À l’écoute de frère Christian de Tibhirine, renaître durant cet octave de Pâques

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Dans l’hedomadaire La Vie, au cours du Carême 2021, nous avons médité avec chacun des bienheureux martyrs de l’Atlas algérien. Ces sept religieux de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (Trappistes), Christophe, Paul, Célestin, Bruno, Michel, Luc et Christian, sont des modèles sur le chemin de l’amitié et de la fraternité universelle, en raison du parcours spirituel qu’ils ont accompli aux côtés de leurs voisins musulmans du petit village de Tibhirine, situé à 1000 mètres d’altitude, à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger. Fidèles au peuple auprès duquel ils vivaient, refusant l’injonction des autorités de quitter les lieux en pleine guerre civile, ils ont été enlevés par un mystérieux groupe armé dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Seules leurs têtes furent retrouvées 56 jours plus tard, sans qu’à ce jour les ravisseurs – étrangers à la région selon le gardien musulman du monastère – aient pu être objectivement identifiés. Leur « martyre d’amour » a été très largement popularisé par l’excellent long métrage de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, Grand Prix du festival de Cannes en 2010, qui obtint le César du meilleur film de l’année. Avec douze autres religieux et religieuses, martyrs en Algérie, ils ont été béatifiés à Oran le 8 décembre 2018. Ayant bien connu Tibhirine durant ma jeunesse algérienne, je vous ai guidé aux « racines priantes » des martyrs de l’Atlas, pour nous préparer, semaine après semaine, à vivre en plénitude le mystère de la Résurrection. Durant l’octave de Pâques, mettons nous à l’écoute de frère Christian de Chergé, le prieur de Tibhirine.  

« De naissance en naissance, nous arriverons bien à mettre au monde l’enfant de Dieu que nous sommes »

Le succès démocratique du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des législatives avait provoqué la panique du pouvoir en place à Alger et, en janvier 1992, l’interruption du processus électoral. Des groupes armés s’étaient alors formés partout en Algérie, guidés par des djihadistes revenus auréolés de la « guerre sainte » contre l’Armée rouge en Afghanistan. Tandis qu’au fil des mois le deuil s’installait, avec de terribles attentats et des représailles sanguinaires, les moines de Tibhirine refusaient de prendre parti entre leurs « frères de la montagne », les insurgés, et les « frères de la plaine », l’armée algérienne.

Frère Christian, le prieur du monastère qui, avec six autres trappistes, sera enlevé et tué – à l’âge de 59 ans – avait entraîné sa communauté sur le chemin de crête d’une non-violence active. Il influençait aussi les nombreux hôtes accueillis, dans une fidélité indéfectible au peuple algérien. « Je sais les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes », soulignait-il dans son testament spirituel – chef d’œuvre de la littérature religieuse – signé le 1er décembre 1994, anniversaire de la mort du bienheureux Charles de Foucauld. « L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme », ajoutait le prieur, incarnant le respect des croyants musulmans appris aux genoux de sa mère, sa « toute première Église ».

Christian de Chergé avait passé une partie de sa petite enfance en Algérie où son père servit comme chef d’escadron. Devenu lui aussi officier, pendant la guerre d’indépendance algérienne, il se lia d’amitié avec un garde champêtre musulman, Mohammed, qui donna sa vie pour lui éviter d’être assassiné par les « moudjahidines » du Front de libération nationale (FLN). Cet événement nourrit sa volonté de retourner en Algérie, comme témoin de la fraternité universelle. Entré à l’abbaye d’Aiguebelle en 1969, frère Christian rejoint Tibhirine en 1971. Pour tenir proches au quotidien musulmans et chrétiens, il eut l’intuition de créer en 1979 un groupe de rencontre interreligieux, Ribât-el-Salâm, Le Lien de la paix.

Elu prieur en 1984, réélu en 1990, il révéla sa dimension de géant de la sainteté durant la « décennie noire » de la guerre civile, marquée par l’ultimatum du Groupe islamique armé (GIA), en octobre 1993, donnant trois mois aux étrangers pour quitter le sol algérien. La même année, lorsqu’un commando dirigé par l’émir local du GIA entra dans le monastère le soir de Noël, le courageux prieur exposa en arabe que la communauté préparait « la fête de la naissance du Prince de la paix » ; les combattants désarçonnés s’excusèrent et repartirent. « Il a fallu nous laisser désarmer et renoncer à cette attitude de violence qui aurait été de réagir à une provocation par un durcissement », expliqua-t-il, encourageant ses frères et ses amis à se situer dans cette perspective pour traverser la crise en découvrant que « ce à quoi Jésus nous invite, c’est de naître ».

Appelés nous aussi à renaître spirituellement durant le triduum pascal, écoutons intérieurement le bienheureux frère Christian afin qu’il accompagne notre traversée personnelle de son intercession : « Notre identité d’homme va de commencement en commencement… Et de naissance en naissance, nous arriverons bien à mettre au monde l’enfant de Dieu que nous sommes ; car l’incarnation c’est de laisser la réalité filiale de Jésus s’incarner dans notre humanité » (1).

(1) Christian de Chergé, L’invincible espérance (Bayard).

Lire aussi notre livre La vie et le message des sept moines de Tibhrine (éditions Nouvelle Cité), écrit en collaboration avec le Père Thomas Georgeon, postulateur de la cause de béatification de ces martyrs et nouvel abbé de la Trappe. 

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