Avec un peu d’avance sur l’ouverture officielle prévue à Rome le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, l’Année Jubilaire de la miséricorde s’ouvre symboliquement en ce premier dimanche de l’Avent au cœur de l’Afrique, à Bangui, « capitale spirituelle du monde » à cette occasion, selon les mots de François. Il l’a désiré ainsi car les habitants de la République centrafricaine ont connu de grandes souffrances liées à deux guerres civiles, et il veut favoriser l’ouverture des cœurs et la réconciliation. Les nombreuses exactions intercommunautaires ont conduit à une situation « pré-génocidaire » en Centrafrique. Une résolution de l’ONU a permis il y a deux ans à la France d’envoyer des troupes armées – « opération Sangaris – pour désamorcer le conflit et protéger les civils. Un accord de paix a été signé mais la situation sécuritaire demeure précaire. La visite courageuse du Pape à la mosquée de Bangui, et sa rencontre avec la communauté musulmane centrafricaine, le 30 novembre, est un geste fort en faveur du dialogue interreligieux, pour tenter de désarmer la haine. Dans une situation internationale de « troisième guerre mondiale par petits morceaux », où le terrorisme islamique est instrumentalisé en fonction de divers intérêts stratégiques, François aura délivré son message de paix avec force d’un bout à l’autre de ce périple africain, faisant des pauvres et des jeunes ses interlocuteurs privilégiés.
Après l’étape de Nairobi au Kenya, c’est sous un soleil brûlant, samedi, à Kampala, qu’il s’adressait à près de 150 0000 jeunes Ougandais rassemblés autour de lui dans l’ambiance des JMJ, leur demandant de ne jamais désespérer de Dieu, de transformer le négatif en positif par le moyen de la prière et du service.
Assis sous un dais, il a écouté le témoignage très émouvant d’Emmanuel Odokonyero, capturé lorsqu’il était enfant par la terrible rébellion de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), ayant vu ses amis tués et torturés, avant de s’échapper. Une jeune femme, Winnie Nansumba, née de parents malades, avec le sida, a expliqué comment la foi l’a aidée à s’intégrer dans la société.
Le Saint-Père, s’appuyant sur ces deux témoignages, a encouragé les Ougandais à dépasser leurs difficultés. « Une expérience négative peut-elle servir à quelque chose dans la vie ? », questionnait-il, répondant qu’il est possible de « transformer les murs en horizons et les obstacles en opportunités avec le Christ qui a vaincu la mort ».
« Jésus peut abattre les murs que nous avons devant nous, il peut faire en sorte que notre vie devienne service pour les autres », ajoutait-il. « Etes-vous prêts à transformer la haine en amour, à transformer la guerre en paix? Priez-vous tous? Je n’ai pas bien entendu? Priez-vous bien tous? Pensez-vous que Jésus aime chacun? Etes-vous prêts à lutter, à demander à Jésus de vous aider dans cette lutte? Priez-vous notre Mère, Marie? », lançait le successeur de Pierre comme un prêcheur au temps de saint François, laissant de côté son discours pour mieux communiquer avec la multitude venue l’écouter.
« Armez-vous de la justice, de l’amour et de la miséricorde »
Je faisais pour ma part les commentaires de cet évènement en direct sur radio Vatican, ému profondément par les appels du Pape à suivre l’exemple des martyrs d’Ouganda, catholiques et anglicans, qu’il est allé honorer sur les lieux de leur sacrifice.
« Vous devez être conscients que vous êtes un peuple de martyrs, c’est-à-dire de témoins, et que dans vos veines court le sang des martyrs », insistait le Pape en parlant aux jeunes, évoquant en particulier saint Charles Lwanga et ses 21 compagnons, tués sur ordre du roi Mwanga, à la fin du XIXème siècle, pour avoir obéi à leur conscience en refusant de participer à des actes homosexuels auxquels il voulait les soumettre, et d’abjurer leur foi.
Cette jeune Eglise d’Afrique de l’est située aux sources du Nil, dans une zone géographique considérée comme le berceau de l’humanité, est une perle d’espérance que le Pape met en lumière pour nous inviter à nous décentrer de nous-mêmes à la veille de l’Année Sainte. Ce Jubilé nous permettra de ressentir davantage les souffrances de notre prochain et de nous hâter à son secours dans un élan de consolation qui fera de nous aussi des témoins du Ressuscité (Actes des apôtres 1, 18) « jusqu’aux extrémités de la terre ».
Quand le Pape a poussé la Porte Sainte de la cathédrale de l’Immaculée Conception à Bangui, dimanche soir, il a en même temps ouvert pour chacun la possibilité d’accueillir intérieurement une grâce qui pourra faire de nous « des artisans du pardon, des spécialistes de la réconciliation, des experts de la miséricorde », comme il l’a dit lors de son homélie. A cet égard il a rappelé que le témoignage des païens sur les chrétiens de l’Eglise primitive doit rester présent à notre horizon comme un phare : « Voyez comme ils s’aiment, ils s’aiment vraiment » (Tertullien, Apologétique, 39, 7). Et à tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde, il a lancé un appel pressant : « déposez ces instruments de mort ; armez-vous plutôt de la justice, de l’amour et de la miséricorde, vrais gages de paix ».