« Il y a de nouveau une étincelle à allumer »
Témoignage donné à Pompéi, la Lourdes italienne
Tout d’abord je voudrais remercier Mgr Tommaso Caputo, l’archevêque de Pompei qui est aussi l’Assesseur de l’Ordre du Saint-Sépulcre – numéro deux dans la hiérarchie ecclésiastique après le Grand Maître – de m’avoir invité à donner mon témoignage ici aujourd’hui, en cette année dédiée aux 150 ans de l’arrivée du fondateur du sanctuaire dans la vallée vésuvienne de Pompei (1872-2022). Je remercie particulièrement Mgr Caputo pour sa lettre à la cité et aux fidèles, publiée à l’occasion de cet anniversaire, par laquelle il nous fait revivre intensément l’expérience fondatrice de Bartolo Longo, notamment à partir du jour où, à Arpaia, le quartier des harpies, dans la vallée pauvre et désolée de Pompéi, il entendit une voix lui répéter intérieurement ces mots qui furent pour lui une illumination : « Chi propaga il Rosario è salvò » (« Qui propage le Rosaire est sauvé ! »). Mes remerciements vont également à mes deux chers amis, le Lieutenant de l’Ordre, Giovanni Battista Rossi et son bras droit ici, Luigi Ramunno, vrais chevaliers de la céleste Reine de Palestine, notre patronne.
Ce samedi est le jour de la semaine plus spécifiquement consacré à la Vierge Marie, un jour cher au coeur du bienheureux Bartolo Longo qui propagea la dévotion des samedis du mois. De plus ce 11 février est la fête de Notre-Dame de Lourdes, que j’ai célébrée chaque année dans le sanctuaire pyrénéen, de l’âge de 24 ans à l’âge de 50 ans, puisque j’y travaillais comme journaliste en charge notamment de la revue d’évangélisation, Lourdes Magazine, le mensuel du sanctuaire marial à l’époque publié en cinq langues et diffusé dans 130 pays… L’évêque, Gardien de la Grotte, m’avait aussi confié la direction de la communication.
Quitter la Grotte de Massabielle il y a dix ans fut pour moi un arrachement et je dois dire que le sanctuaire de Pompei a adopté l’exilé que je suis, j’y ai retrouvé ma Mère, notre Mère, et aussi un père, un guide, un modèle, en la personne de Bartolo Longo.
Aujourd’hui, 11 février 2023, le Pape François nous invite, dans son message pour la Journée mondiale de la personne malade, à tourner notre regard vers le Sanctuaire de Lourdes « comme vers une prophétie », « une leçon confiée à l’Église au cœur de la modernité ». « Il n’y a pas que ce qui a de la valeur marchande qui fonctionne et il n’y a pas que celui qui produit qui compte. Les personnes malades sont au centre du peuple de Dieu qui avance avec elles comme prophétie d’une humanité où chacun est précieux et où personne n’est à exclure », dit le Saint-Père.
C’est ce mystère de la pyramide à l’envers, qui tient sur le point le plus fragile, que j’ai servi à Lourdes comme Journaliste durant 26 ans. En effet, à l’inverse de la loi du monde, dans l’Eglise c’est le plus faible qui soutient l’ensemble, de l’Enfant de Bethléem au Christ en croix, ce qui fait dire à saint Paul : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Corinthiens 12:1-10). C’est ce même mystère que Bartolo Longo a servi ici à Pompei, à travers les œuvres de charité qui sont le fruit de sa prière mariale, voilà pourquoi je me suis senti chez moi dès que j’ai mieux connu le sanctuaire Notre-Dame du Rosaire de Pompéi, où, comme à Lourdes, les plus fragiles sont concrètement aimés à travers une multitude d’œuvres de charité. La « Nouvelle Pompéi », « Casa di Maria » (« Maison de Marie ») surgie d’Arpaia, sur les ruines du péché et de l’ancien monde, est à mes yeux la « Lourdes italienne ».
La découverte de Bartolo Longo grâce à saint Jean-Paul II
J’ai entendu parler de Bartolo Longo pour la première fois il y a vingt ans, quand le Pape Jean-Paul II a publié sa lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae (16 octobre 2002), dans laquelle il nous a exhortés à prier le Rosaire en contemplant la vie du Christ pour nous en inspirer. C’est un clin d’œil de la Providence, comme le souligne Mgr Caputo dans sa lettre du 150ème anniversaire, que cet évènement que nous vivons ensemble, commémorant l’arrivée de Bartolo Longo à Arpaia, se déroule vingt ans après la publication de la lettre apostolique de saint Jean-Paul II. Le Rosaire, nous dit ce saint pape, « concentre en lui la profondeur de tout le message évangélique, dont il est presque un résumé ». Lors de la parution de cette lettre pontificale, en accord avec l’évêque du lieu, j’avais réalisé un numéro spécial de la revue Lourdes Magazine, présentant la vie et l’action caritative de Bartolo Longo. Il m’était totalement inconnu jusqu’alors. Ce laïc m’a été d’emblée sympathique car sa vie n’a pas été facile ; pauvre pécheur, je me reconnaissais en lui, et j’ai dès lors cherché progressivement à le fréquenter spirituellement davantage.
Il n’est pas inutile de nous remmémorer ce que saint Jean-Paul II disait du bienheureux Bartolo Longo dans l’introduction de sa lettre apostolique, parlant de son « charisme spécial », « celui de véritable apôtre du Rosaire ». « Son chemin de sainteté s’appuie sur une inspiration entendue au plus profond de son cœur : « Qui propage le Rosaire est sauvé! ». À partir de là, il s’est senti appelé à construire à Pompéi un sanctuaire dédié à la Vierge du Saint Rosaire près des ruines de l’antique cité tout juste pénétrée par l’annonce évangélique avant d’être ensevelie en 79 par l’éruption du Vésuve ». « Par son œuvre entière, en particulier par les « Quinze Samedis », Bartolo Longo développa l’âme christologique et contemplative du Rosaire », ajoutait Jean-Paul II.
En France, je vous assure, c’est vraiment par cette lettre pontificale que nous avons fait connaissance avec le bienheureux, et l’intérêt pour lui ne cesse de croître, tant il apparaît comme un modèle de vie chrétienne en ces temps difficiles. Nous savons qu’il fut un « prêtre » du spiritisme avant de se tourner avec amour vers les autres, au nom de l’Evangile, réalisant d’immenses œuvres de charité grâce à la force de la prière. Sa vie permet en effet de comprendre qu’il n’est pas de situation infernale sur terre dont la miséricorde divine ne puisse venir nous libérer grâce à la prière du Rosaire. « Qui propage le Rosaire est sauvé ».
Le parcours spirituel du Rosaire, fondé sur la contemplation incessante – en compagnie de Marie – du visage du Christ, est bien un chemin de libération. À ce sujet, dans la lettre de Jean-Paul II, j’avais trouvé une citation du bienheureux très éclairante pour ma vie, m’aidant comme laïc, marié et père de cinq enfants, à entrer en amitié avec Jésus et Marie. Le bienheureux dit : « De même que deux amis qui se retrouvent souvent ensemble finissent par se ressembler même dans la manière de vivre, de même, nous aussi, en parlant familièrement avec Jésus et avec la Vierge, par la méditation des Mystères du Rosaire, et en formant ensemble une même vie par la Communion, nous pouvons devenir, autant que notre bassesse le permet, semblables à eux et apprendre par leurs exemples sublimes à vivre de manière humble, pauvre, cachée, patiente et parfaite ».
« Le Rosaire est à la fois méditation et supplication », écrivait Jean-Paul II dans cette lettre. « L’imploration insistante de la Mère de Dieu s’appuie sur la certitude confiante que son intercession maternelle est toute puissante sur le cœur de son Fils. Elle est « toute puissante par grâce », comme disait, dans une formule dont il faut bien comprendre l’audace, le bienheureux Bartolo Longo dans la Supplique à la Vierge », ajoutait le saint pape. Dans son exhortation apostolique, saint Jean-Paul II parlait encore du bienheureux Bartolo Longo, qui « voyait aussi le chapelet comme une « chaîne » qui nous relie à Dieu ». « Une chaîne, certes, mais une douce chaîne; car telle est toujours la relation avec Dieu qui est Père. Une chaîne “filiale”, qui nous accorde à Marie, la « servante du Seigneur » (Lc 1, 38) et, en définitive, au Christ lui-même qui, tout en étant Dieu, s’est fait « serviteur » par amour pour nous (Ph2,7) ».
Jean-Paul II concluait sa lettre en disant : « Que mon appel ne reste pas lettre morte! ». Je crois qu’il a été entendu, après s’être incliné spirituellement devant l’image de la Vierge du Rosaire dans ce splendide sanctuaire qui lui a été édifié par le bienheureux Bartolo Longo. Le 150ème anniversaire, actuellement, est une belle opportunité pour « retourner à l’expérience de Bartolo Longo » à Arpaia : « Il y a de nouveau une étincelle à allumer », selon l’expression de Mgr Caputo dans sa lettre à la cité et aux fidèles de Pompei.
Les souffrances traversées sans jamais lâcher la prière du Rosaire, grâce à Bartolo Longo
Après ma découverte de Bartolo Longo, dans cette lettre apostolique du Pape, j’ai traversé de grands problèmes familiaux. Nous avions cinq enfants mais la vie de couple était douloureuse, je me suis mis alors à invoquer le bienheureux de Pompéi, à l’appeler à mon secours.
Ainsi, providentiellement, je fus invité à faire ma consécration à la Miséricorde Divine à Rome, dans l’église Santo Spirito in Sassia, le 13 novembre 2004, jour anniversaire de l’arrivée du cadre de la Vierge de Pompéi dans une charette qui servait à transporter le fumier… La Grotte de Lourdes, Massabielle, n’était-elle pas aussi une décharge d’ordures, un lieu mal famé comme Arpaia ? C’est un grand point commun entre Lourdes et Pompéi, qui nous ramène à l’Evangile : celui que Marie Madeleine avait pris pour le jardinier au matin de Pâques peut utiliser notre fumier – si nous le lui offrons – pour faire resplendir des fleurs de grâce et de paix ! Arpaia comme Massabielle est le lieu de la « ripartenza », du redépart, dont parle Mgr Caputo dans sa lettre pour le 150ème anniversaire.
Dans notre famille nous avons traversé de grandes souffrances, comme celle du divorce six ans après la parution de la belle lettre apostolique de saint Jean-Paul II, mais sans jamais lâcher la prière du Rosaire ! « Toute puissante par grâce » comme il est écrit dans Rosarium Virginis Mariae, la Vierge nous a donné de renaître, par la réconciliation avec mon ex-épouse, la nullité de mariage reconnue par l’Eglise et une nouvelle union il y a quatre ans.
Cette chaîne du Rosaire évoquée dans la lettre apostolique, cette chaîne qui nous relie à Dieu, est libératrice de tous les esclavages, je crois, y compris de l’esclavage du destin et de la tristesse. Par exemple encore, étant né de père inconnu – « enfant naturel » – à la fin de la guerre d’Algérie, je souffrais terriblement de ne pas avoir connu mon père, mais la prière du Rosaire m’a libéré de ce poids, Dieu m’ayant offert de rencontrer miraculeusement ce père quand j’étais déjà moi-même père de famille, de l’entendre me dire son amour, puis de connaître ses quatre enfants et de voir ma famille ainsi s’agrandir et se reconstituer… C’est une histoire vraiment biblique, comme chacune de nos histoires, une histoire sainte, parce que vécue avec Dieu malgré les coups de l’ennemi qui cherche à nous séparer de lui. Marie veille et nous garde dans son manteau de lumière, si nous nous y réfugions humblement.
Ensuite, après ces évènements, je vins pour la première fois en voyage à Pompéi, en 2012, un peu en « touriste » dois-je avouer… Dans la France laïque, il n’est question que de tourisme s’agissant de la cité antique de Pompéi, jamais de pèlerinage. J’avais lu des textes de Bartolo Longo, mais je n’avais pas réalisé à quel point le sanctuaire était situé proche des ruines et surtout je ne savais pas que son corps reposait là. Durant le triduum pascal je suis entré dans le sanctuaire et le 7 avril 2012, Samedi saint, je me suis recueilli avec foi auprès du corps de Bartolo Longo, vêtu de son manteau de Chevalier du Saint-Sépulcre (mes notes de l’époque m’ont rappelé la date). Ce fut une surprise pour moi de rencontrer le bienheureux dans la chapelle où il repose. J’ai prié à genoux peut-être des heures, lui confiant mon avenir incertain. Je lui ai parlé comme un fils parle à son père, avec des larmes d’espérance dans les yeux et le cœur battant d’émotion. Je suis sûr qu’il m’a vu et entendu, dans la communion des saints.
Quelques mois plus tard, un nouvel évêque à Lourdes me fit savoir qu’il voulait changer les choses ; en réalité j’étais divorcé et, sans doute, cela ne lui convenait pas… Il m’a fallu partir, faire l’expérience du chômage, alors que j’avais la garde de mes deux plus jeunes enfants… Le soutien du Rosaire a été pour moi essentiel, je me suis accroché à mon chapelet comme un noyé à une bouée de sauvetage. La Providence, qui nous devance toujours, m’a conduit à travailler, à partir de juin 2013, pour la communication internationale l’Ordre du Saint-Sépulcre, à Rome. Je suis certain que le Chevalier Bartolo Longo a intercédé pour moi et depuis je cherche à le faire aimer, comme journaliste mais surtout comme simple baptisé à la vie compliquée qui se reconnait en lui…
Son oeuvre pour les orphelins et les enfants de prisonniers me touche beaucoup, et au-delà de mon histoire personnelle « nous ne sommes pas orphelins, nous avons une mère » – comme dit le Pape François – voilà pourquoi « nous sommes des fils, nous sommes une famille, nous sommes Peuple de Dieu ».
« Je ne vous laisserai pas orphelins » dit Jésus (Jean 14,18), qui ensuite, sur la croix, nous donne sa mère par l’intermédiaire de l’apôtre Jean qui nous représente tous…
Dans le monde spirituellement orphelin, où Dieu et sa Mère sont oubliés, absents des préoccupations de beaucoup, nous pouvons invoquer le bienheureux de Pompéi pour qu’il nous garde dans la foi catholique et dans l’amour de Marie Immaculée. La photo de Benoît XVI, futur docteur de l’Eglise, à genoux devant la chasse de Bartolo Longo, dans le livret où est publiée la lettre de Mgr Caputo à l’occasion de ce 150ème anniversaire (page 11) est très évocatrice. C’était le 19 octobre 2008, moins d’un an après la publication de son encyclique Spe Salvi où il écrit : « Quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l’étoile de l’espérance, elle qui par son « oui » ouvrit à Dieu lui-même la porte de notre monde; elle qui devint la vivante Arche de l’Alliance, dans laquelle Dieu se fit chair, devint l’un de nous, planta sa tente au milieu de nous (cf. Jn 1, 14)? ». « Sainte Marie, Mère de Dieu, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi (…) Étoile de la mer, brille sur nous et conduis-nous sur notre route! ».
Vivre et travailler chaque jour en présence de Bartolo Longo
Répandre l’espérance dans ce monde en crise, c’est faire rayonner le sourire de Marie, notamment par l’intermédiaire des médias, à travers les moyens de communication. Je suis journaliste, admiratif de la revue fondée par Bartolo Logo – Le Rosaire et la Nouvelle Pompéi – j’y suis abonné. Là aussi Bartolo Longo est un modèle, pour communiquer les merveilles de Dieu. Il est pour moi un « influencer » comme disent les jeunes, au quotidien. Il nous aide à « generare Dio », à « générer Dieu », à travers les relations humaines, sans viser les résultats, dans la perspective de ce que Mgr Caputo définit dans sa lettre comme une « pastorale generativa », une « pastorale générative », inspirée de la culture de la rencontre qui caractérise le pontificat du Pape François.
Il est le seul laïc membre de l’Ordre du Saint-Sépulcre qui ait à ce jour été béatifié. Tous les jours au Palazzo della Rovere, siège romain de l’Ordre, allant réciter la prière de l’angélus, je passe dans un couloir devant un bas relief représentant Bartolo Longo. Comme il est situé un peu en hauteur, vérifiant que personne ne me voie, je parviens à toucher sa barbe dans un mouvement de prière, lui confiant notamment notre travail pour l’Eglise Mère qui est en Terre Sainte, et pas seulement. Après l’angélus, je suis souvent en réunion avec le cardinal Fernando Filoni, Grand Maître, et là, dans son grand bureau, le portrait géant de Bartolo Longo préside à nos entretiens. Autant dire qu’il inspire nos conversations quotidiennes.
Jean-Paul II le déclara bienheureux le 26 octobre 1980, et les grâces ne manquent pas à qui l’invoque avec humilité et confiance. J’espère de tout mon cœur qu’un miracle permette prochainement sa canonisation afin que son exemple de foi et de charité active soit suivi davantage encore.
Pour conclure, je vous propose de faire nôtres les paroles touchantes par lesquelles Bartolo Longo termine la célèbre Supplique à la Reine du Saint Rosaire, citéees par saint Jean-Paul II dans sa fameuse lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae : « Ô Rosaire béni par Marie, douce chaîne qui nous relie à Dieu, lien d’amour qui nous unit aux Anges, tour de sagesse face aux assauts de l’enfer, havre de sécurité dans le naufrage commun, nous ne te lâcherons plus. Tu seras notre réconfort à l’heure de l’agonie. À toi, le dernier baiser de la vie qui s’éteint. Et le dernier accent sur nos lèvres sera ton nom suave, ô Reine du Rosaire de Pompéi, ô notre Mère très chère, ô refuge des pécheurs, ô souveraine Consolatrice des affligés. Sois bénie en tout lieu, aujourd’hui et toujours, sur la terre et dans le ciel ».
François Vayne
Pompéi, le 11 février 2023