Voici ma contribution sur le thème de Marie dans le dialogue islamo-chrétien, donnée lors d’une journée d’études organisée par l’Académie Pontificale Mariale Internationale (PAMI), en ce début avril 2020, au cours de laquelle les interventions se déroulent au moyen d’une vidéo-conférence. Vous retrouverez le programme de cet événement en suivant ce lien : https://www.mariaperlapace.org/
Le titre de mon intervention peut sembler étrange ; comment peut-on oser comparer la personne de Marie, la croyante, à un « pont » ? En y pensant, je me suis souvenu de l’expression de saint Bernard de Clairvaux, ce grand mystique chrétien du Moyen Âge qui voyait en Marie un « aqueduc » nous portant l’eau du salut, cette « eau de Dieu » est la même pour tous, chrétiens et musulmans. A l’heure de la « culture de la rencontre », prônée par notre Frère universel, le Pape François, il s’agit d’abattre les murs, de construire des ponts, et je crois vraiment qu’il est possible d’affirmer que Marie est comme « un pont d’amitié » entre les croyants chrétiens et musulmans.
Journaliste professionnel, né en Algérie où j’ai vécu mon enfance et mon adolescence, je parlerai de mon expérience, comme un simple témoin, non pas comme un théologien. Trois choses essentielles me semblent importantes de partager avec vous ici, en quelques minutes essentielles. D’abord ce que j’ai vécu à Alger, en particulier au sanctuaire marial de Notre-Dame d’Afrique, sur les hauteurs de la capitale algérienne, mais aussi au monastère Notre-Dame de l’Atlas, auprès des bienheureux martyrs de Tibhirine, que j’ai eu la grâce de connaître. Ensuite ce que mon service journalistique à Lourdes, durant 26 ans, m’a permis de constater et d’entrevoir spirituellement. Enfin, étant maintenant au service de la communication d’une institution pontificale qui œuvre pour la paix en Terre Sainte, je proposerai une initiative commune à Jérusalem, que nous verrons plus tard comment mettre en œuvre, si c’est la volonté de Dieu.
1. Notre-Dame d’Afrique et Notre-Dame de l’Atlas
Lorsque je montais en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame d’Afrique à Alger, dans ma jeunesse, j’aimais surtout contempler la foi musulmane dans la prière des mamans qui venaient demander l’intercession de « Maryam » dans la basilique, comme je les ai vues faire plus tard à Lourdes ou à Notre-Dame de la Garde à Marseille. Beaucoup de musulmans et musulmanes qui montent chaque jour à la basilique Notre-Dame d’Afrique, à Alger, sont saisis par l’invocation écrite au centre de la fresque ornant l’abside : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans ». Nombreux, ils viennent se recueillir dans ce sanctuaire et y déposer leurs peines trop lourdes à porter. Marie est précieuse pour la rencontre, elle ne fait pas de différence entre nous. Notre Mère travaille à la rencontre de tous ses enfants. Elle accorde ses grâces sans distinction d’appartenance. Cette expérience algérienne m’a aidé à m’approcher de l’islam intérieur car Marie est en effet une belle « icône » de l’âme musulmane, faite d’abandon confiant. Elle nous apprend à laisser Dieu agir en nous, à faire sa volonté dans la confiance et l’esprit d’abandon; « Mektoub ! ».
Au Liban, chrétiens et musulmans ont, depuis quelques années, une fête commune, le 25 mars, et c’est une fête de Marie, la fête de l’Annonciation. Nos frères et sœurs musulmans connaissent Marie, la vénèrent et certains donc la prient. En lisant le Coran, les musulmans entendent cette “salutation angélique” : « Ô Marie ! Dieu t’a choisie en vérité ; il t’a purifiée ; Il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers » (Cor 3,42). Nous savons qu’une sourate du Coran (19) porte son nom, la sourate Myriam, où elle est évoquée. Certains mystiques la décrivent comme la « Reine du paradis », écho de l’invocation chrétienne de Marie « Porte du Ciel ». Sur le chemin de la rencontre et du dialogue, Marie est notre compagne de route, c’est pourquoi je suis personnellement si attaché à elle.
Quand j’allais au monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine, je retrouvais sa statue accueillant tous les visiteurs, chrétiens et musulmans. Les religieux m’expliquaient leur mission fraternelle à travers le récit de la Visitation (Luc 1,39-56) où Marie va rendre visite à sa cousine enceinte pour l’aider concrètement. « Loin de toute conquête, la mission est une Visitation », me disaient les moines de Tibhirine. « Comme Marie, portant Celui qui nous porte, nous allons visiter nos frères et sœurs pour les aider et chaque rencontre est comme une effusion d’Esprit Saint, une Pentecôte », aimaient-ils répéter.
Dans la société occidentale sans repères spirituels, qui a perdu le sens de la transcendance, si il y a une « politique » commune à envisager, en regardant vers Marie, c’est celle de la solidarité et de la fraternité dans nos quartiers, au nom de Dieu, au service de la vie sous toutes ses formes, de sa conception à sa mort naturelle, au service des plus vulnérables qui sont souvent rejetés parce qu’inutiles et non « productifs », non rentables…
2. Lourdes, « Alouroude », et l’appel à nous tourner vers le rocher qu’est Dieu
Devenu directeur d’une revue, d’une maison d’édition, et de la communication du sanctuaire de Lourdes, dans la cité mariale, pendant 26 ans (1987 -2013), je n’ai jamais oublié ce que m’avaient raconté mes amis musulmans en Algérie au sujet du prophète Mohammed quand il prit la défense de la Vierge. « A l’infidélité ils ont joint la calomnie contre Marie », lit-on dans le Coran. D’ailleurs quand les musulmans s’emparèrent de La Mecque, la Kaaba fut débarrassée de ses idoles, mais Mohammed sauva une fresque représentant la Vierge à l’Enfant. Conscient de cet amour réciproque pour la mère de Jésus, j’ai accueilli souvent des pèlerins musulmans à la Grotte de Massabielle, haut lieu interreligieux. Sait-on que plusieurs déclarations de guérison, attribuées à l’intercession de Notre-Dame de Lourdes, sont le fait de musulmans qui habitent en France ?
J’ai cherché dans les articles que j’écrivais à montrer comment partout où Marie est présente le dialogue islamo-chrétien progresse, non pas de façon théorique mais dans la pratique quotidienne d’une amitié spirituelle extraordinaire. Accompagnant Jean-Paul II au Caire, en février 2000, comme journaliste, j’avais interviewé le cheikh Mohammed Sayed Tantaoui, alors grand imam de l’université d’al-Azhar, qui m’avait bien expliqué au cours d’un échange très personnel et profondément chaleureux, le rôle exceptionnel de Notre Dame Maryam reconnu dans le noble Coran. « Ô Marie, Dieu t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers », dit la sourate 3, verset 42. Elle est l’objet de respect, d’estime et de vénération de la part des musulmans du monde entier. C’est beau de constater que le dialogue se poursuit dans le domaine de la piété populaire, particulièrement dans les grands sanctuaires dédiés à la Vierge Marie où les musulmans vont facilement demander des grâces aux côtés de leurs frères chrétiens », me disait au Caire cette haute autorité de l’islam sunnite. Quelques mois plus tard, en 2001, je m’étais beaucoup impliqué dans l’organisation d’un colloque à Lourdes, intitulé « Marie et le dialogue des croyants », avec la participation du cardinal nigérian Francis Arinze, alors président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. À une autre occasion, lors d’un congrès international de journalistes à Lourdes, en 2008, nous avions cherché à approfondir cette réalité spécifique de Marie dans le dialogue islamo-chrétien. Avec mes confrères nous nous étions intéressés à l’icône de Kazan, découverte en plein territoire tartare islamique, au XVIème siècle, grâce à une vision d’une jeune fille prénommée Fatima comme la fille aimée de Mohammed. Nous avions aussi constaté que de nombreuses apparitions de Marie ont eu lieu en terre musulmane, au moins une trentaine, en particulier près du Caire et dans le delta du Nil, sans parler de Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine.
S’agissant de Lourdes, il est utile rappeler que les musulmans ont été très présents dans les Pyrénées, à l’époque de la domination musulmane de l’Espagne. L’étymologie du nom de cette ville viendrait du mot « Ouarda », qui signifie la rose en arabe, et qui se dit « Alouroude » au pluriel : les roses… La rose des soufis n’est-elle pas contée dans tous les poèmes de la mystique musulmane exaltant l’amour divin ? À Lourdes la Vierge, qui apparaît avec une rose sur chaque pied, s’adresse aussi aux musulmans, leur demandant de tisser des liens de confiance avec les chrétiens, pour que le monde uni devienne possible.
J’ai cherché à comparer les dates de l’histoire musulmane avec celles des apparitions de Lourdes, pour déceler un clin d’œil de Dieu, un appel. L’histoire parallèle, à travers les coïncidences, dessine parfois de nouveaux horizons. Dieu ne s’impose pas, il fait signe, son amour nous laisse toujours libres… Le 11 février est la fête de Notre-Dame de Lourdes, l’anniversaire de la première apparition de la Vierge à Bernadette. Après des recherches tâtonnantes, j’ai remarqué qu’une tradition historique dit que 11 février est aussi une date importante pour les musulmans, marquant l’anniversaire du jour où, en 624, Mahomet rompit avec les tribus juives de Médine et se tourna, pour prier, non plus vers Jérusalem, mais vers la Mecque, vers la Kaaba où se trouve la mystérieuse Pierre Noire qui viendrait du Paradis. De plus le 11 février est aussi la date du pacte fraternel, le traité de Jaffa, signé par l’empereur Frédéric II et le sultan Al-Kamil, en 1229, ouvrant amicalement les portes de la Ville Sainte, Jérusalem, aux pèlerins chrétiens. Le Ciel, se manifestant à nouveau dans notre histoire humaine à Lourdes en 1858, aurait-il fait le choix du 11 février pour indiquer aux enfants d’Abraham l’urgence de tourner ensemble notre regard intérieur vers le rocher de notre vie qu’est Dieu, le Clément et Miséricordieux, dans une dynamique prophétique de fraternité universelle, afin de rendre à l’humanité sa beauté originelle?
3. Du « Mihrab » de la Mosquée bleue à celui de notre cœur
Lors de la visite d’une haute personnalité musulmane à Lourdes, que j’accueillais comme directeur de la communication du sanctuaire, il m’est venu de lui proposer de regarder la Grotte comme un « mihrab », et cela l’a beaucoup touché, nous sommes devenus amis. Pourquoi avais-je osé lui dire une chose pareille ? Parce que lors du voyage de Benoît XVI en Turquie, que je suivais comme journaliste, le Pape s’était mis à prier devant le mihrab, dans la Mosquée bleue, à Istanbul. Cela s’est passé le jeudi soir 30 novembre 2006, sous les voûtes de cette mosquée construite sur les ruines du palais des empereurs byzantins. Cette prière intérieure, sans rite, ni ostentation, à côté du grand mufti d’Istanbul, voulait faire avancer la « fraternité de l’humanité », comme l’expliqua alors Benoît XVI. Seul avant lui, Jean Paul II était entré dans une mosquée, celle des Ommeyades à Damas en mai 2001, où il s’était recueilli devant une relique chrétienne. Son successeur n’hésita pas à respecter un long temps de silence près du « mihrab ». J’appris alors par un ami dominicain que ce petit « sanctuaire » de toute mosquée est un renfoncement parfois orienté vers le soleil levant, comme une « niche » au dessus de laquelle peut-être inscrite une citation du Coran ; dans la Mosquée bleue cette phrase indique que Zacharie veillait sur la Vierge Marie, consacrée à Dieu dans le temple de Jérusalem. « Chaque fois qu’il entrait chez elle dans le sanctuaire » (sourate 3), il voyait qu’elle était miraculeusement nourrie par la grâce de Dieu, dit le texte saint de l’islam si peu connu des chrétiens… Cet évènement m’a semblé ouvrir des perspectives immenses, et je ne cesse de le méditer dans mon cœur, avec Marie. « Marche avec elle » : ces paroles m’ont été soufflées intérieurement tandis que, déchaussé, je regardais moi aussi vers le « mihrab », dans la Mosquée bleue. La cavité de la Grotte de Lourdes, dans le rocher, m’a semblé ensuite être comme un « mihrab » universel, un cœur spirituel où la mère de Jésus est honorée, et devant lequel il est possible de s’unir intérieurement à tous les musulmans du monde pour confier le dialogue d’amitié avec eux à la Vierge Marie qui occupe une place importante dans leur religion.
Sur ce chemin de dialogue et d’amitié spirituelle, il m’est venu de vous proposer d’organiser un pèlerinage islamo-chrétien, à Jérusalem, sur les pas de la Vierge Marie, pour la fraternité universelle… Les lieux où nous rendre sur ses pas ne manquent pas : Marie a vécu avec les apôtres à Jérusalem après la mort et la résurrection du Christ. Selon la tradition, elle y restera jusqu’à la fin de sa vie, remontant le chemin de croix tous les jours afin de revivre les épreuves endurées par son fils. L’assomption de Marie aurait eu lieu à Jérusalem, en présence des apôtres. Il existe encore aujourd’hui une église qui a été édifiée près du Mont des Oliviers. Elle serait le lieu de sépulture de la Vierge, vénéré par l’Église orthodoxe. Jérusalem abrite également l’abbaye de la Dormition, confiée aux moines bénédictins. D’après les traditions orthodoxes et catholiques, l’Assomption de Marie aurait se serait déroulée sur l’un de ces deux sites. En tout cas, le grand moment de notre pèlerinage pourrait-être au Cénacle, lieu qui désormais n’appartient à aucune religion, où nous serions donc tous chez nous, et où se trouve un beau mihrab sculpté devant lequel nous pourrions prier en silence, ensemble, à l’exemple de ce que fit Benoît XVI dans la Mosquée bleue il y aura bientôt quinze ans.
Au fond, le « mihrab » vers lequel nous avons à nous tourner ensemble, c’est sans doute notre cœur, pour y découvrir comme Marie la présence vivante de Dieu, mais cela est un chemin personnel que nous avons toute la vie pour accomplir.
François Vayne
3 Comments
Merci cher ami, vos contributions et vos témoignages nous redonnent de l’espoir. Et nous en avons besoin en ces moments de grande tourmente.
Merci
Merci cher Abdelhamid!
On continue, ensemble.
François
Merci pour ce bel article !
Dans mon expérience d’animatrice en pastorale en collège catholique, les échanges avec les jeunes musulmans sont nombreux ! La douceur de Marie nous enveloppe, à travers cette statue de Notre Dame de Fatima offerte par une élève musulmane après un voyage au Portugal et posée en haut de l’armoire de la salle pastorale. Elle suscite des questions, elle invite au dialogue. Les peurs s’estompent. La confiance mutuelle s’installe. Dieu est au coeur.