Cet article a été publié en italien sur le site internet de l’hebdomadaire Famiglia Cristiana. Il est suivi ici de deux entretiens exclusifs qui m’ont été accordés, l’un avec Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, et l’autre avec son prédecesseur, injustement contraint à la démission, Mgr Michel Aupetit.
« Notre-Dame, modèle de foi, ouvre tes portes », a demandé par trois fois l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich (73 ans), frappant avec sa crosse à la porte de la cathédrale. Résonnant du chant de la louange et s’ouvrant ensuite de nouveau au culte et aux visites, Notre-Dame lui répondit symboliquement par le chant du psaume 121 suivi de l’hymne « Voici la demeure de Dieu parmi les hommes ».
Après plusieurs années de longs travaux qui ont fait suite à l’incendie dévastateur du lundi saint 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris, datant du XIIIème siècle, a ainsi rouvert ses portes ce 7 décembre 2024, en présence de nombreux évêques, du cardinal Timothy Dolan, archevêque de New York, et d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, dont le président italien Mattarella et le président élu des Etats Unis, Donald Trump.
Un message du Pape était adressé pour l’occasion à Mgr Ulrich, lu publiquement par le Nonce apostolique, dans lequel il a exprimé le souhait que « la renaissance de cette admirable église puisse constituer un signe prophétique du renouveau de l’Église en France ». Son absence est cependant restée incomprise par les fidèles, d’autant qu’il prévoit de se rendre dans le sud de la France, pour un colloque à Ajaccio, la semaine prochaine.
Dans un communiqué commun, au pays d’une « sacrosainte » laïcité qui sépare l’Eglise de l’Etat, l’Élysée et le diocèse de Paris avaient annoncé la veille que l’intégralité de cette cérémonie historique se déroulerait finalement « à l’intérieur de la cathédrale », contrairement à ce qui était prévu dans le programme officiel. En cette période de crise politique très grave en France, la renaissance de Notre-Dame a favorisé une union sacrée, éphémère mais historique.
« Le brasier de Notre-Dame était une blessure nationale et vous avez été son remède, par la volonté, par le travail, par l’engagement », avait dit le président français Emmanuel Macron, le 29 novembre dernier, lors de la cérémonie de remerciements aux acteurs et aux mécènes de la reconstruction de ce lieu de culte qui est propriété de l’Etat et dont l’Eglise est affectataire. Dans l’esprit des compagnons du Moyen Âge, 2000 ouvriers et artisans ont travaillé jour et nuit sur ce gigantesque chantier du siècle, où le bois de 2000 chênes a permis de fabriquer la nouvelle charpente et la flèche de Notre-Dame qui avait flambé sous les yeux des parisiens et des téléspectateurs du monde entier, bouleversés et impuissants.
C’est de nouveau en direct qu’étaient transmises les images de la renaissance de ce joyau de l’art gothique, emblème de la France, inscrit au patrimoine de l’Unesco, à la reconstruction duquel ont participé 340.000 donateurs pour un total de 843 millions d’euros. Après l’évacuation des décombres, les échafaudages et le nettoyage des 30.000 mètres carrés de voûtes et de murs intérieurs souillés par les fumées de 400 tonnes de plomb fondu, Notre-Dame – majestueuse et sublime comme la célébrait Victor Hugo – a été finalement rendue à un peuple qui voulait la retrouver telle qu’elle était depuis les vastes aménagements de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, au XIXème siècle.
« Notre cathédrale nous rappelle que nous sommes les héritiers d’un passé plus grand que nous, notre cathédrale nous dit combien le sens, la transcendance nous aide à vivre en ce monde : transmettre et espérer ! », déclarait en ouverture de cérémonie le président de la République française, après un vibrant hommage aux pompiers de Paris et aux bâtisseurs de Notre-Dame, saluant la performance technique et la capacité de la France à s’unir. Il était entouré des autorités publiques et religieuses qui avaient ensemble assisté au courageux sauvetage de l’édifice il y a cinq ans. Dans la cathédrale le clergé portait les beaux ornements lumineux – colorés de bleu, de jaune, de vert et de rouge – créés pour l’occasion par Jean-Charles de Castelbajac, signifiant que la dimension spirituelle reprenait enfin possession de Notre-Dame.
Sous le regard de la statue de la Vierge du Pilier, devant laquelle Paul Claudel découvrit la foi le soir de Noël 1886, près de 3000 personnes, dont 170 évêques de France, des fidèles des 106 paroisses de Paris et 150 personnes en situation de précarité, assistaient à cet évènement grandiose, qui s’est poursuivi par le « réveil » du grand orgue symphonique d’Aristide Cavaillé-Coll, épargné par l’incendie puis restauré.
Assurant la connexion entre deux mondes, le réveil de l’instrument liturgique aux 8000 tuyaux, véritable « voix de la cathédrale », a provoqué une immense émotion dans l’assemblée : l’archevêque de Paris l’a interpellé huit fois – « Éveille toi, orgue, instrument sacré » – tandis qu’il lui répondait progressivement, grâce aux improvisations successives de l’organiste. Par l’ampleur et la douceur du son qu’il a développées, faisant vibrer les pierres de Notre-Dame, l’orgue, expression de la transcendance, a élevé les âmes des participants vers un au-delà du temps et de l’espace.
Le temps semblait en effet suspendu ensuite, durant les Vêpres solennelles, au cours de l’encensement de la Vierge du Pilier ramenée en procession dans la cathédrale quelques jours plus tôt, puis pendant la bénédiction et le Te Deum, ce chant en prose du IVème siècle qui, en s’adressant à Dieu, récapitule tout le mystère chrétien.
Lors du Te Deum, les regards étaient tournés vers la Croix glorieuse de Marc Couturier et la statue de la Pietà, derrière l’autel, sculpture exécutée au XVIIIe siècle par Nicolas Coustou pour honorer « le voeu de Louis XIII » en 1638, la consécration de la France à Marie. Des stigmates de Notre-Dame dévorée par les flammes ne demeure qu’une coulure de plomb dans la paume de la main du Christ que tient dans ses bras la Pietà, rappelant discrètement la protection céleste qui a stoppé la destruction de la cathédrale. Sur les rives de la Seine, comme au soir de l’incendie, une foule formée de personnes de toutes les convictions, croyants ou pas, était revenue pour admirer de loin la résurrection de Notre-Dame, illuminée d’un nouveau feu, celui de l’espérance.
Dimanche, durant la messe, Mgr Ulrich consacra l’autel en bronze, signe du Christ sur lequel la foi de l’Eglise s’appuie, concluant par une messe les célébrations de la réouverture de Notre-Dame, avant que le public puisse revenir. Du 8 au 15 décembre 2024, la cathédrale accueillera de nouveau les visiteurs pour un octave de réouverture : huit jours pour que la joie de ce moment unique puisse se dilater dans le temps. Dans l’avenir 15 millions de visiteurs par an sont attendus, soit 40.000 par jour.
Cette « résurrection de Notre-Dame », de l’avis de quelques participants, prouve si nécessaire que « le matérialisme ne peut étancher notre soif et que les renaissances sont toujours possibles ». « Des cendres à la lumière, une seule leçon : croire que rien n’est jamais perdu ! De toutes les épreuves, nous pouvons faire une force. De toute mort, nous pouvons faire une résurrection », faisait remarquer ce week-end sur les réseaux sociaux, l’abbé Pierre Amar, prêtre de la région parisienne. « Il faut vraiment voir dans cette cathédrale qui ne s’est pas effondrée, l’Eglise qui reste debout malgré les assauts des flammes », commentait pour sa part un pompier converti au catholicisme après l’incendie, Matthieu, qui fut parmi les premiers à entrer dans Notre-Dame ravagée, après l’effondrement de la flèche, pour sauver les reliques de la couronne du Christ. Cette sainte couronne reviendra en procession pour prendre place dans son nouveau reliquaire le 13 décembre prochain, à la fin de l’octave de la réouverture de Notre-Dame, portée en procession par les Chevaliers et les Dames de l’Ordre du Saint-Sépulcre.
François Vayne
Entretien exclusif avec Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris
. Au regard de l’histoire du diocèse de Paris et de l’Eglise qui est en France, que représente l’événement de la “résurrection” de Notre-Dame de Paris, après le terrible incendie d’il y a cinq ans?
C’est un très beau signe que l’espérance ne déçoit pas, et une joie immense de retrouver notre maison. J’entends depuis quelques jours les personnes qui travaillent à cette réouverture, des prêtres pour certains d’entre eux, qui doivent entrer dans la cathédrale pour les derniers préparatifs, et me disent « J’ai eu le sentiment de rentrer à la maison, de retrouver le chemin de la maison ». Nous vivons exactement cela. Bien sûr, nous n’oublions pas l’incendie, ni les autres épreuves, la pandémie, les scandales. Mais l’espérance qui vient de Dieu lui-même, sans rien gommer de ces épreuves, nous donne la force de les traverser. Au cours de ces cinq années, ce chantier a manifesté pour beaucoup que le Seigneur ne nous abandonne jamais dans les difficultés de notre vie, dans les difficultés de l’Histoire, mais demeure près de nous. A Notre-Dame, au fond du chœur, il y a une très belle métaphore de cela : la statue de la Vierge tenant Jésus descendu de la croix dans ses bras, qu’on appelle la Pietà. Après l’incendie, on s’est aperçu que la statue était restée intacte, mais qu’un peu de plomb fondu avait coulé dans la main du Christ ; et la décision a été prise de ne pas le retirer.
. Comme pasteur en charge de l’Eglise à Paris, comment vivez-vous personnellement ce moment historique, quel sens lui donnez-vous?
Je le vis avec une grande émotion bien sûr, c’est une joie très profonde et un immense honneur qui m’est fait. Je demande dans ma prière de pouvoir vivre ce moment avec cette joie simple, cette émotion sincère, sans pour autant oublier que je ne franchis pas seul le seuil de Notre-Dame. Par mon geste, c’est bien le peuple de Dieu qui est à Paris qui entre dans sa cathédrale. Pour moi, retrouver cette cathédrale est un signe fort : mon ministère est un ministère de service de ce peuple de Dieu qui rentre chez lui aujourd’hui.
. La cathédrale Notre-Dame de Paris, où est conservée la relique de la couronne d’épines du Christ, est comme une présence maternelle qui veille sur la population, transformant en elle les souffrances de tous en douleurs d’enfantement. Elle est un signe d’espérance au-delà des appartenances religieuses. Quels témoignages de cette dimension interreligieuse de Notre-Dame vous sont parvenus en ces jours?
C’est depuis mon arrivée à Paris en réalité que je perçois cela ! Toutes les personnes que je rencontre, quelle que soit leur origine, qu’elles soient croyantes ou non, chrétiennes ou non, me demandent des nouvelles de Notre-Dame. Encore récemment, un ami juif me disait « ce n’est pas que votre Dame, c’est Notre-Dame à tous ! ». Par sa beauté incomparable – à laquelle le chantier de restauration a rendu tout son éclat – Notre-Dame parle un langage universel, qui peut toucher tous les cœurs et inviter à l’unité, à la communion. A ce titre, elle est à la fois tout à fait au cœur – au cœur de Paris, au cœur de notre diocèse, au cœur de notre vie de foi dans cette ville – et tout à fait en périphérie : nous avons soif d’y accueillir de nouveau le monde entier, les catholiques, les chrétiens, les croyants des autres religions, les chercheurs de Dieu, les petits et les pauvres dont c’est la demeure, ceux qui sont d’ici et ceux qui viennent de très loin.
. La célèbre statue de la Vierge du Pilier est revenue à Notre-Dame, en procession, avant la réouverture officielle de la cathédrale. Quel est à vos yeux le message de cette représentation mariale tant aimée des pèlerins du monde entier?
Pour vous répondre en peu de mots, je cite en substance ce que j’écrivais dans ma première lettre pastorale en tant qu’archevêque de Paris, pendant l’Avent 2022, durant la période des travaux de reconstruction. Ce propos est encore plus actuel alors qu’elle ouvre de nouveau ses portes : aujourd’hui, Notre-Dame retrouve sa vocation d’être, à l’image de la Mère de Dieu, non pas la Lumière mais un reflet de la Lumière. Et comme la cathédrale, à l’exemple de la Vierge Marie, nous aussi, membres de l’Église, nous sommes appelés à être au cœur du monde signe, indication, accueil, présence, ouverture vers ce mystère de l’amour infini de Dieu pour tous les humains.
Propos recueillis par François Vayne
Entretien exclusif avec Mgr Michel Aupetit, archevêque émérite de Paris
. Comment avez-vous appris que Notre-Dame brûlait, le 15 avril 2019 ?
C’était le lundi saint, le début de la Semaine sainte qui précède le dimanche de Pâques. Karine Dalle, ma directrice de la communication, m’a averti que des informations arrivaient avec des photos montrant de la fumée s’échappant de Notre-Dame… Nous sommes aussitôt partis sur place et avec le maire de Paris et le président de la République nous étions là, à attendre de minute en minute les nouvelles que nous donnait le général des pompiers, espérant sauver les tours de l’effondrement. Jusqu’à minuit j’ai prié de toutes mes forces avec le peuple de Paris, regardant les pompiers au milieu des flammes dans les tours en demandant à Dieu de les protéger. Il n’y a pas eu un blessé, pas un mort : la Vierge a fait ce miracle ! Si les 500 tonnes d’échafaudage étaient tombées, tout aurait été détruit et il y aurait eu des victimes. La prière nous a sauvés du pire.
. Quels premiers souvenirs avez-vous du lendemain de l’incendie ?
Je me souviens du récit de Mgr Patrick Chauvet, alors recteur de Notre-Dame, qui fut le premier à entrer dans la cathédrale détruite. Il m’a raconté avoir vu deux choses, la croix lumineuse au fond et la statue de la Vierge du Pilier. La Vierge du Pilier était intacte alors que ma cathèdre en dessous était pulvérisée. L’autel aussi était pulvérisé. Que la Vierge du Pilier soit restée intacte est inexplicable. Nous l’avons emmenée dans l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, avant son retour en procession dans la cathédrale reconstruite, le 15 novembre 2024. Une copie identique a été installée devant Notre-Dame, sur le parvis, durant les travaux, devant laquelle de nombreux passants ont prié ou se sont recueillis avec respect.
. Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans les réactions de la population après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 ?
J’ai été très touché par la spontanéité des donations, non seulement de la part de grands chefs d’entreprise comme Messieurs Pinault et Arnault, mais aussi de la part de personnes les plus diverses. Le roi du Maroc a fait un don d’environ un million d’euros, au nom de son peuple très majoritairement musulman. Les habitants d’un village de Chine continentale m’ont envoyé 600 euros, ce qui représentait pour eux une somme considérable. Une dame des Etats Unis m’a envoyé un billet de 20 dollars. Un petit garçon m’a arrêté dans la rue pour me donner un euro, un autre jeune m’a confié avoir demandé à ses camarades de ne pas lui faire de cadeau d’anniversaire mais de participer à une offrande pour la cathédrale, qu’il m’a donnée personnellement. C’est vrai que les grands donateurs ont reconstruit les pierres de Notre-Dame mais ce sont les personnes les plus modestes qui ont fait renaître l’âme de Notre-Dame. Si la tour Eiffel est le signe de Paris, Notre-Dame est le signe de la France !
Propos recueillis par François Vayne