Entretien sur la Commune de Paris : « Seule la charité peut ouvrir les coeurs »

Le Père Henri Planchat, prêtre du peuple et martyr de la Commune de Paris
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Au cours de la récente semaine de commémoration des martyrs de la rue Haxo, à Paris, je suis intervenu lors d’une conférence organisée à la paroisse Notre-Dame des Otages, dans l’église érigée sur les lieux du massacre commis par les communards le 26 mai 1871. Le journaliste Jean-Pierre Denis m’a interrogé en particulier au sujet du Père Henri Planchat, prêtre des pauvres, tué en haine de la foi catholique. Voici l’entretien intégral : 

  • Qui était le Père Planchat et que faisait-il dans le quartier de Charonne en 1871?

En 1871 le Père Henri Planchat avait 47 ans, il s’occupait du patronage des FSVP à Charonne, où les jeunes apprentis venaient jouer et se former humainement (plusieurs centaines chaque semaine). Il n’a jamais prêché dans une paroisse, il était « apôtre à domicile », allait visiter les familles, cherchait à les aider matériellement et spirituellement, avec de nombreux laïcs engagés dans l’élan du catholicisme social naissant, permettant peu à peu à l’Eglise de prendre conscience de l’enjeu (ce qui aboutira à l’encyclique Rerum novarum de Leon XIII, il y a 130 ans, le 15 mai 1891 ; fruit de l’action prophétique et du combat social d’hommes comme le Père Planchat, inspirés par Armand de Melun, Frédéric Ozanam, Henri Lacordaire…).

Ordonné prêtre en 1850 à Paris, il avait choisi de vivre son sacerdoce dans une petite communauté de laïcs, fondée en 1845 par un homme marié, Jean-Léon Le Prevost : les Frères de Saint-Vincent-de-Paul. Ils s’étaient connus au service des pauvres quand il était étudiant en droit à Paris, dans le cadre des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, autour de Frédéric Ozanam et de sœur Rosalie Rendu. Le but de la petite communauté des FSVP était d’aller vers ceux que les paroisses traditionnelles ne pouvaient rejoindre, les victimes de la révolution industrielle, le prolétariat, dans les quartiers difficiles de l’époque, construits autour des usines, à Grenelle et à Charonne en particulier, où travaillaient des enfants, y compris le dimanche.

Le Père Henri Planchat est un géant de la sainteté qui me fait beaucoup penser au Père Christian de Chergé, martyr de Tibhirine. Comme lui il a donné sa vie pour ses amis, il n’a pas voulu lâcher la main de ses amis qui souffraient, en l’occurrence les familles ouvrières exploitées de façon atroce dans les usines parisiennes par les barons bourgeois de la révolution industrielle. Il était tombé amoureux du Christ très jeune, comme les apôtres, comme les saints de tous les temps, et quand on aime, vous le savez, on voit la personne aimée partout ; ainsi il avait le Christ toujours devant les yeux – selon l’expression de saint Vincent de Paul, son maître spirituel – et cherchait à l’aimer dans les personnes les plus pauvres et les plus souffrantes. Il est mort en continuant à voir le Christ, les yeux ouverts, en regardant vers le ciel, dans une attitude de prière. Son corps a été retrouvé intact avec les yeux ouverts parmi les cadavres et après plusieurs exhumations il demeure intact, comme un signe qui manifeste la participation du futur bienheureux Henri Planchat au triomphe du Ressuscité.

  • Quel était l’engagement particulier du Père Planchat en 1871 ?

Le Père Planchat avait installé une infirmerie militaire dans le patronage de Charonne, il était très proche des soldats qui défendaient Paris, les « mobiles » de la Garde nationale, cette armée de réserve à laquelle appartenait beaucoup de jeunes apprentis des usines qu’il connaissait depuis des années (ces soldats vivaient dans des baraques improvisées et dont le désœuvrement avait ému le cœur du Serviteur de Dieu).

Il passait ses nuits à confesser et à aider les blessés à mourir, sur la ligne de front, au pied des remparts défendant la capitale contre les Prussiens, revenant le matin plein de boue et de sang, avec son co-équipier, l’abbé Paul de Broglie, un jeune prêtre qui avait été lieutenant de vaisseau. Plus de 8000 soldats étaient passés dans la chapelle du patronage durant l’hiver 1871.

Certains officiers n’appréciaient pas son zèle apostolique, surtout ceux qui étaient influencés par les idées de Blanqui, le révolutionnaire socialiste très anti-catholique qui sera arrêté (le 17 mars) par le gouvernement versaillais juste avant le début de la Commune de Paris (le 18 mars). Bien sûr le Père Planchat continuait à aider sans cesse les familles ouvrières en plus de cet apostolat auprès des « mobiles ».

  • Que pouvez-vous dire de sa vie personnelle, de ses journées, au moment de son arrestation, le 6 avril 1871 ?

Au moment de son arrestation, le Jeudi saint 6 avril 1871, il sait ce qu’il risque. L’archevêque de Paris a déjà été arrêté quelques jours avant (il mourra fusillé deux jours avant lui). Pourtant il refuse de quitter le patronage, parce qu’il a rendez-vous avec un couple qu’il prépare au mariage et parce qu’il doit distribuer des bons de vêtements en vue des premières communions de grands jeunes retardataires (les apprentis travaillaient le dimanche et beaucoup n’avaient pas fait leur communion, n’ayant pas de lien avec les paroisses).

Surtout il a demandé à son collaborateur l’abbé de Broglie de s’enfuir sans préciser où il allait, car il savait que les communards chercheraient surtout à prendre en otage cet autre prêtre, apparenté à l’ambassadeur du gouvernement versaillais à Londres. Autrement dit le Père Planchat va être arrêté à la place d’un autre. Lui qui donnait ses chaussures au plus pauvre dans la rue était entraîné depuis des années au sacrifice qui allait se présenter…

Quelques jours après sa mort tragique, en première page du journal Le Figaro du 30 mai 1871, dans un article intitulé « Les Otages », la rédaction fit la liste des victimes de la rue Haxo en ajoutant une note particulière concernant l’abbé Planchat : « Le vendredi [26 mai], seize autres otages furent passés par les armes, c’étaient [noms de famille des ecclésiastiques] et Planchat, aumônier du patronage de Charon­ne ; l’abbé Planchat avait consacré sa vie aux sociétés ouvrières. C’est sans doute à ce titre que les communards l’ont fait périr ».

Derrière cette petite phrase « c’est à ce titre qu’ils l’ont fait périr », loin d’être anodine, est véritablement révélatrice de ce que représentait le Serviteur de Dieu dans la société civile et politique. Les « Sociétés ouvrières » dont il est question étaient en fait « l’œuvre des jeunes ouvriers » du Patronage Sainte-Anne, ainsi que l’œuvre du « Patronage des mobiles » crée durant le siège de Paris pour venir en aide aux militaires de la Garde natio­nale.

  • Comment le Père Planchat se situait-il par rapport au clergé parisien ?

Il avait refusé une carrière ecclésiastique, partant dans la communauté des FSVP le lendemain même de son ordination, le jour de Noël 1850. Il était évidemment en décalage avec le clergé de l’époque (moins d’une dizaine de prêtres avaient contact à Paris avec le monde ouvrier).

« Je ne savais pas ce qu’était qu’un prêtre », dira par exemple une des mères de famille qu’il aidait dans une cité où même la police n’osait pas aller, rue de Montreuil (là où avait eu lieu l’affaire Réveillon en avril 1789, la révolte populaire qui fut un signe avant-coureur de la prise de la Bastille).

Les autres prêtres de Paris le respectaient (il avait été le plus brillant séminariste avec des résultats excellents, après sa licence en droit). Cependant les curés à Grenelle et à Charonne, malgré son humilité et ses efforts pour vivre comme il disait des relations trinitaires dans le clergé, prirent ombrage de lui. Il fut calomnié, jusqu’à devoir s’exiler à Arras et Amiens pendant deux ans en raison d’une cabale ecclésiastique.

Il gênait les consciences d’un clergé mondain et aligné sur le pouvoir (Mgr Darboy était un homme lige de Napoléon III, Grand aumônier de l’empereur, conseiller impérial, sénateur du Second Empire…). Pourtant le Père Planchat n’hésitait pas à s’humilier pour demander pardon et faisait tout pour respecter l’autorité des curés là où il est passé (à Grenelle et à Charonne surtout donc).

  • Quelles étaient les œuvres des Frères de Saint-Vincent-de-Paul dans les quartiers ouvriers de Grenelle et de Charonne ?

En 1847, quand Henri Planchat entra au séminaire Saint-Sulpice, il y avait 130 000 enfants qui travaillaient dans les usines en France. Il a voulu aller vers eux au lieu de devenir missionnaire en Orient. L’accueil des jeunes au patronage était le travail essentiel de « l’apôtre des faubourgs » qui voulait les éduquer au dialogue, au respect de l’autre.

Ils avaient tous dépassé l’âge normal de la première communion et venaient écouter les catéchèses, jouer au billard, s’entraîner dans la salle de gymnastique… Les FSVP offrait aux apprentis, aux écoliers et aux jeunes ouvriers, à la fois des distractions et une formation à la fois humaine et chrétienne.

Les Frères avaient aussi créé un « Fourneau de Saint-Vincent-de-Paul », sorte de restaurant du cœur pour distribuer de la nourriture. Ils s’occupaient également des familles dans une œuvre de la Sainte Famille, et des travailleurs émigrés italiens et allemands.

Le Père Planchat, après un « burn out » été parti en Italie quelques mois (au début de son ministère), et ayant appris l’italien il s’était spécialement engagé auprès de ces travailleurs « migrants ».

Les conditions de vie à Paris dans ces années-là étaient difficiles : pas d’eau courante ni d’électricité dans les appartements, chauffage au bois,  logis humides, et chats et chiens très recherchés en 1871 pendant le siège de la capitale…

  • Comment le Père Planchat a-t-il vécu l’équilibre entre la fidélité à l’Eglise (à l’institution ecclésiastique encore très liée au pouvoir) et un apostolat radical auprès des ouvriers ?

Le Père Planchat était considéré par ses confrères comme un « chasseur d’âmes », comparé à un « chien de berger ». Il portait une vieille soutane élimée, il donnait tout ce qu’il avait.

C’était un prêtre qui portait sur lui l’odeur des brebis, comme dirait le Pape François. Il était à la fois un père et un ami pour les familles ouvrières. L’équilibre était sans doute difficile à tenir par rapport à l’institution, cependant ce qui est admirable c’est qu’il n’est jamais tombé dans l’idéologie, la revendication, l’opposition à l’autorité épiscopale. Son énergie il la puisait dans la prière, il priait son bréviaire dans les ruelles à la lueur des réverbères et il aimait répéter : « Pas de volcan sans feu intérieur ».

Son secret spirituel, son union au Christ, le fait qu’il l’avait toujours devant les yeux, lui a évité la tentation politique. Il n’a jamais pris parti, il était au-delà des divisions partisanes. Ou plutôt il a pris le « parti de la charité » : il croyait que seule la charité pouvait ouvrir les yeux et les cœurs, réconcilier les hommes et guérir la societé de ses blessures. Sa position était celle de Mère Teresa de nos jours, celle d’une charité au-dessus de toutes les frontières !

  • Quelle est l’actualité de la méthode missionnaire du Père Planchat ?

C’est vrai qu’on pourrait voir le Père Planchat plus du côté de l’évangélisation que du dialogue, pour résumer. La nouvelle évangélisation lui aurait en tout cas bien plu. Il distribuait des médailles aux gens, il avait un côté très charismatique, comme les jocistes des origines : « Refaisons chrétiens nos frères ».

Cependant la devise des FSVP est très claire : « Montrer Jésus Christ par nos œuvres ». Il ne s’agissait pas pour le Père Planchat d’abord de parler du Christ mais de montrer sa présence fraternelle et solidaire. Il voyait le Christ dans les apprentis (Jésus le fils du charpentier), et dans leurs parents il voyaient Joseph le travailleur, désireux d’être pauvre comme eux pour mieux les comprendre et les rencontrer en vérité… En fait, je crois qu’il incarnait bien en avance cette Eglise pauvre pour les pauvres souhaitée par le Pape François.

  • Le catholicisme social des Frères de Saint-Vincent-de-Paul a-t-il été le précurseur de l’enseignement social des Papes, de Léon XIII à François ?

Certainement l’action de Jean-Léon Le Prevost, ami d’Ozanam, a contribué au réveil de l’Eglise sur ces questions qui s’est manifesté avec Rerum novarum, puis plus près de nous avec les encycliques du Pape qui fut un ouvrier, Laborem exercens (1981) et Centesimus annus (1991), de saint Jean-Paul II.

L’Eglise a une confiance tenace dans la force du bien.

« Le bien l’emporte et, si parfois il peut sembler mis en échec par l’abus et la ruse, il continue en réalité d’œuvrer dans le silence et dans la discrétion en portant des fruits à long terme. Tel est le renouveau social chrétien, fondé sur la transformation des consciences, sur la formation morale, sur la prière; oui, parce que la prière donne la force de croire et de lutter pour le bien même lorsqu’on serait humainement tenté de se décourager et de reculer », disait Benoît XVI au sanctuaire Sainte Marie de Leuca, dans les Pouilles, le 14 juin 2008.

Avec Laudato si, l’encyclique publiée il y a cinq ans, François nous a parlé à son tour changement social partant de la base vers le haut (nous avons vu avec la Commune que quand les opprimés prennent le pouvoir ils deviennent à leur tour des oppresseurs). Le message de l’Eglise en sortie du Pape François est prophétiquement annoncé par le Père Planchat et par les œuvres à dimension humaines des FSVP. L’écoute de l’Esprit Saint dans le cœur de chacun peut seule produire des changements de comportements susceptibles de changer la société.

  • Quel est le secret révolutionnaire du Père Planchat ?

Je pense qu’il comprenait très bien la révolte des ouvriers, il pensait comme Isaïe : « La paix suppose la justice » (Isaïe 32,17). Cette paix est un travail de personne à personne. C’est le chemin qu’indique la doctrine sociale de l’Eglise et que d’une manière laïque nous pouvons synthétiser en une phrase de Marie Curie, scientifique de haut vol et première femme qui a reçu un prix Nobel : « Nous ne pouvons pas espérer construire un monde meilleur sans améliorer les individus ».

C’est en travaillant à la paix dans le cœur des personnes que le Père Planchat a été plus loin que la Commune, le vrai révolutionnaire, c’est lui !

Il faut ajouter que le Père Planchat puisait lui-même sa force dans l’union au Christ, il voulait accomplir ce qui manque aux souffrances du Christ (Colossiens 1,24) : « Soyez seulement fidèles à accomplir en vous ce qui manque à la Passion du Christ », écrira-t-il. Toute sa vie ne peut se comprendre que dans la lumière de ce sacrifice permanent, cet amour du crucifié qui a les yeux ouverts, celui que montre Notre-Dame de La Salette lors de l’apparition, en 1846, qui a toujours guidé les FSVP. La Vierge à La Salette parlait de nombreux prêtres comme des « cloaques d’impureté ».

Les FSVP ont voulu racheter l’Eglise de leur temps, trop liée au pouvoir temporel et à ses avantages. Ils plaident toujours, par leurs œuvres, pour une alchimie divine qui est de transformer les structures de péché en partant de la base, par le moyen de l’amour du prochain.

  • En conclusion, que ferait le Père Planchat aujourd’hui ?

Je me suis posé plusieurs fois la question. Sans doute regarderait-il autour de lui et s’engagerait à sa porte, comme il l’a fait à Paris où il avait été lycéen à Stanislas et à Vaugirard, puis étudiant en droit et séminariste. Il a vu la misère du peuple et a voulu la soulager. Il a donné sa vie là où il était planté, sans rêver de missions lointaines glorieuses ou simplement aventureuses.

Aujourd’hui il irait vers les banlieues difficiles de nos villes, soutenir les parents déboussolés par la nouvelle génération Tik Tok. Il chercherait à porter des solutions dans ces zones incontrôlées où des populations entières sont prêtes à basculer dans la guerre civile. Il ferait tout pour arracher les jeunes à la nouvelle idéologie des pauvres, qui n’est plus le communisme de Blanqui mais l’islamisme radical. Il serait je crois un apôtre de l’amitié sociale (dont parle la dernière encyclique de François, Fratelli tutti) dans les quartiers perdus de la République, jusqu’au martyre là aussi, probablement.

Les médiateurs sont souvent sacrifiés, que l’on pense par exemple au Père Paolo Dall’Oglio en Syrie

J’aimerais qu’une fois béatifié il devienne le saint patron de ces quartiers abandonnés et qu’il intercède pour que se lèvent de nouveaux serviteurs des pauvres comme lui.

 

 

 

 

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