés à Pâques écrivent une lettre à l’évêque, dans laquelle ils témoignent de leur parcours. Certains ont toujours perçu la présence de Dieu, un Dieu qu’ils ne connaissaient pas vraiment. D’autres ont été marqués par des grands-parents chrétiens. D’autres ont découvert Dieu dans les épreuves. Ainsi une personne m’écrit : « être brisée est la meilleure chose qui me soit arrivée. J’y ai trouvé le renoncement nécessaire pour oser croire à quelque chose de fou ». Un jeune, élevé dans un milieu athée, hostile à l’Eglise, rentre un jour dans une église près de son lycée, et il est saisi par un amour fou ; il se demande qui peut bien l’aimer à ce point. Il cherche alors, d’abord dans l’Islam, puis chez les catholiques et c’est dans l’Eglise qu’il retrouve Celui qui lui a manifesté un tel amour. Un autre cherchait le pardon, et il a regardé sur internet dans quelle religion on pouvait trouver le pardon. Des musulmans sont attirés au Christ, dans l’Eglise, parfois à travers des rêves. D’autres, entraînés par un ami, participent à une messe ; ils ne comprennent rien, mais ils sentent qu’ils sont à leur place, et, par la suite, ils demandent le baptême.
. Pensez-vous que les influenceurs sur internet jouent un rôle dans ce phénomène auquel l’institution ecclésiale n’est pour rien?
Oui, les influenceurs jouent un rôle. L’affluence remarquée partout le Mercredi des Cendres est due en partie aux réseaux sociaux. Jamais encore je n’avais vu un tel monde à la cathédrale pour le début du Carême. Beaucoup de jeunes ! La plupart des paroisses ont constaté cette affluence, y compris dans les secteurs ruraux.
. D’autres causes peuvent-elles être avancées, comme l’influence mimétique du ramadan des musulmans, très médiatisé en France, ou encore la peur de la guerre en Europe?
A mon avis, c’est la quête de sens, qui est la cause première, dans un contexte de perte des repères, de la perte de l’idée que le progrès ou les grandes idéologies feront advenir une humanité nouvelle, d’une absence de vision de l’homme, l’absence d’une vraie anthropologie. L’installation d’une forme de dictature de la pensée, par exemple avec l’inscription de l’avortement dans la Constitution en France, ne répond pas à cette quête de sens, pas plus qu’une laïcité de plus en plus invasive dans notre pays, qui prétend contrôler de plus en plus les religions. Tout ce qui entrave les questions existentielles, tout ce qui ferme l’horizon, semble provoquer une réaction contraire et redoubler la quête de sens.
.Pourquoi les autres pays européens ne sont pas touchés par cette vague de foi qui fait renaître la France catholique?
. La France est allée très loin, au nom de la laïcité, dans l’évacuation de Dieu dans l’espace public. Culturellement la France est devenue un pays païen. Il est intéressant de constater, dans des évènements artistiques comme la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, l’évacuation du Dieu de Jésus-Christ, et l’appel à un dieu païen, Bacchus, le dieu de l’ivresse, de la désinhibition, qui promeut la jouissance pour elle-même. Ceci ne répond pas aux questions existentielles des gens que l’actualité inquiétante réveille. Il y a en France un vide spirituel et culturel qui n’est comblé que par la drogue et le sexe. Cependant, il faut noter que le nombre croissant des baptêmes d’adultes et d’adolescents ne compense pas la forte baisse des baptêmes des petits enfants. Il est possible que dans d’autres pays cette baisse soit moins forte dans une culture qui reste plus marquée par le christianisme.
. Que disent les autres évêques avec lesquels vous avez déjà échangé à ce sujet?
Nous constatons tous une apparente contradiction : malgré le discrédit médiatique que les abus commis par des gens d’Eglise a pu générer, les catéchumènes n’ont pas eu peur de frapper à la porte de l’Eglise. Ils ne semblent pas atteints par le bruit médiatique ; l’appel de Dieu est plus fort. Dieu voit notre effort de purification et nous renouvelle sa confiance en attirant dans l’Eglise des catéchumènes. Dieu nous a appauvris pour que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui ; alors il peut agir avec puissance !
Propos recueillis par François Vayne