Pour guérir le monde

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Dans un livre récent, intitulé 40 missionnaires pour une génération (aux éditions Première partie), le journaliste Eric Denimal a recueilli mon témoignage que vous pouvez lire intégralement ici, tel qu'il a été publié dans cet ouvrage.

François Vayne est journaliste professionnel depuis 1987. À Rome il occupe maintenant la charge de directeur de la communication de l’Ordre du Saint-Sépulcre, au Vatican, après avoir été directeur de la communication des Sanctuaires de Lourdes, où il a exercé son métier pendant plus d’un quart de siècle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et se présente comme un journaliste sans frontières.


Alors que j’étais tout jeune en Algérie, pays où je suis né en 1962 et où j’ai grandi, j’ai observé que si souvent les communautés n’étaient pas parvenues à s’entendre, c’était aussi du domaine du possible notamment grâce à l’amitié de personne à personne, aux liens de fraternité tissés avec amour. « L’avenir est à l’amitié » me disait le cardinal Léon Etienne Duval, alors archevêque d’Alger. Il m’est apparu qu’il fallait absolument œuvrer pour que les gens puissent mieux se comprendre. L’exemple de Frère Luc, moine de Tibhirine que j’ai eu l’occasion de rencontrer, et sa vision de la fraternité universelle, m’inspiraient beaucoup. Je voulais vivre cette dimension de la fraternité, et j’étais prêt à lui consacrer une année de ma vie tout en poursuivant ma profession. C’est là qu’il m’a été possible d’aller à Lourdes. Je voulais reproduire, à ma façon et avec mes moyens, ce que j’avais vu si souvent à Tibhirine : un moine médecin qui accueillait tout le monde en les prenant dans ses bras. Il me semblait qu’il m’était possible de reproduire ces gestes à Lourdes. Selon moi, rendre témoignage de cette qualité dans les relations humaines, c’est tout simplement remplir sa mission de chrétien sur terre. Finalement, je suis resté vingt-six ans à Lourdes, en tant que journaliste, avant d’aller à Rome où j’exerce toujours ce métier.

Les échos de l’Église du Christ

À Lourdes, j’ai souvent observé que les relations entre les gens, lorsqu’elles étaient enfin rétablies et authentiques, étaient sources de guérison. Dans un tel lieu, il n’y a plus de masque, plus de statut social qui compte ; on est soi-même. Par le service auprès des malades, on est dans la transparence des relations humaines. Là, je suis devenu un passeur d’information en faisant connaître ce qui peut se passer autour de l’expérience des croyants qui vivent des choses importantes dans le domaine de la foi, de l’amour, de la solidarité… J’ai été correspondant de « La Croix » pendant un quart de siècle ; je ne proposais pas des articles sur les processions mariales, mais plutôt des témoignages de chrétiens qui venaient du monde entier et qui pouvaient raconter ce qu’ils vivaient dans leurs pays. On est toujours mieux informé par ceux qui vivent les situations sur place que par les « on dit », par les positions politiques, par les dépêches d’agences. Parvenir à transmettre du vécu et de l’incarné me semble utile et porteur. On ne peut pas toujours aller sur place pour recueillir le témoignage des personnes en situation. C’est une aubaine qu’elles viennent à vous. Et puis, on vérifie ainsi la dimension universelle de l’Église du Christ !

Vers la fraternité universelle

C’est cette part d’humanité où s’éprouve et grandit le bonheur d’aimer, l’Église Corps du Christ, avec les membres dont je suis. Cela dépasse largement les rouages de l’Institution. Ce peuple de Dieu qui forme l’Église, et dont parle souvent le pape François, c’est celui que je veux servir. Je trouve que c’est la plus belle mission qui soit parce qu’elle parle d’un peuple en marche vers un monde uni, un monde sans murs ni entre les personnes, ni entre les nations

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De Lourdes à Rome, je n’ai pas changé de cap quant à l’objectif de servir la fraternité universelle en tant que journaliste engagé, j’ai juste changé de bateau. Un journaliste a le droit d’avoir des convictions et de les défendre. On parle sans cesse de l’objectivité, mais celui qui n’est pas subjectif ne dit pas vraiment la vérité parce que nous voyons tous quelque chose depuis notre propre fenêtre. Nous sommes tous porteurs d’une part de vérité par l’expérience que nous avons. Ce sont ces expériences, mises bout à bout, qui font que nous pouvons avoir une perception de la vérité. Je suis très heureux d’avoir des convictions et de mettre ma vie professionnelle au service de ces convictions qui parlent de l’Évangile vécu.

Se souvenir de la mission de l’âne

Nous avons tous une mission. Il y a un petit âne qui a porté la Sainte Famille en Égypte pour mettre Jésus en sécurité. Il y en a un autre qui a amené Jésus à Jérusalem où il allait être acclamé par la foule… La mission est toujours une mission de service. La mienne, en tant que journaliste croyant, est d’établir des passerelles et des ponts. Oui, je suis constructeur de ponts pour qu’entre les personnes, il y ait plus de vérité, de meilleures relations et moins de préjugés. Je ne parle pas ici de vérités abstraites, mais d’amitiés humaines qui font progresser la vérité dans l’amour. Par exemple, dans le contexte actuel, nous devrions tous avoir un ami musulman sinon plusieurs, non pas pour les convertir, mais pour comprendre ce qui les fait vivre, pour saisir un peu de leur vérité. Pour comprendre aussi et enfin que le terrorisme n’a rien à voir avec l’Islam. C’est pourquoi je crois en la culture de la rencontre. Je souhaite la favoriser. Si on achète un journal, c’est pour rencontrer celui que nous n’aurions pas rencontré autrement.

On parle parfois du quatrième pouvoir pour parler des médias et de la presse qui peuvent manipuler l’opinion. C’est vrai qu’il faut trouver un équilibre entre l’information et la propagande. Une de nos chances aujourd’hui est Internet parce qu’on peut échapper à une information formatée ou « sponsorisée » par les puissances d’argent. La personne qui souhaite comprendre, à la lumière de sa conscience, peut s’informer aux abondantes sources à sa disposition. Il y a une manière de véhiculer l’information et une manière de la recevoir. Il est évident qu’un journaliste qui travaille pour un patron qui est en même temps marchand d’armes aura du mal à dire tout ce qu’il sait dans le journal qui l’emploie. C’est aussi le choix du journaliste de travailler-là plutôt qu’ailleurs.

Transparence et vérité

Le journaliste chrétien qui parle de la vie de l’Église peut aussi avoir à parler de choses qui sont moins belles dans cette Église que ce qu’on pourrait attendre d’elle. On voit bien ce que les médias sont capables de publier quand il y a des attaques à formuler à l’encontre de l’Église catholique. Est-ce possible alors d’être impartial ? De dire ce qui est juste même si cela fait mal à ses propres convictions ? Je le crois parce que cela se passe toujours mieux que ce que l’on craint. Il est toujours mieux de dire la vérité ; elle est moins grave que la rumeur. Si un prêtre a commis des fautes, c’est préférable qu’on le sache parce que cela libère tous ceux qui font le bien. Un proverbe africain dit : « Un arbre qui tombe fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse ». Dans l’Église, il y a ce travail à faire : mettre en valeur ce qui est beau et ne pas hésiter à nettoyer la maison. Elle est belle, mais elle est encore plus belle quand elle est nettoyée. C’est peut-être dans le rôle du journaliste chrétien que de participer à l’opération « Propreté et transparence ». Il n’y a pas de honte à vouloir une maison plus propre, et cela ne remet pas en question la maison elle-même.

Des correspondants inattendus

Les journalistes, notamment en France, n’ont pas bonne presse ! Quel paradoxe ! Je crois que dans notre métier, on a perdu quelque chose de la réalité du terrain. On prend trop facilement pour argent comptant ce que diffusent les agences de presse, et on ne prend pas le temps de vérifier. Tout le monde s’engouffre sur les mêmes titres, et peut-être dans les mêmes mensonges. C’est grave ! Plus on pourra aller sur le terrain et vérifier, et plus on aura l’occasion de rencontrer les gens au lieu de répéter les nouvelles vendues pour vraies mais invérifiables, mieux ce sera. Le problème reste le temps ; tout va trop vite et il faut toujours aller plus vite, sous la dictature du scoop. Mais la course est épuisante et les chutes inévitables. Du coup, le journaliste perd de sa crédibilité. Avec l’Église, nous avons une chance incroyable : nous avons des religieux, des religieuses et des témoins dans le monde entier. Nous pouvons les atteindre facilement et avoir ainsi de vraies nouvelles des pays où ils vivent. Ce formidable réseau international, au-delà même du religieux, est une force unique. Chaque chrétien peut devenir une espèce de correspondant de presse, d’envoyé spécial ou permanent. Ces ressources sont inégalées.

Éviter de tomber dans le panneau

L’honnêteté du journaliste, surtout s’il est chrétien, c’est aussi de bousculer les informations diffusées si elles ne sont pas complètes ou trop partiales. Par exemple : on parle de plus en plus, dans la grande presse, de la persécution des chrétiens dans le monde. C’est juste ! Trop longtemps, rien de cette réalité ne transpirait alors que nous savions, dans l’Église, que cette persécution montait. Cependant, aujourd’hui, n’y a-t-il pas une manipulation de l’information sur ce thème même ? En montrant la violence dont sont victimes les chrétiens de tel ou tel pays, ne pousse-t-on pas désormais à nous faire choisir un camp en faisant monter l’islamophobie ? Je pense que notre rôle, voire notre mission, est de résister à cette tentation. Il y a, actuellement, plus de musulmans modérés que de chrétiens victimes des guerres fomentées par les intégristes musulmans. S’il y a des chrétiens qui meurent, il y a aussi des musulmans qui sont assassinés en voulant sauver des chrétiens. Laisser croire que la persécution ne touche que des chrétiens frôle le mensonge. Il existe un œcuménisme inter-religieux du martyre. Il serait dangereux de tomber dans le panneau Occident contre Orient, et il faut éviter de dresser des murs en Europe comme il y en a, hélas, en Terre Sainte.

À la source et au sommet

Il y a des relations humaines qui se guérissent par le contact physique. Alors qu’il était de passage à Lourdes, j’ai eu l’occasion de rencontrer le Dalai Lama et de l’interviewer. Cet homme m’a énormément impressionné. Dans la conversation, il m’a encouragé à être de plus en plus chrétien jusqu’à devenir tel François d’Assise puisqu’il était impossible, même pour le meilleur des chrétiens, de devenir aussi parfait que le Christ ! Ce soir-là, je suis rentré chez moi avec une espérance exprimée comme une prière : « Seigneur, donne à ton Église un Dalai Lama chrétien, qui témoigne de ta compassion et de ta miséricorde ! » Aujourd’hui, installé au cœur de Rome, travaillant non loin du bureau du Pape, je suis persuadé que ma prière a été exaucée et que François, dans le sillage de son modèle d’Assise, est une bénédiction pour le peuple de Dieu[1]. Par son comportement, et à l’égard de chaque personne qu’il rencontre, François invite à des relations plus authentiques, plus fraternelles et même plus charnelles, plus physiques. Il prend les gens entre ses bras. Cette attitude me replonge dans ce que j’ai vu à Tibhirine de la part de Frère Luc. Ce geste semble effacer la peur de l’autre et c’est là un début de guérison parce que le cœur est libéré de cette crainte de l’étranger, de l’étrange. Les gens qui repartent après cette embrassade sont remplis d’une énergie nouvelle, et cette énergie provoque en eux le désir de relations renouvelées. Ils sont alors porteurs de grâce, de bonté et de bienveillance. Je crois fortement que cela peut guérir le monde. Le pape nous ramène à la source et au sommet du message christique.

Un petit plus

Les jeunes chrétiens qui voudraient être journalistes comme je le suis ne peuvent être tous à Lourdes ou à Rome. Ils peuvent travailler à L’Équipe, au Figaro ou à L’Obs… Avec passion et humilité, on peut être chrétien et journaliste dans tous les médias. Je suis persuadé qu’il faut avant tout être un bon journaliste. Si on est chrétien, on cherche à faire correctement ce métier avec application, avec le respect de ceux qui vont nous lire et de ceux dont nous parlons. Il faut être vrai et bon dans ce que l’on raconte, jusqu’à éviter la moindre coquille. Le journaliste chrétien doit être exigeant avec lui-même, plus à l’écoute de sa conscience et de ce qui la fonde. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais nous avons un plus qui nous pousse à le devenir. Il m’arrive d’écrire dans d’autres médias que dans la presse confessionnelle, et je pense que je suis toujours le même journaliste. Le grand défi alors est que personne ne sache que vous êtes chrétien, et qu’on le découvre par votre façon d’être avec tous et d’écrire pour tous. Je sais aussi que l’on peut s’afficher publiquement chrétien et ne convaincre personne !

Je garde en mémoire un principe mis en exergue par Pierre Schoendoerffer, qui avait été un grand reporter de guerre en Indochine en même temps qu’un romancier et cinéaste remarqué. Il préconisait de témoigner de la petite étincelle d’espérance et d’amitié qu’il y avait au cœur de tous les drames dont nous sommes témoins. C’est ma mission !

[1]Parmi les nombreux ouvrages de François Vayne, à noter « Merci François ! 1000 jours d’un pontificat révolutionnaire » aux Presses de la Renaissance (2016)
Le livre est bien entendu disponible en librairie et également sur Amazon : https://www.amazon.fr/40-missionnaires-pour-une-g%C3%A9n%C3%A9ration/dp/2365261221

1 Comment

  1. POUJOL René dit :

    Cher François, je t’ai lu avec grand plaisir et gratitude. Je me reconnais dans ton propos… plus que je ne l’aurais imaginé.

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