Les apparitions de Lourdes forment un véritable scénario catéchétique

La dernière apparition de la Vierge à Lourdes, le 16 juillet 1858, en la fête de Notre-Dame du Mont Carmel, rappelle l’histoire biblique du prophète Elie sur le mont Carmel (1 Rois 18), qui voit le petit nuage annoncer la grande nuée, et donc la fin de la sécheresse grâce à une pluie abondante… Après avoir délivré son message à Bernadette au long d’un véritable processus catéchuménal, la Vierge s’efface et laisse la place aux sacrements de l’Eglise, c’est-à-dire à son Fils. C’est ce scénario catéchétique des apparitions que Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Lourdes et donc ancien Gardien de la Grotte, développe dans Retraite à Massabielle, un livre paru chez Notre-Dame de Lourdes éditions (NDL), la maison éditrice du sanctuaire de Lourdes fondée en 2004, à l’occasion du pèlerinage de Jean-Paul II à la Grotte de Massabielle qui marquait le 150ème anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Mgr Perrier, qui a accueilli deux papes à la Grotte, Jean-Paul II en 2004 puis Benoît XVI en 2008, est actuellement vicaire volontaire à la paroisse de Lourdes. Il a 87 ans mais continue d’écrire  avec une compétence d’expert sur le message de Lourdes en travaillant dans les archives du sanctuaire marial. Il répond ici à mes questions au sujet de son dernier livre pour le moment publié en français, disponible à la librairie du sanctuaire de Lourdes (https://librairie-boutique-lourdes-sanctuaire.fr/fr/livres/736-retraite-a-massabielle-9782361091811.html).

. Mgr Jacques Perrier, quel est le sens de la dernière apparition de la Vierge à Bernadette, lors de la fête de Notre-Dame du Mont Carmel ?

Le 16 juillet fait penser à la scène de l’Annonciation. La fin renvoie au début : « L’ange entra… L’ange laquitta. » Retour à la vie ordinaire, si ce n’est qu’entre temps, l’Incarnation s’est opérée. Le 11 février, avant que la Dame lui fasse signe d’approcher, Bernadette n’avait pas traversé le canal. Le 16 juillet non plus, Bernadette n’est pas dans la grotte elle-même. Entre temps, un message a été délivré et Bernadette a pu « faire sa Première Communion » Et cela se passe sous le regard silencieux de Marie, Notre-Dame du Mont Carmel, signe de force et de beauté. Comme le petit nuage annonce la pluie qui redonne vie dans l’histoire biblique d’Elie sur le mont Carmel, que je vous invite à relire au livre des Rois, la Vierge laisse maintenant la place à son Fils à travers les sacrements de l’Eglise qui sont célébrés chaque jour pour régénérer intérieurement des millions et des millions de pèlerins !

. Un livre a toujours une histoire. D’où vient donc cette Retraite à Massabielle ?

Quand je suis revenu à Lourdes, en 2022, deux communautés religieuses m’ont demandé de prêcher une retraite. C’étaient des retraites de six jours ou de huit jours. Il fallait donc préparer sérieusement. Je suis parti avec une hypothèse : serait-il possible de bâtir un itinéraire de retraite à partir des apparitions, et seulement des apparitions ?

 . Pourquoi ce parti pris ? La vie de Bernadette, même en 1858, ne se limite pas aux apparitions.

Certes, il est facile d’évoquer la misère du cachot, la piété familiale, les interrogatoires par le commissaire et le procureur, la visite au curé Peyramale. Mais on risque d’oublier ce qui est le plus étonnant à Lourdes : les dix-huit rencontres entre Bernadette et la « petite demoiselle ».

. Lourdes n’est pas le seul lieu où la Vierge est apparue à plusieurs reprises.

Dix-huit fois, c’est rare. D’autant plus qu’à Lourdes, le message n’est pas répétitif. Le dix-huit rencontres forment un scénario, une sorte de drame avec des avancées, des crises, des temps morts. L’ensemble, complètement imprévisible.

. Vous parlez d’un scénario. Si vous aviez à le présenter à un producteur, comment résumeriez-vous le script ?

Le 11 février, tout commence par une alerte : le vent que Bernadette entend, alors les branches des peupliers restent imperturbables. Comme le Buisson ardent qui brûle et ne se consume pas.  La petite demoiselle apparaît : elle sourit à Bernadette et lui apprend à faire le signe de la croix. Le sourire et la croix : ensemble. Le sourire a tellement donné confiance à Bernadette qu’elle revient le 14 et le 18, malgré les obstacles. Le 18, pour la première fois, la Dame lui parle : c’est un échange de promesses. Bernadette promet de venir pendant quinze jours ; la Dame lui promet un bonheur qui n’est pas de la terre. Vous avez déjà quelques éléments pour une retraite. Du 19 au 23, les deux femmes se parlent, dans le secret. Un jour, la Dame ne vient pas : Bernadette est triste mais ne se décourage pas. Encore une leçon de vie chrétienne. Arrive la huitième apparition avec l’appel à la pénitence.

. Ce n’est pas très original : on trouve cela dans toutes les apparitions.

Evidemment, puisque c’est inséparable de l’Evangile. A Massabielle, l’appel s’accompagne de gestes que la Dame propose à Bernadette – « voulez-vous ? » – comme le Christ dans l’Evangile. Bernadette embrasse la terre, comme Jésus à Gethsémani. Quelques jours plus tôt, Bernadette a reçu les cendres : souviens-toi que tu es poussière. Nous sommes au milieu du cycle des apparitions : la pénitence n’est pas l’alpha et l’oméga du christianisme. Nous ne sommes pas destinés à faire pénitence éternellement. A condition de le faire maintenant !

. Vous oubliez la source !

La source que Bernadette ne découvre qu’après avoir écarté la boue, la boue du péché. La Dame a dit de « se laver ». Bernadette se lave avec cette eau boueuse. L’effet est désastreux : alors qu’elle était si belle quand la Vierge lui parlait, la voici méconnaissable. Comme le Christ dans sa Passion, « pareil à celui devant on se voile face » (Isaïe 53, 3). Dans la retraite, accepter de prendre sa part dans la Passion du Christ. Sachant qu’au-delà du péché, il y a la grâce, l’eau pure de l’innocence, l’eau du baptême.

. Les apparitions auraient pu s’arrêter là : la source va couler, de plus en plus abondante. Les guérisons vont commencer.

L’extraordinaire, c’est que l’histoire continue. Jusque-là, tout s’est joué entre Bernadette et la Dame. A partir du 2 mars, jour de la treizième apparition, Bernadette doit aller trouver le curé pour qu’il organise une procession, un pèlerinage, et qu’il bâtisse une chapelle. Le contact est rude mais la Vierge, Mère de l’Église, nous dit que la foi se vit en Eglise.

. Pourquoi la Vierge fait-elle attendre Bernadette jusqu’au 25 mars pour dire son nom : « Je suis l’Immaculée Conception » ?

Parce que c’est le jour où Gabriel salue en Marie celle qui est « pleine de grâce », chef d’oeuvre de la grâce. Elle n’est pas la grâce, mais il n’y a, en elle, que de la grâce : elle « immaculée ». Comme Dieu nous destine, nous aussi, à être « saints et immaculés » en sa présence. Trois semaines de désert séparent la quinzième et la seizième apparition, comme les Hébreux n’atteignirent le Sinaï que trois mois après être sortis d’Egypte.

. Cette fois-ci, tout aurait dû s’arrêter : la Vierge Marie a donné raison au pape qui avait promulgué le dogme de l’Immaculée Conception.

Le 25 mars précédait de quelques jours la fête de Pâques. Le mercredi de Pâques, 7 avril, Bernadette vient avec un gros cierge : de ses mains, elle protège la flamme et la lumière passe entre ses doigts. Quel beau symbole de la vie chrétienne ! Reste la toute dernière apparition, le 16 juillet, quand une barrière empêche d’aller à la grotte. Dans la vie, les barrières ne manquent pas. Mais Bernadette voit la Dame et désormais vivra dans l’attente de la revoir au ciel, encore plus belle ! Elle le lui a promis.

Propos recueillis par François Vayne