Le cri d’espérance de l’Eglise

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« Là où a surabondé la destruction que puisse aujourd’hui surabonder l’espérance »
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Nous avons découvert, pendant le Synode sur l’Amazonie à Rome, un « pacte des catacombes » d’une soixantaine de pères conciliaires, datant de 1965, parrainé par Dom Helder Camara, dont personne ou presque n’avait entendu parler. Des pères synodaux l’ont renouvelé récemment, afin de poursuivre la réalisation d’une Eglise pauvre pour les pauvres.  

Pour bien comprendre le Synode, il faut aussi se souvenir que le cardinal Claudio Hummes, franciscain, en fut le rapporteur général et maître d’œuvre. Archevêque émérite de São Paulo âgé de 85 ans maintenant, c’est lui qui avait suggéré au cardinal Jorje Mario Bergoglio à peine élu le nom de François, lors du conclave de 2013, en lui disant avec insistance : « N’oublie pas les pauvres ». « François n’est pas un nom. C’est un projet d’Église, pauvre, simple, évangélique », écrira ensuite Leonardo Boff, l’un des chefs de file de la théologie de la libération, ancien religieux franciscain qui a quitté le sacerdoce.

Après six ans de pontificat sur cette ligne réformatrice, la gestion des finances du Vatican est pourtant encore mise en cause dans un récent livre intitulé « Le Jugement dernier », où l’auteur dénonce des dysfonctionnements très graves qui sabotent l’œuvre en cours. C’est dans le contexte d’une réforme financière apparemment bloquée que le Synode s’est plus que jamais voulu l’expression de cette « Eglise pauvre pour les pauvres », tant désirée par le Pape François. Il voit loin et persévère. « Durant ce Synode, nous avons eu la grâce d’écouter les voix des pauvres et de réfléchir sur la précarité de leurs vies, menacées par des modèles de développement prédateurs », a-t-il commenté lors de la messe de clôture de cette assemblée, dimanche 27 octobre. « Beaucoup nous ont témoigné qu’il est possible de regarder la réalité différemment, en l’accueillant à mains ouvertes comme un don, en considérant la création non pas comme un moyen à exploiter, mais comme une maison à protéger, en ayant confiance en Dieu », ajouta-t-il, nous demandant à tous de prier pour recevoir la grâce de savoir écouter le cri des pauvres. « Le cri des pauvres, c’est le cri de l’espérance de l’Église. En faisant nôtre leur cri, notre prière aussi, nous en sommes certains, traversera les nuages », concluait-il, après la publication, la veille, du document final voté par les pères synodaux.

L’Amazonie s’étend sur plusieurs pays d’Amérique latine, avec 7,8 millions de kilomètres carrés et 33 millions d’habitants, dont 2,5 millions d’indigènes formant une mosaïque de 215 peuples et 188 langues. Cette complexité a suscité une floraison de propositions dans ce document assez exceptionnel au regard de l’histoire de l’Eglise. Adoptées avec plus de deux-tiers des voix, elles appellent à une « conversion » à la fois pastorale, culturelle, sociale et écologique, ouvrant de nouveaux chemins en particulier concernant le rôle des femmes et de nouveaux ministères dans l’Eglise, surtout pour les régions où l’accès à l’Eucharistie est difficile.

Ainsi, par 128 voix contre 41, les votants ont donné leur feu vert à l’ordination sacerdotale d’hommes mariés préalablement diacres (paragraphe 111 du document). Une innovation spécifique pour l’Amazonie qui risque de susciter bien des revendications dans les autres Eglises locales, en Europe surtout – continent de plus en plus fermé à la transcendance – tandis que les prêtres célibataires luttent au quotidien pour vivre de façon cohérente et féconde leur engagement prophétique.

Le Saint-Père publiera prochainement une exhortation apostolique sur la base de ce document synodal, mais déjà, dans son discours final, il a annoncé vouloir rouvrir aussi le dossier du diaconat féminin, vu au-delà de tout fonctionnalisme, mettant au passage en garde une certaine « élite » parmi les catholiques opposés aux réformes envisagées, citant le poète Charles Péguy : « Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être du monde, ils croient qu’ils sont de Dieu… Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu ». François répondait sans doute à ces catholiques en colère qui ont applaudi au vol des statuettes de Pachamama, la déesse Terre des Indiens, idoles jetées dans le Tibre par un commando vengeur après avoir été exposées dans une église proche de la basilique Saint-Pierre…

Il est certain que l’événement de ce Synode – porteur de semences qui vont se développer -marque actuellement une terrible division interne dans l’Eglise et nous en souffrons beaucoup.

Tandis que nous vivons un changement d’époque, le Pape nous invite à scruter l’horizon avec le regard de Magellan, ce navigateur portugais dont le navire effectua le premier tour du monde, un quart de siècle après le projet de Christophe Colomb. Il cherche à ouvrir de nouvelles voies, notamment après le torrent de boue constitué par les scandales de la pédophilie dans le clergé, traumatisme qui explique probablement bien des choses peut-être difficiles à comprendre et même à accepter.

L’heure est grave pour l’Eglise catholique, comme cela se manifeste au Brésil, premier pays catholique du monde qui sera à majorité évangélique d’ici une dizaine d’années. La concurrence galopante des Eglises protestantes évangéliques ne vient-elle pas du fait que celles-ci parlent de Jésus et confessent la divinité du Christ, entraînant leurs fidèles à prier au lieu de les ennuyer avec des discours sociopolitiques ? L’écueil de la théologie de la libération prônée par des catholiques bien intentionnés a été de favoriser les projets sociaux au détriment du témoignage de foi, ce qui a provoqué un désastre spirituel. Une évangélisation intégrale, kérygmatique, ne serait-elle pas de nature à rendre à l’Eglise catholique à la fois vocations et ferveur ?

Coauteur de « l’Instrumentum laboris » qui servit de base au document synodal, l’évêque brésilien en retraite Erwin Kräutler, né en Autriche, influencé par le théologien allemand Paulo Suess émigré au Brésil, n’a jamais caché sa volonté d’ordonner non seulement des hommes mariés mais également des femmes. C’est un point de vue, mais rapatrier les centaines de prêtres originaires des pays de la région amazonienne qui vivent aux Etats Unis au lieu de servir leur peuple, ne serait-elle pas une première urgence ?

Enfin, dans un monde fait pour l’infini qui souffre d’asphyxie spirituelle, n’est-il pas essentiel de valoriser le célibat sacerdotal, don de soi, transcendant, contestation radicale d’une société close sur elle-même, qui s’inquiète plus pour sa santé que pour son salut ? Le rôle de l’Eglise n’est-il pas d’abord de parler de l’eschatologie et des fins dernières en vue de “l’autre monde” auquel nous sommes promis? Pour ma part à la triste Greta qui ronchonne en permanence, je préfère la joyeuse Bernadette qui embrasse le Crucifié et témoigne d’une invincible espérance.

Ceci dit très librement, nous n’avons d’autre alternative que de prier le Saint Esprit pour que le Saint-Père sache prendre les décisions justes, en cohérence avec la tradition ecclésiale bimillénaire qui est certainement source de grâce pour le futur. Nous lui serons fidèles, absolument.

1 Comment

  1. Cousin sylvaine dit :

    Merci de votre analyse.
    Bien fraternellement
    Sylvaine

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