“Vous êtes devenu la conscience du monde” n’a pas hésité à dire le roi de Jordanie, Abdallah II, descendant du prophète Mahomet, en accueillant François samedi après-midi au palais royal d’Amman. Fidèle à l’esprit de saint François d’Assise, ami du sultan d’Egypte au temps des croisades, le pape a répondu au souverain hachémite en saluant “l’artisan de paix” qui permet aux chrétiens arabes, pleinement citoyens jordaniens, de vivre sur leur terre, en pleine “convivance” avec leurs frères musulmans. Lors de la messe au stade d’Amman, François s’est présenté avec un bâton pastoral en bois d’olivier, symbole à la fois de la simplicité à laquelle il appelle l’Eglise entière, et de la paix qu’il est venu annoncer pendant trois jours en Terre Sainte.Le chant du muezzin retentissait au loin après son homélie en plein air, dans une ambiance très orientale. “Vous êtes le saint Jean Baptiste de notre temps” lui a lancé le patriarche latin de Jérusalem, chef de l’Eglise catholique romaine locale, à la fin de la célébration, faisant référence à son témoignage courageux et prophétique. À peine la messe terminée il est allé sur les rives du Jourdain, dialoguer avec des réfugiés du Moyen Orient, palestiniens, irakiens et syriens, victimes d’une déstabilisation régionale orchestrée depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003. “Avec son charisme il peut secouer les leaders politiques et les pousser à repenser leur vision des choses”, souligne positivement le Père Neuhaus, hébreu, jésuite, et vicaire du patriarcat latin. “Cependant les espérances des uns nourrissent hélas les peurs des autres”, constate-t-il aussi… “Nous regrettons terriblement que dimanche les services de sécurité empêchent Francois de rencontrer les chrétiens palestiniens à Jérusalem, et nous attendons des gestes forts de sa part, par exemple qu’il aille sonner à la porte d’une famille chrétienne”, ajoute un autre prêtre, proche du patriarche latin. Ce dimanche après-midi en effet la ville sainte sera déserte au moment de l’arrivée du pape, venu spécialement pour rencontrer le patriarche orthodoxe de Constantinople au Saint Sépulcre, dans une dynamique plus large de réconciliation entre Orient et Occident. La crispation identitaire est à son comble et les tensions sont extrêmes, les juifs ultras du mouvement “Le prix à payer” étant depuis plusieurs semaines très agressifs à l’égard des chrétiens d’Israël et de Palestine. “Jésus est une ordure” écrivent-ils notamment sur des édifices religieux chrétiens, soutenus par des lobbies qui instrumentalisent un certain islamisme – sans rapport avec l’islam – afin d’empêcher la création d’un État palestinien avec Jérusalem Est comme capitale. Au cœur de cette poudrière le pape a choisi de circuler dans une voiture “normale”, refusant la papamobile blindée. Accompagné pour ce voyage d’un rabbin et d’un professeur musulman, deux de ses amis argentins, François maintient le cap de son combat pour “la paix qui suppose la justice”, selon ce qu’écrivait le prophète Isaïe. À Bethléem ce dimanche matin il s’entretiendra avec des familles palestiniennes chassées de leurs terres en raison de la construction du Mur de séparation censé protéger les colons israéliens. Son court périple en Terre Sainte est prévu pour s’achever lundi, par une messe exceptionnelle au Cénacle, la première église des apôtres revendiquée par les extrémistes juifs comme le cénotaphe du roi David. François aura du juste avant se rendre au Mont Herzl, auprès de la tombe du fondateur du sionisme, comme l’y aura obligé un nouveau protocole imposé depuis trois ans, étape savamment médiatisée par ceux qui refusent à tout prix le processus de paix. Le “pape rebelle” saura sans doute encore surprendre ses hôtes d’ici la fin de cette visite historique.