Intellectuel français laïc de renom, spécialiste des questions de communication, Dominique Wolton vient de publier un livre d’entretiens avec le Pape François, fruit d’une rencontre vraiment exceptionnelle. J’ai eu la joie de partager un moment d’amitié en compagnie des deux protagonistes, cet automne au Vatican, dans la résidence Santa Marta où réside le Saint-Père. Leurs échanges libres et joyeux m’ont fait penser à une danse. C’est aussi ce que l’on peut ressentir à la lecture de l’ouvrage – plus de 400 pages – retraçant douze rendez-vous d’une longue conversation menée hors de tout cadre institutionnel.
Le premier pape de la mondialisation, le premier pape jésuite et non européen, a accepté ce dialogue non conformiste avec un chercheur qui se déclare agnostique, sans doute afin de mieux rejoindre la société laïque et toutes les personnes éloignées de l’Eglise. « Je désire une Eglise qui sache s’insérer dans les conversations des hommes, qui sache dialoguer. C’est l’Eglise d’Emmaüs, dans laquelle le Seigneur interviewe les disciples qui cheminent découragés. Pour moi l’interview fait partie de cette conversation de l’Eglise avec les hommes d’aujourd’hui », souligne par ailleurs le Pape.
Au cœur de cette rencontre authentique, juste, honnête et respectueuse, entre le Saint-Père et Dominique Wolton, apparaît l’urgence de privilégier l’homme sur la technique. « L’erreur a été de croire que l’unité se ferait par l’uniformisation » (page 278). Ainsi les deux confidents revalorisent la tradition, montrant la nécessité de retrouver « le sens de la terre, de la patrie, du peuple », pour résister à la globalisation de l’indifférence.
La modernité est devenue une idéologie, constatent-ils, regrettant par exemple que la laïcité soit parfois placée au-dessus des religions – comme c’est le cas en France – alors qu’elles font partie de la culture. « Le mot que je n’aime pas c’est « tolérance ». Parce que la tolérance, c’est supporter quelque chose qui ne convient pas, mais que l’on supporte. La tolérance, c’est un mot démodé », note le Pape, réaffirmant qu’une saine laïcité devrait être ouverte positivement à la transcendance.
Les deux auteurs soulignent la nécessité de redonner sa place au temps, à la transmission, à la réflexion, s’accordant sur l’expression de Dominique Wolton selon laquelle « cela ne sert à rien d’être moderne ». « L’idéologie mondiale aujourd’hui ce sont les techniques de communication », dit le chercheur, qui critique vivement l’emprise d’internet et des réseaux sociaux – il n’y a pas de corps » – ainsi que leurs liens avec « l’idolâtrie de l’argent » dénoncée par le Saint-Père. « L’économie libérale de marché est une folie », s’exclame François (page 106), décrivant la stratégie des riches qui est de corrompre pour dominer… « La morale va revenir comme interrogation sur le sens », prophétise l’intellectuel français, car la question est désormais d’humaniser l’Homme et de le protéger face à la technique, à l’économie et à l’argent qui « mangent tout ».
« Le seul enjeu c’est l’homme, avec l’amour et l’altérité », résume encore le chercheur dans ce livre, ode à la vraie communication qui ne peut être qu’humaine.
Quelle méthode préconiser ? Faire des ponts est selon eux la solution, et pour cela le Pape explique qu’il faut se sentir pécheurs. « Parce que quand tu te sens pécheur, tu demandes pardon, et ce faisant, tu lances un pont », fait-il remarquer. Pour lui, le pont humain le plus universel est de se serrer la main. Il ajoute que la clé de la communication est l’humilité. « On ne peut communiquer sans humilité » : c’est toujours un acte qui consiste à « aller dans la maison de l’autre ». « Ce que vous dites, synthétise Dominique Wolton, c’est que la communication est un mouvement « vers », et qu’il ne faut pas avoir peur de s’abaisser ».
L’objectif fixé pour freiner la toute puissance de la technique dans la communication est de donner la priorité aux gestes primordiaux – danser, serrer les mains, s’embrasser, pleurer – et à « la concrétude » dans les rapports humains. Le Pape aime citer un de ses films préférés, Le Festin de Babette, où tout se reconstruit autour du manger et du boire ensemble. Dans cet esprit de la rencontre, Dominique Wolton souligne notamment que les pèlerinages sont la force de l’Eglise (page 247). Là intervient aussi la question des migrants, qui ramènent la dimension de la chair dans une société qu’emprisonne le virtuel.
« Je vous sens comme quelqu’un en colère », dit le chercheur au Pape, reconnaissant peut-être en lui cet homme dont parle l’Evangile de saint Luc, qui voyant que les invités ne venaient pas à son dîner, envoya chercher les estropiés, les aveugles et les boiteux pour remplir sa maison… « Si les Européens veulent rester entre eux, qu’ils fassent des enfants», lance François, sans illusions sur l’égoïsme et l’individualisme qui minent la société occidentale matérialiste en perte de repères spirituels. « Les Européens se sont perdus dans les techniques » (Dominique Wolton).
« La réforme des attitudes » s’impose au fond, avec comme modèle L’Angélus de Millet, ce tableau où l’on devine la sainteté cachée de l’Eglise à travers la simplicité de deux paysans qui prient, « un peuple qui prie, un peuple qui pèche, et puis se repent de ses péchés ». Pour s’engager dans cette révolution, « devenir un saint sans se faire remarquer » (page 274) est le désir qui monte au cœur après lecture de ce livre prophétique dont on ressort émerveillé.
Pape François, avec Dominique Wolton. Politique et société. Editions de l’Observatoire (21 euros)
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Compléments d’information sur un blog également très bien tenu : http://benoit-et-moi.fr/2017/actualite/les-incroyables-propos-dun-pape.html
Soyons ces catholiques toujours informés de manière objective et nous avancerons mieux vers celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie !
Fraternellement,
Michel