Lors d’une récente audience jubilaire place Saint-Pierre j’ai eu la joie d’offrir au Pape mon livre Merci François! , qui retrace les grandes étapes des trois premières années de son pontificat, depuis son voyage à Lampedusa durant l’Année de la foi jusqu’à celui qui va le mener à Lesbos en cette Année de la miséricorde. François a commenté la couverture de l’ouvrage avec un brin d’humour, puis a ouvert la petite bouteille d’eau de Lourdes que je lui tendais pour me bénir avec cette même eau, en traçant une petite croix sur mon front, et il a gardé une photo de ma famille en promettant qu’il prierait pour nous. Il semblait avoir tout son temps, et me souriait comme si rien n’était plus important dans sa journée que ce moment. Je n’ai pu m’empêcher de le prendre dans mes bras et de l’embrasser, profondément ému par son regard rempli de bonté, par la plénitude de sa présence gratuite, et par ses gestes de tendresse qui montrent qu’un autre monde est possible. Dans sa catéchèse sur la miséricorde, au cours de cette audience, il venait d’insister sur la nécessité de s’arrêter pour regarder en face les personnes. Je crois avoir mieux compris, cette fois encore à son contact, ce que nous évoquons avec saint Paul en disant que le Fils de Dieu nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous (Galates 2, 20).
Aimer les personnes, se livrer pour elles, François en témoigne à la suite de Jésus, en compagnie duquel il vit, et qu’il reconnaît en chacun, grâce à la prière quotidienne. Son secret pour laisser ainsi le Ciel se dilater en lui est certainement dans l’oraison silencieuse nourrie de la Parole de Dieu et de l’eucharistie. La qualité d’abandon à l’autre dont il fait preuve, dans l’instant présent, est en tout cas pour moi un signe que le Christ est vivant, vraiment ressuscité, à l’œuvre là où deux ou trois sont réunis en son nom. Il me fallait l’écrire, pour en garder mémoire, tout en prenant l’engagement de marcher aussi, et de grand cœur, sur ce chemin de l’amour réciproque où nous expérimentons vraiment « le sacrement du frère ».
D’après les pères de l’Eglise comme saint Jean Chrysostome, saint Augustin ou Tertullien, ce « sacrement » méconnu est fondamental : il nous tourne vers nos frères – nous sommes tous les fils du même Père céleste – pour nous mettre à leur service.
L’endurcissement du coeur est l’opposé de la miséricorde
L’amour de Dieu est inséparable de l’amour du prochain. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » (Luc 10, 27). François rappelle simplement par son comportement le caractère sacré de toute personne humaine.
Méditons à partir de son exemple, tandis qu’une Europe au cœur dur érige des murs face aux réfugiés, oubliant qu’il s’agit d’hommes et de femmes comme nous.
Alors que le Pape a choisi de se rendre sur l’île grecque de Lesbos ce 16 avril, à la fois pour soutenir les demandeurs d’asile et pour se recueillir à la mémoire des disparus en mer, il est plus que temps pour nous de résister aux sirènes de la peur et de l’égoïsme.
Comme le dit le cardinal Christoph Schönborn dans un entretien à mon ami Andrea Tornielli, de La Stampa , l’insensibilité est sans doute la marque spécifique de l’antique paganisme et bien des indices inquiétants signalent que la vielle Europe est menacée d’y sombrer. L’endurcissement du cœur est l’opposé de la miséricorde.
Merci François ne nous éveiller à nos responsabilités devant ceux et celles qui paient les conséquences de nos guerres lointaines et qui fuient le désespoir en laissant tout derrière eux : ils ne sont pas des chiffres ou des numéros, ils sont nos frères, en chair et en os.
« L’amour est au fond l’unique lumière qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité » (tweet de @pontifex du 14 avril 2016).