Aujourd’hui j’étais à la Sala Stampa du Saint-Siège, la Salle de Presse, pour la présentation de la campagne de Caritas Internationalis sur le thème de l’accueil des migrants et réfugiés – « partager le voyage de la vie » – lancée par le Pape François durant l’audience générale de ce 27 septembre. « Nous sommes tous des migrants » a insisté devant les journalistes le cardinal Luis Tagle, archevêque de Manille et président de Caritas Internationalis, témoignant de sa propre expérience familiale : son grand-père émigra de la Chine vers les Philippines… Relayant le message d’ouverture du Saint-Père, il mit en lumière l’action de l’Eglise universelle pour créer des espaces de dialogue et de rencontre avec les personnes qui fuient la guerre et la misère dans leurs pays d’origine. Tandis que se durcissent les résistances à ces appels en faveur des personnes migrantes, il est important de se remettre en cause et de chercher à comprendre. C’est ce que j’ai dit récemment lors d’une conférence à Paris, pour la présentation officielle de mon dernier livre, « Prier 15 jours avec le Pape François », aux éditions Nouvelle Cité. Voici les notes de mon intervention, publiées en vrac sur ce blog, pour participer en conscience à ce débat de fond, où se joue véritablement notre identité chrétienne. Bien entendu ma conférence abordait aussi d’autres sujets, en lien avec ce pontificat prophétique.
Présentation du « Prier 15 jours avec le Pape François » – Paris – Septembre 2017
. Remerciements pour cette initiative
D’abord merci à l’éditeur pour cette rencontre, qui me donne la joie de retrouver Mgr Perrier avec qui j’ai travaillé quinze ans à Lourdes (il a accueilli deux papes à la Grotte en 2004 et 2008 : Jean-Paul II pour son dernier voyage hors d’Italie, et Benoît XVI pour le 150ème anniversaire des apparitions).
La rose jaune ici présente nous rappelle en particulier une expérience forte vécue ensemble, lorsque Mgr Perrier invita saint Jean-Paul II à venir à Lourdes (nous étions tous les deux à Rome, c’était le 24 janvier 2004). Cette rose jaune (artificielle), qui était dans le bureau du Pape, c’est le secrétaire de Jean-Paul II qui me l’a donné pour que nous la portions à la Grotte de la part du Saint-Père.
Benoît XVI a béatifié Jean-Paul II, François l’a canonisé, associons-le à nous ce soir, avec cette rose…
On peut dire que si Jean-Paul II a été le pape de la foi, Benoît XVI aura été celui de l’espérance au milieu des épreuves, et François celui de la charité.
Je dois dire que l’idée du Prier avec Benoît XVI vient de mes enfants, et que j’avais tout de suite suggéré ce projet à Muriel Fleury (ainsi que le nom de l’auteur). Elle m’avait répondu alors que la collection ne concernait pas des témoins de Dieu encore vivants… Puis elle s’est ravisée, me proposant d’écrire ce Prier avec le Pape François, désirant qu’il sorte en même temps que le Prier avec Benoît… Ce fut une belle surprise (comme quoi il faut croire aux « processus » dont parle le Pape François, en restant ouverts aux inspirations de l’Esprit Saint qui nous fait sortir des sentiers battus et de la rigidité du « on a toujours fait comme ça »).
C’est un heureux choix, moins circonstanciel qu’il n’y paraît.
En fait saint Benoît et saint François (saint François qui a inspiré beaucoup saint Ignace) ont été deux grands saints réformateurs, à deux époques bien différentes de l’histoire de l’Eglise, et nos deux papes s’inscrivent dans cette lignée d’un retour à l’essentiel (un christianisme vécu avec profonde authenticité), que ce soit par l’écoute de la Parole de Dieu dans la liturgie pour l’un, ou par la vie de cette Parole dans le monde pour l’autre, deux aspects d’un même mystère où la lumière de la Parole est comme « l’ombre de Dieu » parmi nous.
Je ne vois donc pas d’opposition entre le Pape Benoît et le Pape François, personnellement, mais deux charismes et une complémentarité précieuse : un lien puissant existe entre eux.
D’ailleurs si j’ai appris quelque chose d’important de Mgr Perrier durant nos quinze années de collaboration, c’est de remplacer le ou par le et… dans une logique de communion et d’unité. La logique binaire n’est pas chrétienne, nous sommes porteurs d’une réalité trinitaire où un et un font trois.
Il suffit de voir avec quelle délicatesse François reste en relation avec le pape émérite pour deviner la force du lien qui les tient ensemble, on dirait que l’un prie et se consume en intercession pour la mission évangélique de l’autre. Ce lien, c’est Jésus au milieu d’eux.
Il me semble qu’après le long pontificat solaire de Jean-Paul II (on sait bien qu’à la fin le Pape ne gouvernait plus), Benoît XVI a ouvert la voie de la réforme (pédophilie, finances…) et qu’il a préparé le travail que François est en train d’accomplir. Là est la complémentarité…
Ce sont deux réformateurs, l’un ayant eu le rôle difficile d’entreprendre la purification.
Tous deux sont les papes du mystère de la lune (qui ne brille pas de sa propre lumière). Ils font acclamer le Christ, pas leur personne (aux JMJ la figure du Christ est plus grande que celle du Pape, et cela depuis Cologne en 2002).
Je voudrais dire aussi ma joie de présenter ce Prier 15 jours avec le Pape François le jour-anniversaire de sa rencontre avec le Christ, un 21 septembre, fête de saint Mathieu (l’évangéliste des huit Béatitudes positives et du « Heureux les miséricordieux »), cette fête qui lui inspira sa devise où il est dit en substance « Il m’a choisi en me faisant miséricorde », « Miserando atque eligendo ».
. Introduction au sujet de ce que le Pape François m’a permis de découvrir
Ayant grandi avec la génération Jean-Paul II, je croyais qu’il fallait porter Dieu au monde, comme s’il en était absent.
La nouvelle évangélisation pour moi, acteur de toutes les JMJ ou presque depuis les premières, à Rome, au printemps 1985 (j’avais 22 ans), consistait à « faire chrétiens nos frères »…
Nous étions un peu « les soldats de l’an II » – de l’an 2000 – et de la nouvelle évangélisation, et puis nous nous sommes retrouvés avec un fusil pour deux comme à Stalingrad, expérimentant toutes les souffrances du temps, le divorce par exemple, etc.
La forteresse Eglise que nous voulions défendre (contre le communisme de l’Est par exemple) s’est transformée en un « hôpital de campagne » où nous sommes à la fois les blessés et les infirmiers, à tour de rôle, dans la tourmente du consumérisme.
Après le communisme athée, il y a le consumérisme indifférent à la foi, sans idéal aucun (le Pape parle d’une « lassitude de la transcendance »), c’est la nuit obscure du sécularisme. C’est un changement d’époque (pas une époque de changements)!
Dans le champ de ruines du paganisme libéral triomphant, « si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie » (comme dit le Pape au n°49 de La joie de l’Evangile).
« Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37). »
L’Eglise était marginalisée dans le monde consumériste après la fin du communisme. François est arrivé à temps !
Il prêche le Christ avec la croix, à la suite de deux jésuites du XVIIème siècle Louis Lallemant et Jean-Joseph Surin (ni jansénisme rigoriste, traditionalisme, ni quiétisme, progressisme).
Ni la croix sans le Christ, ni le Christ sans la croix.
Il invite à la disponibilité du cœur, à ouvrir son cœur pour recevoir le souffle de l’Esprit (en renonçant à la mauvaise nostalgie et en faisant place à la mémoire bonne), comme Marie au Magnificat.
Docilité à l’Esprit Saint : faire le choix qui convient par le discernement, librement, chaque jour de sa vie, autrement dit vivre le moment présent en aimant, donc en Dieu !
Avec François j’ai compris que le défi est plutôt de révéler aux gens le Dieu déjà présent qui chemine à leurs côtés, un peu comme à Emmaüs.
Il s’agit d’être le sel et l’âme, ce qui n’a rien à voir avec la quantité…
C’est la « culture de la rencontre », et de l’écoute des autres.
« Pour faire la paix dans le monde il manque des oreilles », a dit par exemple le Pape François à l’association Telefono Amico (Italie).
Nous sommes des révélateurs, ni plus ni moins.
Et ce Dieu qui est là peut avoir bien des visages, en particulier celui de Jésus abandonné et souffrant qui ne demande qu’à être reconnu et aimé.
J’ai mis 50 ans à découvrir cela, à y adhérer pleinement, grâce en particulier aux gestes du Pape François, ce pape de la relation humaine qui embrasse les lépreux d’aujourd’hui sans faire semblant, et qui nous entraîne à faire de même.
« Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités », dit-il encore dans La joie de l’Evangile (et sa légère blessure au visage, avec un peu de son sang sur sa soutane, en Colombie, exprimait bien cela, « une Eglise accidentée sortie par les chemins »…).
. Comment ai-je travaillé pour écrire ce « Prier 15 jours » ?
Ce n’était pas simple de choisir un angle, car le pontificat est en cours, l’histoire n’est pas terminée. Je ne pouvais donc pas suivre la chronologie, et pour définir des thèmes y avait-il un fil d’or ?
J’ai trouvé le chemin de croix comme « fil », en ajoutant une quinzième station (la Résurrection que je pouvais relier à la joie, au pape de la joie).
Le premier jour, Jésus condamné, allait bien avec l’appel à refuser le prince de ce monde à la suite de saint Ignace dans les Exercices (dont le pape est pétri); le deuxième jour, Jésus chargé de sa croix, m’a fait penser au bois des bateaux de migrants, ces migrants qui pour le pape sont « la chair du Christ » ; le troisième jour, Jésus tombe, m’a donné l’occasion de parler de la fragilité des représentants de l’Eglise et de la réforme en cours au Vatican ; pour le quatrième jour, Jésus rencontre sa mère, le thème marial s’imposait, et ainsi de suite (« sortir » pour Simon de Cyrène qui aide Jésus à porter sa croix, « miséricorde » pour la rencontre du Christ avec sainte Véronique etc… J’ai traité du thème des jeunes à la lumière de la 8ème station (Jésus parle aux femmes de Jérusalem de leurs enfants)…
Finalement j’ai cassé le moule et il est resté la forme, un peu comme le sculpteur.
Ce « moule » a disparu pour le lecteur, mais il m’a permis d’aller au cœur du mystère au lieu de rester à la surface des évènements.
. Des moments forts qui ont marqué ma mémoire et qui m’ont inspiré dans ce livre
D’abord le conclave (je travaillais en contrat d’exclusivité pour le Figaro) : le nom de François était dans l’air.
Avec le cardinal Christoph Schönborn nous étions allés à Assise prier pour un pape qui renouvelle l’Eglise comme au temps de saint François.
Je savais de source sûre qu’un cardinal d’Amérique latine, très actif dans les congrégations générales, aurait pris le nom de François-Marie s’il avait été élu.
Un pèlerin se promenait tous les jours place Saint-Pierre avec une pancarte où était écrit en gros : « Francesco ».
Quand JMG m’a appelé, une heure avant l’élection, pour citer le nom de Bergoglio qu’un vaticaniste lui avait soufflé (AT), nous nous sommes dit que c’était improbable, il nous semblait trop vieux, d’ailleurs nous n’avions à peu près rien préparé à son sujet.
Sur la place Saint-Pierre, après la fumée blanche, j’ai dit à des jeunes prêtres qui attendaient Grégoire XVII (l’opposant de tous les conclaves, jamais élu sous ce nom), je leur ai dit que j’espérais qu’il s’appelle François, ils m’ont regardé avec dédain, puis quelques minutes après ils ne savaient plus où se mettre et je leur ai souri, abasourdi…
Quand le Pape nous a demandé de prier pour lui en s’inclinant, l’unité était recréée, l’Esprit Saint semblait nous fondre dessus comme à la Pentecôte, pour quelque chose de nouveau.
Le Pape à peine élu a dit aux journalistes réunis salle Paul VI : « Comme je voudrais une Eglise pauvre pour les pauvres » : le ton était donné… Les pauvres dont il parlait ce sont les « pauvres pécheurs » que nous sommes, qui avons tant besoin de miséricorde. Et il a ensuite expliqué qu’il préfère être appelé « le Pape des pauvres pécheurs » plutôt que « le Pape des pauvres »…
Son ministère est tout entier placé sous le signe du pardon, ce pardon que les corrompus refusent parce qu’ils sont suffisants. Autrement dit le pire des péchés pour lui c’est la corruption.
Ce sont des choses que j’ai pu comprendre en les vivant aux cotés du Pape, ayant en particulier la chance de commenter ses faits et gestes régulièrement sur Radio Vatican.
Il y a eu le 17 mars 2013 et l’Angélus durant lequel il parla du livre du cardinal Kasper sur la miséricorde, racontant ce qu’une vielle femme lui avait dit un jour à Buenos Aires, devant une statue de Notre-Dame de Fatima : « Si Dieu ne pardonnait pas, le monde n’existerait plus ».
Je repense aussi au 7 septembre 2013 et la prière pour la paix place Saint-Pierre, tandis que les USA voulaient bombarder la Syrie, puis la rencontre interreligieuse dans les jardins du Vatican avec Abou Mazen et Shimon Pérès (après le voyage en Terre Sainte auquel j’ai participé)…
Je pourrais citer bien des épisodes qu’on retrouve dans le livre et qui ont été pour moi très éclairants.
Le dernier en date c’est quand le Pape François a laissé des pauvres prier sur lui en lui imposant les mains, durant le Jubilé de la Miséricorde. C’est un peu l’image des personnes qui ne tombent pas dans le métro parce qu’elles s’appuient les unes sur les autres…
Pour ma part j’ai eu plusieurs fois la possibilité de saluer le Pape, même de manger près de lui à Santa Marta. Sa simplicité est extrême, par exemple je l’ai vu aller réchauffer lui-même son plat au four à micro-ondes…
Ce qui me frappe c’est son attention aux personnes, sa qualité de présence, sa tendresse avec les gens.
Il se rase deux fois par jour pour ne pas piquer les enfants qu’il embrasse : sa révolution de la tendresse est concrète.
« Si tu veux être catholique, tu dois d’abord être humain », dit-il.
Il demande qu’on prie pour lui, sans doute parce qu’il veut échapper à la tentation du pouvoir et de la mondanité.
. Quelques clés pour comprendre ce pontificat qui suscite des polémiques parmi les catholiques
Le Pape François veut que l’Eglise sorte d’elle-même, à la manière de Dieu qui s’incarne : c’est le mouvement trinitaire (cela n’a rien d’idéologique car le Verbe ne s’est pas fait idée, il se fait chair et continue de s’incarner).
Marie à la Visitation est notre modèle pour rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Evangile (EG n °20).
Une mystique des yeux ouverts est proposée.
Il nous demande de lire la réalité avec une clé trinitaire (Laudato si’).
L’incarnation pour lui se poursuit dans le peuple de Dieu (c’est la « théologie du peuple », née en Argentine après le Concile, qui l’a formé). Du coup le peuple a la boussole de l’Esprit Saint dans le cœur et les pasteurs ont à le suivre pour le protéger, mais n’ont pas à le devancer (sur sa croix pectorale il y a l’Esprit Saint, le pasteur et le troupeau ensemble…).
Cette Eglise en sortie se manifeste dans les relations avec la culture humaine, mais aussi entre les Eglises, les religions, par rapport à la Création.
« Tout est lié » pour le Pape et il veut tisser des liens dans la réalité où « les choses sont entrelacées », créer des ponts pour favoriser la communion dans une perpétuelle relation.
La condition de cette communion que le polyèdre évoque, c’est de sortir, et d’abandonner nos idées (car « la réalité est supérieure à l’idée »).
D’où aussi la volonté du Pape de lancer des « processus » qui permettent de discerner, comme quand on chemine, qu’on va vers (« le temps est supérieur à l’espace »)… en laissant à l’Esprit Saint le soin de nous surprendre, lui qui fait toute chose nouvelle.
Ce Pape veut en finir avec le cléricalisme qui défigure l’Eglise.
Ce n’est pas la fin de l’Eglise – comme certains le prédisent ou le craignent – mais la fin du cléricalisme, la fin d’une Eglise pyramidale et la naissance d’une Eglise communion, une Eglise-Famille si vous préférez.
Et cette réforme ne sera pas qu’institutionnelle car pour le Pape « l’Eglise se renouvelle avec la prière et la sainteté de chaque baptisé ». Là se trouve la clé.
« La frontière entre le bien et le mal passe dans le cœur de chaque personne, dans le cœur de chacun de nous », a précisé encore le Pape François lors de l’Angélus du 27 juillet dernier.
Il s’agit toujours d’ouvrir son cœur… et d’accueillir l’Esprit Saint qui réalise des surprises dans notre vie, comme dans la vie de Marie.
Ces surprises peuvent toucher la doctrine qui n’est pas un système fermé, car « le christianisme se repense et se réexprime dans le dialogue avec les nouvelles situations historiques » (saint Vincent de Lérins, cité dans Laudato si’, son unique encyclique pour le moment).
Le Pape avance en marchant, en cherchant, selon les mots du psaume 119 : « Ta parole est lumière sous mes pas ».
Sa méthode consiste à écouter, et à discerner. Il veut que chacun écoute sa conscience, y compris dans les comportements pour sauvegarder la création.
C’est une réforme du cœur de chacun qui est espérée, encouragée par le Pape François, à tous les niveaux.
La corruption à combattre est celle de l’âme.
Dans la réforme « tout est lié » : de la communion des saints au changement climatique…
Pour le Pape, la dégradation humaine et éthique va ensemble avec la détérioration de l’environnement (page 103 du livre).
Le climat est bouleversé en raison de nos comportements égoïstes internationaux, de notre soumission au dieu-argent (et nous avons trois ans devant nous pour changer la donne, selon ce qu’il a dit à son retour de Colombie).
La « culture du déchet », la « globalisation de l’indifférence », c’est contre ces fléaux que le Pape François nous appelle à lutter !
Le Pape a parlé de ces trois ans après lesquels il sera trop tard (Apocalypse 11,10 : les deux prophètes – peut-être lui et le patriarche Bartholomée – ont trois ans et demi pour prêcher, avant l’Antéchrist, qui sait ?).
L’alerte sonne, après ce sera terrible. Chacun de nous est responsable !
Le Pape François, fin août, a lancé un appel en faveur de la minorité musulmane persécutée en Birmanie.
Il ne veut pas qu’on présente la persécution des chrétiens d’Orient comme l’unique drame, sachant que de nombreuses minorités sont persécutées.
Cet effort est aussi une manière de ne pas s’enfermer dans l’idéologie et un esprit de croisade.
La culture de la rencontre est là encore son horizon.
Surtout il refuse d’assimiler islam et terrorisme (comme il l’a dit après la mort du Père Jacques Hamel).
On l’accuse de naïveté alors qu’il est prophétique dans la mesure où il sait que des forces manipulent les opinions en faveur du choc des civilisations, en vue d’intérêts cachés.
Qui veut obliger l’opinion publique occidentale « chrétienne » à se solidariser d’une guerre de conquête ? Nous sommes face à une grande manipulation orchestrée via certains grands médias aux ordres. La vraie question c’est : à qui profite « le choc des civilisations » ? Qu’est-ce qu’on veut nous faire oublier ou de quelles injustices régionales veut-on détourner nos regards?
Ce pape nous appelle à « construire des ponts » entre les peuples, « pas des murs », pas plus en Israël qu’au Mexique ou ailleurs.
C’est un fils de migrants, il s’identifie à eux d’une certaine manière (ses grands parents et son père auraient pu périr quand le bateau Princesse Mafalda a fait naufrage au large du Brésil), et il ne veut pas au regard de l’histoire qu’on puisse reprocher à l’Eglise de n’avoir rien dit et rien fait par rapport à ce drame, la plus grande catastrophe humanitaire depuis la Seconde guerre mondiale.
« Tout immigré qui frappe à notre porte est une occasion de rencontre avec le Christ » (dit son message pour la prochaine journée mondiale du migrant et du réfugié).
Il voit loin , comme saint Augustin au moment de la chute de l’empire romain : cette société occidentale qui ne fait plus d’enfants n’a plus rien à défendre que son bien être matériel, le sang neuf qui arrive la renouvellera et l’Eglise elle-même y trouvera le moyen de rajeunir.
Cela nous dérange mais c’est ainsi.
Le cardinal Jean-Marie Lustiger disait déjà : « Ne reprochons pas aux immigrés de remplir les berceaux que nous laissons vides », et c’est pareil pour les lieux de culte.
Déjà nombreux prêtres d’Afrique remplacent en Europe les vocations manquantes…
L’islam bien entendu se développera aussi, mais le dialogue interreligieux sera au rendez-vous et la laïcité trouvera à s’assouplir (cette laïcité française en particulier qui nivelle et que le Pape n’a pas hésité à critiquer dans son livre récent avec Dominique Wolton).
« Les religions font partie de la culture », et « dans l’héritage français les Lumières pèsent trop lourd », dit-il…
Bien entendu il parle de « prudence » dans l’accueil des migrants (en fonction des places disponibles dans chaque pays, comme il l’a dit à son retour de Colombie), et il parle aussi de l’intégration nécessaire (donnant en exemple une jeune fille rentrée avec lui de Lesbos et qui étudie maintenant à Rome).
Cœur ouvert oui, intégration, mais prudence…
Il souligne aussi les responsabilités occidentales en Afrique, continent pillé, et appelle à l’aide au développement de ce continent.
N’empêche, la clé de son discours est sans doute à chercher dans son dégoût d’une société post-chrétienne, sans enfants et qui tue allègrement ceux qui pourraient naître, qui ne ressemble en rien à l’Amérique latine dans ce domaine : l’heure est venue de « passer aux barbares », pour reprendre l’expression du fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul béatifié en 1997 par saint Jean-Paul II.
Ce tournant historique, Paul et Barnabé l’ont pris à Antioche.
Pressés par l’hostilité – et même les poursuites – de juifs « furieux » de leur succès, ils vont emmener les autres à se tourner vers les « païens » de l’époque, c’est-à-dire ceux que justement les croyants convaincus considéraient comme des idolâtres, des gens impurs.
« Nous nous tournons vers les païens », ont dit Paul et Barnabé.
Aujourd’hui le Pape François a la même vision, délaissant les vieilles nations « chrétiennes » ou les baptisés ont pactisé massivement avec le consumérisme.
On se souvient encore de Saint Augustin : le bruit des armées barbares à la porte de Rome effrayait les chrétiens, qui croyaient que tout était perdu. Augustin les invita courageusement à accepter la fin d’un monde – l’empire romain – et à évangéliser le Nouveau Monde barbare venu d’ailleurs.
Les difficultés rencontrées dans la mission peuvent devenir une source d’élargissement de celle-ci ! « Nous nous tournons vers les païens ». Ce virage est toujours à renégocier.
Cette docilité à l’Esprit Saint qui mène les apôtres dans d’autres cultures est toujours à réactualiser. On se souvient plus près de nous de la célèbre formule du bienheureux Frédéric Ozanam : « passons aux barbares ! ». La révolution industrielle avait engendré des misères effroyables.
Aujourd’hui, face aux ravages de la mondialisation capitaliste, l’Eglise a choisi son camp, c’est celui des victimes de cette mondialisation (d’où elle renaîtra, au prix sans doute d’un certain nombre de martyrs et de témoins, comme le Père Jacques Hamel).
Dans son blason le Pape a une étoile a huit branches, qui représente Marie mais aussi sans doute les huit Béatitudes que l’on trouve seulement dans l’Evangile selon saint Mathieu (il aimait aller contempler à Rome le tableau du Caravage représentant l’appel de saint Matthieu dans l’église Saint Louis des Français)…
Ces Béatitudes de saint Matthieu inspirent au Pape de mettre la miséricorde au cœur de son action pastorale et de son magistère. « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde ».
L’Eglise n’est pas une douane, ni le confessionnal une salle de torture.
Face aux drames des familles déchirées par le divorce, il cherche un chemin pour que les personnes ne perdent pas le contact avec l’Eglise (c’est le sens de la refondation de l’Institut Jean-Paul II pour la famille, en ce mois de septembre).
Il fait appel à la conscience de chacun, et pour éviter à la fois le laxisme et la rigidité (qui se nourrissent l’un l’autre), il propose de partir des histoires personnelles pour trouver, dans l’accompagnement avec un prêtre, un nouvel accès possible aux sacrements.
Son mot d’ordre est l’inclusion.
« Chercher ensemble » est la méthode, pour aller plus haut, pour ne pas se décourager. Jésus a fait de même.
Le Pape François refuse le dualisme malsain, les oppositions stériles, il cherche à ouvrir des chemins de réconciliation.
Il nous propose d’avoir le regard de Marie sur les gens, un regard d’espérance, de bonté, un regard qui aime au-delà des apparences, qui ne juge pas, qui fait confiance…
Marie qui défait les nœuds préside le pontificat (et le tableau de Marie qui défait les nœuds au départ est peint en référence aux nœuds du mariage)…
Pour le Pape François, la prière est première, parce qu’elle ouvre le cœur ! C’est ce qu’il a dit à une rencontre interreligieuse.
Il récite cinq Notre Père chaque soir, un pour chaque plaie du Christ, après avoir dit au Seigneur, comme le lépreux: « Si tu le veux, tu peux me purifier ».
Il prie avec les cinq doigts aussi et nous invite à le faire pour : 1. nos proches, 2. ceux qui sont chargés d’éduquer ou d’enseigner, 3. ceux qui gouvernent, 4. les plus faibles, les malades, et les couples, 5. nous-mêmes…
Le Pape François dit que la réforme liturgique est irréversible, et il fait remonter à Pie X le début de cette réforme pour que « l’édifice liturgique apparaisse nettoyé de la crasse du temps ».
Pour lui aujourd’hui « il reste encore beaucoup à faire » en « dépassant les lectures sans fondement et superficielles, les réceptions partielles et les pratiques qui défigurent la réforme » (c’est ce qu’il a dit fin août).
La liturgie, expression de l’Eglise en prière, est « vie » insiste-t-il, c’est une source de vie et de lumière pour notre chemin de foi.
Par rapport aux traditionalistes, il souhaite le dialogue car il sait que des abus ont eu lieu (pratiques qui ont défiguré la réforme) et il veut entendre ces rebelles, eux qui ont réagi, les comprendre aussi, considérant que le rite de la célébration ne doit pas être unique (la messe en latin était prévue dans la réforme de Paul VI), et qu’il y a place pour tous dans la symphonie du saint peuple de Dieu en prière.
« Sans le cœur battant du Christ, il n’existe aucune action liturgique » : le culte liturgique n’est donc pas d’abord une doctrine à comprendre ou un rite à accomplir, il consiste à « entrer dans le mystère ». On est loin des « rubriques » cléricales rigides…
La décentralisation qui est à l’ordre du jour s’exprime aussi par le fait que les conférences épiscopales ont désormais carte blanche pour les traductions liturgiques (Motu proprio Magnum principium de septembre 2017)…
Pour le Pape François « le diable entre par les poches », et sa grand-mère lui disait que le linceul n’a pas de poches, c’est-à-dire que personne n’a derrière son cortège funèbre son déménagement…
La richesse est dans la rencontre, dans les relations.
Il dénonce le « dieu-tasca », le dieu des poches, le dieu-argent.
Pour lui le pire des péchés c’est la corruption, la « lassitude de la transcendance », et le refus de demander pardon (l’aveuglement, comme dans le tableau de l’appel de saint Mathieu à Rome, où l’on voit un collecteur d’impôts fasciné par une pile de pièces de monnaie, incapable de se rendre compte que Dieu le visite).
François nous appelle à retrouver le chemin de la confession, à nous réconcilier, pour éviter de s’habituer au mal. Il donne l’exemple lui-même en se confessant et en confessant publiquement…
Le Pape (des pauvres pécheurs) veut une Eglise pauvre, et surtout pauvre d’elle-même, humble, et non pas dominatrice, ni supérieure.
Une Eglise de la miséricorde, c’est-à-dire une Eglise qui a du cœur pour ceux qui sont dans la misère (y compris morale).
Il s’agit d’aller dans les périphéries au secours des victimes du consumérisme, comme le Bon Samaritain, sans rien demander en échange, gratuitement, par amour.
Donc il préfère le polyèdre à la sphère, car le polyèdre respecte les différences et les facettes polygonales sont à égale distance sans qu’aucune ne domine.
Une Eglise pauvre, c’est une Eglise qui est plurielle, contrainte au dialogue, qui renonce à tout régenter. Une Eglise qui travaille dans la misère humaine, à la manière d’un jardinier avec le fumier.
. Conclusion
Merci à l’éditeur, merci à tous.
Pour conclure je voudrais juste dire qu’avec le Pape François, il me semble que l’intuition de François d’Assise est entrée au cœur de l’institution ecclésiale, en cela Bergoglio est le dernier pape, le dernier empereur si vous préférez.
Une ère nouvelle s’ouvre.
Dieu n’est plus le Tout-Puissant mais le Très-Bas : il est à chercher dans l’infiniment petit et pas dans l’infiniment grand.
De lui tout jaillit comme d’une source.
« Abaisse-toi donc, fais-toi tout petit, et tu l’auras saisi », disait saint Bernard (« Humiliare et apprehendisti »).
L’humilité est le chemin de l’unité et de la fraternité universelle, comme le Pape François en témoigne.
Cette humilité, Benoît XVI en est aussi le parfait témoin, et son pontificat aura été une grande préparation, une ouverture vers le pontificat actuel et vers cette « révolution de la tendresse », cette Bergoglio-thérapie, à laquelle nous voulons participer. Tous ensemble.
Repères des textes fondamentaux du pontificat
Encyclique Lumen fidei (avec Benoît XVI, présentée en juillet 2013)
Exhortation Evangelii gaudium (24 novembre 2013)
Encyclique Laudati si’ (24 mai 2015)
Bulle d’indiction Misericordia vultus (texte publié le 18 juin 2015)
Exhortation Amoris laetitia (19 mars 2016).