Sur le thème « Méditerranée, frontière de paix », la première rencontre des évêques du bassin méditerranéen s’est déroulée à Bari, du 19 au 23 février 2020. Reportage.
« L’annonce de l’Evangile ne peut pas se séparer de l’engagement pour le bien commun et nous pousse à agir comme des infatigables ouvriers de paix », notait le Pape François en clôturant dans la basilique Saint Nicolas de Bari, le dimanche 23 février dernier, la rencontre historique réunissant 58 évêques venus de 20 pays situés sur le pourtour du bassin méditerranéen.
« Aujourd’hui la région de la Méditerranée est menacée par de nombreux foyers d’instabilité et de guerre, soit dans le Moyen-Orient, soit dans les divers Etats de l’Afrique du Nord, comme aussi entre les différentes ethnies et groupes religieux et confessionnels ; nous ne pouvons pas oublier le conflit encore irrésolu entre juifs et palestiniens, avec le danger des solutions non équitables, et donc porteuses de nouvelles crises », ajoutait le Saint-Père.
Deux jours plus tôt, le 21 février, des milliers de colons israéliens s’étaient rassemblés sans autorisation sur le terrain appartenant au Patriarcat latin de Jérusalem, dans le nord de la Cisjordanie, en violation flagrante de la propriété privée. Malgré de telles nouvelles au sujet de conflits incessants, provenant de Terre Sainte, et aussi de la guerre en Syrie ou encore de la crise en Lybie, le Pape – désireux de voir très vite s’élaborer une « théologie de l’accueil et du dialogue » – a encouragé les représentants de l’Eglise catholique de la région méditerranéenne à « reconstruire les liens qui ont été coupés, relever les villes détruites par la violence, faire fleurir un jardin là où sont aujourd’hui des terres desséchées, susciter de l’espérance à celui qui l’a perdue et exhorter celui qui est fermé sur lui-même à ne pas craindre le frère ».
Citant Giorgio La Pira, l’ancien maire de Florence, natif de Sicile, inspirateur de cette rencontre et précurseur du dialogue en Méditerranée – cette mer du métissage qu’il comparait à un « grand lac de Tibériade » – le Saint-Père suggéra une analogie entre le temps du Christ et le nôtre. « De même que Jésus a œuvré dans un contexte hétérogène de cultures et de croyances, nous nous situons aussi dans un contexte polyédrique et multiforme, affecté par des divisions et des inégalités qui en augmentent l’instabilité. Dans cet épicentre de lignes profondes de rupture et de conflits économiques, religieux, confessionnels et politiques, nous sommes appelés à offrir notre témoignage d’unité et de paix ».
Dans cette perspective de paix et de réconciliation, les participants à ce G20 catholique et méditerranéen ont interagi et se sont complétés, durant cinq jours, comme l’a résumé, en porte-parole de l’assemblée, Mgr Pierbattista Pizzaballa, Administrateur apostolique du Patriarcat latin, signalant devant le Pape la qualité de l’écoute mutuelle qui a régné parmi ces évêques du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et du sud de l’Europe, ainsi que la fécondité des expériences mises en commun et l’espérance suscitée par les propositions nouvelles nées de ces échanges.
« Nos Eglises désirent devenir une unique voix prophétique de vérité et de liberté », a en particulier affirmé Mgr Pizzaballa, signalant la volonté unanime de continuer le parcours de solidarité entrepris, à travers par exemple des jumelages de diocèses, de paroisses, et des formes de volontariat qui restent à inventer en vue d’un soutien mutuel.
Lors de la journée de clôture, Mgr Paul Desfarges, archevêque d’Alger et président des conférences épiscopales d’Afrique du Nord, parlant au nom de ses confrères, a remercié le Saint-Père pour son témoignage plein d’humanité, qui aide les évêques à relever trois grands défis, l’accueil des migrants, le dialogue interreligieux et l’écologie, en étant non seulement serviteurs de leurs communautés mais également de tous les habitants de la région méditerranéenne.
Ensemble, ils ont d’une certaine manière réalisé le rêve de Giorgio La Pira, laïc catholique italien engagé en politique après la seconde guerre mondiale, qui a beaucoup œuvré en faveur du dialogue sur les rives de la Méditerranée, Mare nostrum, berceau de notre histoire, héritière d’Athènes et de Jérusalem, de Carthage, de Rome et d’Alexandrie.
Apôtre de la paix entre les peuples, La Pira voulait favoriser un espace méditerranéen pacifié, sur la base du dialogue interreligieux, pour que les religions abrahamiques soient des chemins de fraternité plutôt que des murs de séparation. Ses vertus héroïques ont été reconnues en juillet 2018 et il pourrait être prochainement béatifié. Un de ses fils spirituels qui l’a connu à Florence, le cardinal Gualtiero Bassetti, président de la Conférence épiscopale italienne, est à l’origine de l’initiative réunissant à Bari, dans le château normand-souabe de l’empereur Frédéric II – l’ancienne forteresse datant des Croisades – un véritable cénacle de la rencontre. « L’idée était de se parler, dans une logique synodale, sans attendre de résultats éclatants ou spectaculaires, en ouvrant un processus », avait averti le cardinal Bassetti, certain qu’il n’y aura pas de paix durable en Europe s’il n’y a pas la paix en Méditerranée.
Bari, cette ville-pont qui relie l’Orient et l’Occident, était toute indiquée pour accueillir ces journées. Elle a offert au monde un grand signe d’unité, dans l’esprit de saint Nicolas de Myre – l’évêque des pauvres gens, honoré à la fois par les catholiques et les orthodoxes, dont elle abrite les reliques – et sous le regard de l’icône de la Vierge Odigitria, qui conduit et guide, datant de l’Eglise indivise, auprès de laquelle, dans la cathédrale, les évêques de la Méditerranée se sont recueillis et ont prié avec intensité.
Au cours de ces échanges sur la Méditerranée plurielle dans un monde globalisé, il est apparu que les Eglises d’Europe, confrontées au sécularisme, au désenchantement et à l’indifférence, se trouvent revitalisées par les Eglises du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord, minoritaires mais vivantes et chaleureuses. Le cardinal Juan José Omella, archevêque de Barcelone, l’a spécialement exprimé, appelant à une collaboration systématique entre diocèses pour aider certaines paroisses européennes, menacées par la tiédeur, à retrouver un élan communautaire joyeux et contagieux.
D’autre part les évêques ont constaté l’importance des œuvres d’éducation ou de service aux personnes pour freiner l’avancée des fondamentalismes et vaincre les fanatismes, en particulier dans les pays à majorité musulmane, comme l’a souligné Sa Béatitude Ibrahim Isaac Sidrak, patriarche de l’Église catholique copte d’Egypte. Les chrétiens ont un rôle à jouer dans la promotion d’un islam modéré, conforme aux intuitions de la déclaration d’Abu Dhabi signée par le Pape et le grand imam d’Al-Azhar, comme l’a fait remarquer le cardinal Louis Raphaël Sako, patriarche de l’Eglise catholique chaldéenne, de Bagdad.
De plus, les évêques de la Méditerranée ont appelé les responsables politiques et les autorités civiles à faire disparaître les causes de l’immigration que sont les inégalités économiques et les guerres entretenues par le commerce des armes. « L’Eglise doit se faire voix prophétique pour devenir la conscience de l’Europe », déclara à ce propos le cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg et président de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne.
S’agissant des personnes qui arrivent en Europe, fuyant la guerre et la misère – dont 20 000 sont mortes noyés entre 2013 et 2019 – Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte, a souhaité que les Eglises participent à « désarmer les cœurs et guérir de la peur », pour qu’un passage se fasse « de la xénophobie à la xénophilie ». Les évêques ont d’ailleurs précisé que parmi ces migrants ou réfugiés nombreux sont chrétiens et remplissent les Eglises vides du Vieux Continent.
Afin de préparer les responsables futurs qui travailleront à la paix en Méditerranée, la réunion de Bari a produit le projet concret d’envoyer chaque année douze jeunes des Balkans, de Turquie, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, se former à la citadelle de la paix, située dans le village de Rondine (https://www.rondine.org/fr/qui-sommes-nous/), près d’Arezzo, pour découvrir , à travers un difficile travail de cohabitation au quotidien, que derrière un éventuel ennemi il y a d’abord une personne.
Les communautés contemplatives du pourtour méditerranéen ont porté dans la prière cette rencontre qui s’est conclue par une messe en plein cœur de Bari, pendant laquelle le Pape François a plaidé pour « l’extrémisme de l’amour », devant 40 000 fidèles – qui n’ont pas eu peur du coronavirus – insistant sur la nouveauté chrétienne qu’est l’amour des ennemis.
« Aimer et pardonner, c’est vivre comme des vainqueurs » a lancé le successeur de Pierre. « Nous perdrons si nous défendons la foi par la force. Le Seigneur répéterait, à nous aussi, les paroles qu’il a dites à Pierre à Gethsémani : « Remets ton épée au fourreau » (Jean 18, 11). Dans les Gethsémani d’aujourd’hui, dans notre monde indifférent et injuste, où il semble qu’on assiste à l’agonie de l’espérance, le chrétien ne peut pas faire comme ces disciples qui ont d’abord pris l’épée avant de s’enfuir. Non, la solution n’est pas de sortir l’épée contre quelqu’un et encore moins de fuir les temps que nous vivons. La solution est la voie de Jésus : l’amour actif, l’amour humble, l’amour jusqu’au bout (Jean 13, 1) ».
François Vayne, à Bari