C’est la première fois depuis son élection que le Pape François s’exprime comme théologien lors d’un colloque. Son discours, tenu vendredi dernier à Naples, est donc essentiel pour mieux comprendre vers quelle « Pentecôte théologique » il entend conduire l’Eglise catholique.
Fin janvier 2018, avec la constitution apostolique Veritatis gaudium, il a réformé les études de théologie, insistant sur leur dimension « kérygmatique », c’est-à-dire centrée sur le noyau de la première prédication des Apôtres : Jésus Messie est Seigneur et Sauveur. Le mot kérygme – du grec qui signifie « proclamation solennelle » – se trouve exprimé en plusieurs passages du Nouveau Testament, par exemple dans le discours de Pierre le jour de la Pentecôte (Actes 2,14-36). Le but de cette théologie renouvelée est donc que les femmes et les hommes de notre temps puissent entendre « dans leur propre langue » une réflexion chrétienne qui réponde à leur recherche de sens et de vie pleine.
Comme l’a explicité le Saint-Père, refusant les tentations de conquête et de fermeture identitaire, il s’agit de témoigner du Christ à travers l’accueil et l’écoute en se faisant un avec l’autre, dans le dialogue en profondeur, sans volonté de prosélytisme, à la suite de saint François d’Assise qui conseillait à ses frères après son voyage dans l’Orient méditerranéen : « Prêcher l’Evangile, si nécessaire aussi avec les paroles »…
Face à la mer, sur la petite place très ensoleillée de la Faculté de théologie de l’Italie Méridionale, animée par les jésuites, le Pape a souhaité que la théologie retourne à la source évangélique, tenant compte des erreurs du passé, pour devenir comme un « laboratoire de la rencontre », en lien avec les réalités pratiques qui caractérisent cette « mer du métissage » qu’est la Méditerranée.
À l’image justement de la Méditerranée – pont historique, géographique et humain entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie – la « théologie de l’accueil et de l’écoute » qu’il promeut est au service d’une « fraternité toujours plus inclusive » et d’une « réciproque inculturation », dans l’esprit de la rencontre interreligieuse d’Abu Dhabi qui s’est déroulée au début de l’année.
S’appuyant sur Veritatis gaudium, et remerciant publiquement son architecte en la personne de Mgr Angelo Vincenzo Zani, Secrétaire de la Congrégation pour l’éducation catholique, François a exalté les figures de Charles de Foucauld et des moines de Tibhirine, dénonçant le « syndrome de Babel » qui consiste dans le fait de « ne pas écouter ce que l’autre dit » et de « croire que je sais ce que l’autre pense et ce qu’il dira ». Selon lui, tous les étudiants en théologie devraient être éduqués au dialogue avec l’Islam et le Judaïsme, afin de chercher ensemble une « convivance pacifique dialogique », propre à toute vraie communication.
Considérant que « l’approfondissement du kérygme se fait avec l’expérience du dialogue qui naît de l’écoute et génère la communion », le Pape a indiqué comme modèle l’entretien de Jésus avec la Samaritaine, demandant que l’on abandonne les « schémas rigides » pour adopter compassion et empathie, mettant au cœur de la théologie à la fois la miséricorde et l’attention envers les êtres humains concrets.
« Avec le monologue tous nous perdons, tous », a-t-il insisté, appelant les théologiens – hommes et femmes, prêtres, laïcs et religieux – à fuir les logiques autoréférentielles en travaillant dans une dimension transdisciplinaire de « réseau » destinée à « favoriser le discernement de la présence de l’Esprit du Ressuscité dans la réalité ».
Pour cela il est important, précisa-t-il, de « revisiter et de réinterroger continuellement la tradition ». « La tradition est la garantie du futur, pas la gardienne des cendres », lança le successeur de Pierre en citant Gustave Malher, comme pour mieux montrer que la tradition n’est pas un musée mais plutôt « un arbre qui vit et qui grandit ».
Enfin, ayant encouragé les théologiens à mettre en œuvre ce changement de paradigme et à devenir des « ethnographes spirituels de l’âme des peuples », François les a prié d’épargner le peuple de Dieu de leurs « disputes », les invitant à la liberté créatrice sans oublier que le Magistère de l’Eglise, en l’occurrence celui du Pape, est l’ultime instance à laquelle ils ont humblement à se soumettre.