En fidélité à l’esprit du nouveau pontificat, le message de cette Semaine sainte est peut-être à chercher en périphérie de nos habitudes religieuses parfois bien éloignées des exigences de l’Evangile. Ainsi par exemple méditons ce qu’a dit l’évêque de Rome au cours de l’après-midi de la fête des Rameaux, lorsqu’il est allé visiter une paroisse de la banlieue romaine, dans le quartier de la Magliana. Depuis le parvis de l’église Saint-Grégoire-le-Grand il s’est adressé aux habitants dont beaucoup ont souffert en raison d’une bande criminelle qui faisait régner sa loi par la violence. « Le meilleur endroit pour trouver le Seigneur, ce n’est pas l’église, c’est notre propre faiblesse », a-t-il souligné en substance (1), invitant chacun à faire l’expérience de la présence aimante du Christ au cœur même des blessures les plus intimes, physiques ou morales. Ces paroles m’ont fait pensé à la réflexion étonnée d’un évêque français à peine en charge d’un grand sanctuaire, qui se demandait publiquement « pourquoi les apparitions de la Vierge se déroulent presque toujours en marge de nos institutions ». Il a ici la réponse d’un pape éminemment marial par son humilité, son humanité et son amour vrai des personnes, et d’autres réponses ne manqueront pas d’abonder encore… « Francesco, uno di noi » (« François, un de nous »), disait la foule du quartier romain de la Magliana, touchée par son évêque François, véritable modèle pour tous ceux qui ont reçu dans l’Eglise catholique une mission pastorale. Son exemple inspire de plus en plus d’évêques, notamment aux Etats Unis, qui renoncent à des travaux coûteux en adoptant un style de vie plus évangélique. « La croix n’est pas un ornement que nous devons toujours disposer sur l’autel dans les églises, ce n’est pas un symbole qui nous distingue des autres, c’est le mystère de l’amour qui s’humilie lui-même », insistait récemment le pape lors d’une homélie matinale dans la maison Sainte-Marthe où il a choisi de demeurer simplement, parmi d’autres résidents, depuis son élection, il y a treize mois.
« Pas de place pour la médiocrité »
Au lendemain du dimanche des Rameaux il rencontrait des séminaristes des diocèses du Latium, venus en pèlerinage à pied jusqu’à Rome, leur demandant de ne pas se préparer à devenir les fonctionnaires d’une entreprise ou d’un organisme bureaucratique, mais des pasteurs à l’image de Jésus. « Pie XI avait dit qu’il valait mieux perdre une vocation, que de prendre un risque avec un candidat peu sûr », ajouta-t-il avec fermeté, citant avec force le prophète Ezéchiel à propos des mauvais pasteurs (34, 1-6), et affirmant que pour suivre Jésus dans le ministère sacerdotal « il n’y a pas de place pour la médiocrité, cette médiocrité qui conduit toujours à utiliser le peuple de Dieu à son propre avantage ». Ce ton prophétique qui caractérise le nouveau pape a également marqué la messe chrismale, au matin du Jeudi saint, dans la basilique Saint-Pierre. Les prêtres étaient venus nombreux pour la consécration des huiles saintes qui serviront toute l’année à célébrer les sacrements dans les paroisses de la Ville éternelle. Ils ont renouvelé leurs promesses sacerdotales en ayant entendu le pape exhorter chacun d’eux à ne pas être onctueux, imposant, et présomptueux. Son homélie d’une extrême intensité sur l’identité du prêtre fera date ; il y dénonce l’introspection et la recherche de sa propre intériorité : « Sors de toi-même, sors et donne à ton peuple ce qui t’a été confié, et ton peuple aura soin de te faire sentir et goûter qui tu es, comment tu t’appelles, quelle est ton identité… Sortir de soi-même demande de se dépouiller de soi, cela demande une pauvreté ». Sur la place Saint-Pierre et dans les rues avoisinantes, après cette messe à laquelle ils venaient de participer, les prêtres rayonnaient de joie et faisaient preuve d’une attention renouvelée aux pèlerins qui les accostaient, les écoutant volontiers, et demandant souvent que l’on prie pour eux, comme le pape le fait régulièrement. « L’effet François » est décidément contagieux.
« L’immensité de l’amour de Dieu »
Dans la soirée du Jeudi saint, ouvrant le Triduum pascal, le pape célébrait la Cène du Seigneur dans un centre de réhabilitation neuromotrice de la banlieue romaine : la fondation Don Gnocchi. Il a lavé et embrassé les pieds de douze personnes handicapées et défavorisées, se mettant à genoux comme un humble serviteur et se relevant à chaque fois avec grande difficulté, donnant de nouveau la caresse de son sourire aux plus fragiles, s’immergeant dans les « périphéries existentielles » où il souhaite ardemment engager avec lui toute l’Eglise, corps mystique du Christ. Nous sommes cette Eglise, ensemble, et l’horizon de réconciliation qui s’offre à nous tous avec la fête de Pâques était clairement indiqué par le Père Cantalamessa, prédicateur de la Maison Pontificale, lors de la célébration de la Passion du Seigneur, Vendredi saint, dans la basilique Saint-Pierre : « La confession nous permet de vivre ce qui est dit du péché d’Adam dans l’Exultet pascal: « O heureuse faute qui nous a mérité un tel et un si grand Rédempteur ! ». Jésus sait faire de toutes les fautes humaines, une fois que nous sommes repentis, des « heureuses fautes », des fautes dont on ne garde aucun souvenir si ce n’est celui de l’expérience de miséricorde et de tendresse divine dont elles furent l’occasion ! ». Plus tard, dans la soirée, à la fin du Chemin de Croix, devant quelques 40.000 fidèles réunis au Colisée, le pape improvisait une méditation bouleversante, considérant que la crucifixion de Jésus résume toutes les « injustices, toute l’amertume de la trahison de Judas et de Pierre, toute la vanité des puissants, toute l’arrogance des faux amis ». « Dans la Croix, nous voyons la monstruosité de l’homme quand il se laisse guider par le mal. Mais nous voyons aussi l’immensité de l’amour de Dieu qui ne s’occupe pas de nous selon nos pêchés, mais selon sa miséricorde ».Après l’avoir écouté, la question qu’il posait le jour des Rameaux nous revenait intérieurement pour retentir profondément dans nos consciences : « Devant Jésus qui souffre, suis-je comme Judas ou comme Marie ? Où est mon cœur ? ».
Pâques est une chance à saisir pour nous ouvrir à Dieu, selon ce que François déclarait à l’audience générale du 16 avril, fête de la naissance au Ciel de sainte Bernadette, car « c’est quand tout semble perdu qu’Il intervient avec la puissance de la résurrection ».
Je vous souhaite, chers lecteurs, toute la joie de Pâques, et je vous donne rendez-vous pour la canonisation des papes Jean-Paul II et Jean-XXIII que vous pourrez aussi suivre « en direct » et aux premières loges sur mon compte Twitter.
(1) « Il posto migliore per trovare il Signore non è la chiesa, ma la propria debolezza ». Osservatore Romano / 7-8 avril 2014.