. Joseph de Habsbourg-Lorraine, comment est née l’idée d’un pèlerinage international
des statues de Notre-Dame de Tendresse dans les lieux de souffrance et de pauvreté
du monde actuel?
Cette idée est née de plusieurs intuitions. Tout d’abord l’appel du Pape François à venir à
Rome en “pèlerins d’espérance” ; nous avons tout de suite pensé à ceux qui ne pouvaient
pas s’y rendre. Ensuite du thème des JMJ de Lisbonne : “Marie se leva et partit en hâte” :
nous l’avons découverte comme la première “pèlerine d’espérance” et avons décidé de nous
mettre à sa suite jusqu’au Jubilé des pauvres (16 novembre 2025). Et enfin d’un appel d’Alix
Montagne avec Guillaume d’Aboville, directeur de l’association Enfants du Mékong ; ce
dernier rentrait d’un voyage difficile en Asie et se disait que les enfants pauvres dont il
s’occupe ont tant besoin d’une visitation !
Ces trois intuitions ont fait naître l’idée d’envoyer une, puis plusieurs statues de Marie pour
faire une grande démarche de consolation et de prière avec les plus pauvres. Ceux-ci ont
une soif de Dieu intense ; ils ont aussi besoin d’une mère qui est avec eux, auprès d’eux, et
qui les console.
Nous avons donc fait sculpter puis répliquer et envoyer une vingtaine de statues de
Notre-Dame de Tendresse dans divers pays pour associer les plus pauvres au Jubilé.
. Parlez-nous de l’histoire de “Fratello”, cette association qui prend soin des plus
faibles sous le regard de Marie. Comment s’articule la mission solidaire concrète de
Fratello et le pèlerinage spirituel de Notre-Dame de Tendresse?
L’association Fratello est née en 2016 durant le Jubilé de la miséricorde. Etienne Villemain
et Alix Montagne, les cofondateurs de Fratello, ont été frappés par le mot du pape François :
“comme je voudrais une Eglise pauvre pour les pauvres !” Les pauvres sont au cœur de
l’Evangile, mais sont à la porte, et non au cœur de nos églises. Nous ne pouvons nous
résoudre à cela. Pour en amener symboliquement au cœur de l’Église, ils ont fait le pari fou
d’emmener à Rome 3500 personnes en précarité et leurs accompagnateurs, pour une
retraite de 4 jours !
Suite à ce pèlerinage et à la demande explicite d’Étienne Villemain, le pape François institue
la Journée mondiale des pauvres, célébrée tous les ans mi-novembre. Fratello organise
toutes les années des grandes rencontres – nationales ou internationales – pour que les
associations et les diocèses se réunissent autour des plus fragiles pour prier avec eux, prier
pour eux. Un événement particulièrement marquant était en 2019 à Lourdes, où nous étions
1500 à nous réunir avec le thème “Elle m’a regardé comme une personne” ; beaucoup ont
fait une belle rencontre avec Marie.
En novembre, nous emmenons 2000 pèlerins en précarité et leurs accompagnateurs à
Rome ! Le projet de Notre-Dame de Tendresse a débuté en 2024 ; la première statue
envoyée à l’international (Cameroun) est partie… le 31 mai, date de la Visitation ! Toutes les
communautés visitées fourniront des morceaux d’étoffe que nous coudrons pour former un
grand manteau. Ce manteau couvrira la statue de Notre-Dame de Tendresse qui sera portée
en procession à Rome ! Ainsi, beaucoup de plus pauvres dans le monde entier seront
symboliquement présents à Rome et prieront avec nous.
. Racontez-nous quelques belles histoires des visites de la statue mariale dans
différents pays. Quels sont les “fioretti” de divers continents que vous pouvez
partager avec nous?
Tout d’abord le choix du nom : au cours d’une soirée où nous avons invité des Fratelli (c’est
ainsi que nous appelons les personnes en précarité qui viennent à nos événements), des
amis de l’association et des donateurs, nous avons prié et proposé un vote pour nommer
cette statue. Un nom est revenu souvent : Notre-Dame de Tendresse ! Auquel nous avons
ajouté sa mission : Pèlerine d’espérance.
Ensuite, son premier pèlerinage était avec un groupe de 50 jeunes aux JMJ de Lisbonne.
Nous nous relayions pour la porter. Beaucoup de personnes du groupe ont été touchées par
la douceur qui émane de son visage… et par le fait que c’est elle qui nous porte !
De plus, nous avons eu la chance inouïe de prier en privé avec le pape François devant
Notre-Dame de Tendresse, en lui confiant ce grand pèlerinage et tous les pauvres du
monde.
Quelques images restent gravées dans ma mémoire : par exemple l’accueil dans une
paroisse reculée du diocèse de Bafia (Cameroun), accueillie au son de la joie et de la fête !
La ferveur des Africains qui reçoivent Notre-Dame de Tendresse est tout simplement
édifiante.
Une statue a été emmenée par une missionnaire, Carine Neveu, en Amazonie, dans la tribu
des Yanomami. Quand j’ai demandé de nous fournir des morceaux de tissu, Carine m’a
répondu “Malheureusement pas de tissu ! Ils se peignent le corps directement !” Elle a laissé
la statue là-bas, et nous laissons Marie agir dans l’ombre auprès des Yanomami.
Une famille est partie en bateau dans l’ouest de l’Afrique (Gambie, Cap Vert, Guinée-Bissau)
pour visiter les paroisses et les centres de l’Ordre hospitalier de Saint Jean-de-Dieu.
Beaucoup de personnes ont déposé des intentions de prière devant la statue ; ils comptent
sur nous pour prier à ces intentions durant le Jubilé des pauvres à Rome !
. La Terre Sainte est très éprouvée, comment Notre-Dame de Tendresse y est-elle
présente et en quoi ses visites sont source de consolation d’après les échos qui vous
reviennent?
Le 21 avril 2025, une délégation française est allée en Terre Sainte, notamment avec Alix
Montagne et l’AED ; ils ont pris une statue et l’ont confiée à la Maison d’Abraham qui l’a
gardée quelques jours dans leur chapelle, afin de recueillir les intentions de la communauté
et des pèlerins. Ils l’ont ensuite confiée aux moniales bénédictines du Mont des Olivier ;
actuellement, elle devrait avoir été confiée à un curé qui la fait pèleriner auprès des pauvres
dans les paroisses.
Je n’ai actuellement plus de nouvelles, sans doute à cause des événements de ces
dernières semaines…
Le pèlerinage de Notre-Dame de Tendresse en Terre Sainte est une minuscule goutte d’eau
pour contribuer à la paix du pays ; mais rien n’est petit pour le Seigneur, rien n’est petit pour
Marie. Dans l’espérance, je sais que Marie travaille efficacement dans l’ombre. Avec elle, je
prie intensément pour la paix.
. Vous êtes un descendant du bienheureux empereur Charles et de son épouse Zita,
en quoi leur exemple vous inspire-t-il?
J’ai reçu la foi dans ma famille. Nous avions la chance d’avoir le Saint-Sacrement à la
maison. Nos journées étaient rythmées par des temps de prière. Je reçois ce trésor inouï
tout d’abord de la fidélité du Seigneur, mais aussi de la fidélité de mes
arrière-grands-parents. Leur foi était simplement au cœur de leur vie. Ce qui m’inspire le
plus dans leur exemple est l’union à Dieu. En effet, nous trouvons Dieu dans notre devoir
d’état quotidien. Or, malgré les lourdes responsabilités qu’ils ont reçues, ils ont continué à
accomplir leurs tâches dans un esprit de foi, toujours en relation avec le Seigneur. On peut
être empereur et impératrice, et vivre sa mission de laïc dans le monde, prier
quotidiennement, être pauvre devant Dieu… et devant les hommes aussi, puisque mon
arrière-grand-père est mort dans une grande pauvreté, d’une bronchite qu’il n’a voulu
soigner par manque de moyens.
Leur amour conjugal m’inspire beaucoup aussi, il était tendre et vrai. Ils n’ont pas eu peur de
construire une vie de famille dynamique malgré la situation terrible en Europe à l’époque.
Durant les 67 années de son veuvage, mon arrière-grand-mère parlait avec beaucoup
d’affection de son époux.
. Quelle était la dévotion mariale de vos célèbres aïeux et en quoi est-elle actuelle à
votre avis?
Mes arrière-grands-parents ont fait graver dans leurs alliances “Sub tuum praesidium” : il
s’agit des premiers mots de l’hymne marial le plus ancien de l’Eglise latine ! Autant dire la
place qu’avait la Mère de Dieu dans leur couple.
Ils priaient beaucoup le chapelet ; on raconte que l’empereur Charles avait reçu un chapelet
en métal qu’il a prié tant de fois que les boules en étaient toutes usées ! Ils sont allés
régulièrement à Mariazell, un sanctuaire marial très connu en Autriche. Ils ont toujours eu
une relation d’enfants avec Marie, lui demandant du secours, lui partageant les joies et les
peines de leur vie, ensemble et personnellement. Ils ont transmis cette dévotion à leurs
enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Enfin, ils ont fait une consécration à Marie,
ce qui a toujours été d’une grande importance pour eux.
Leur couple avait la réputation d’être très uni. Or, je pense personnellement que la prière
commune quotidienne – prière mariale – était le fondement de cette communion. Prier en
couple, prier en famille ne peut être démodé. La dévotion mariale de mes aïeux est actuelle
car elle lance un appel aux familles à se confier simplement et régulièrement à Marie ; elle
aussi actuelle pour les personnes qui exercent de grandes responsabilités : il est beau de
voir des hommes et des femmes d’Etat, ainsi que des dirigeants d’entreprise, prier leur Mère
afin que leur décision contribue à la paix et au bien commun.
. Le bienheureux Charles de Habsbourg voulait une Europe de la paix, son rêve peut-il
se réaliser encore selon vous, n’est-il pas trop tard?
Comme je désire qu’il se réalise ! En Europe, beaucoup de personnes s’engagent
courageusement à petite ou à grande échelle pour contribuer à une Europe de la paix. Mais
ces dernières années ont vu apparaître une énième montée des violences sur le sol
européen. L’embrasement semble inéluctable. Pourtant, le “rêve” de l’empereur Charles
garde toute son actualité, car le coeur de l’homme est fait pour la paix, et nous sommes tous
appelés à y contribuer sérieusement.
Je ne veux pas dire qu’il est trop tard, car cela ne respecte pas l’engagement de Dieu dans
l’histoire des hommes. Toutefois, pour construire une Europe de la paix, il faut inventer sans
cesse de nouvelles formes d’engagement, de relations internationales, de dialogue social et
politique ; le défi est colossal.
J’ai toujours eu une confiance en la bonté qui réside dans l’homme, fait à l’image de Dieu, et
j’espère que nous aurons le courage d’exprimer cette bonté avec créativité. Cependant,
cette confiance ne me fait oublier ni la complexité géopolitique actuelle, ni les échecs
retentissants de notre histoire. À nous de prier… et d’agir !
. Que peut-on dire aujourd’hui de la cause de béatification de l’impératrice Zita?
La cause de béatification de l’impératrice Zita a été ouverte en 2008. C’est un procès qui est
très long et demande beaucoup de travail. La phase diocésaine avance bien : tous les
témoins vivants ont été interrogés et leurs réponses traitées. La commission historique fait
un grand travail : il s’agit de réunir tous les éléments liés à la vie de mon arrière-grand-mère
qui a vécu dans 13 pays différents. Nous pouvons estimer que la phase diocésaine
s’achèvera d’ici 5 ans, pour commencer la phase romaine. Mais ce n’est qu’une estimation.
La dévotion populaire envers l’impératrice Zita a beaucoup grandi ces dernières années ;
nous voyons un grand nombre de jeunes filles à qui les parents ont donné le nom de Zita,
beaucoup de couples – de jeunes couples en particulier – se confient à son intercession.
De plus, deux miracles sont en étude pour déterminer la cause surnaturelle des faits.
Je rencontre également beaucoup de femmes qui sont touchées par mon
arrière-grand-mère ; il y a aujourd’hui un réel approfondissement de la question de l’identité
et de la vocation féminine. La vie de Zita – en tant que jeune fille, épouse, mère, personne
politique et veuve – témoigne d’une manière particulière d’être femme dans le monde, même
si les formes de vie doivent toujours s’adapter à l’époque.
. Quelle prière pour la paix nous proposez-vous?
La prière du Seigneur, le Notre Père. À la messe, quand nous prions tous ensemble le Notre
Père, nous ne disons pas “Mon Père”, mais “Notre Père” ; cela me touche toujours
beaucoup. La communion humaine est réalisée quand nous assumons notre identité filiale.
Or, nous ne pouvons être fils tous seuls ; nous le sommes en communion avec notre
prochain, avec tous. Que Marie nous apprenne à devenir enfants de Dieu et à nous aimer les uns les autres
comme Jésus nous a aimés !
Propos recueillis par François Vayne pour l’hebdomadaire italien “Maria con te”