L’exemple des martyrs

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Ce 21 mai nous faisons mémoire de la mort des sept moines de Tibhirine, il y a dix-neuf ans. Entretien avec le Père Thomas Georgeon, moine trappiste, Postulateur de la cause de béatification des martyrs d’Algérie.

– Au regard de l’actualité dramatique au Moyen-Orient, quel est le message des dix-neuf martyrs d’Algérie dont vous avez en charge la cause de béatification?

– Il est difficile de faire un parallèle entre la situation qui entraina l’assassinat des dix-neuf Serviteurs de Dieu en Algérie entre 1994 et 1996 et l’actualité dramatique au Moyen Orient. Le contexte politico-religieux n’est pas le même et il faut éviter les raccourcis trop faciles. La présence des chrétiens en Syrie, en Irak, en Égypte remonte au temps de la naissance du Christianisme et elle est ininterrompue. Le message des dix-neuf religieux et religieuses, membres d’une Église « hôte », est limpide : il faut approfondir le sens de la présence de l’Église, c’est-à-dire démontrer qu’une coexistence fraternelle et respectueuse est possible entre les différentes religions. En monde musulman, c’est l’Évangile de la Paix qui est annoncé et témoigné. Mais nous n’avons pas prise sur l’autre qui peut rester sourd et aveugle face à un tel témoignage, comme c’est le cas actuellement pour les communautés chrétiennes du Moyen-Orient martyrisées. Ce ne fut pas le cas en Algérie où de nombreux musulmans portent une certaine vénération aux dix-neuf présumés martyrs. – S’agissant plus spécifiquement des sept moines de Tibhirine, en quoi leur exemple peut-il nous aider à résister à l’islamophobie et son instrumentalisation mondiale?

– C’est une question « glissante »… parce que la violence actuelle est telle, l’ignorance de l’autre est telle, le communautarisme est tel que tout porterait à croire que le salut vient par l’islamophobie. Et, d’un autre côté, il ne s’agit pas de tomber dans un angélisme ingénu. Les frères de Tibhirine ont fait plusieurs choix dans leur cheminement personnel et communautaire : le choix de vivre la vie monastique en monde musulman (après l’indépendance de l’Algérie et le départ des chrétiens), le choix de ne pas se laisser instrumentaliser par les parties opposées durant la guerre des années 1990, le choix de rester fidèles au Christ, à leur appel, à leur enracinement, à leurs voisins qui n’avaient, eux, pas le choix de rester ou de partir. Le choix enfin de vivre l’inter-culturalité et l’inter-religiosité concrètement. En fait, c’est l’exemple d’hommes qui n’ont jamais songé à se replier sur eux-mêmes. Quand on sait le poids actuel du repli identitaire ou communautaire qui guette en Occident comme en Orient, on perçoit mieux la force de leur exemple.

– Le dialogue interreligieux et la culture de la rencontre forment le seul chemin que l’Eglise catholique propose en réponse au fanatisme et à la violence, au prix du martyre. Pourquoi et de quel droit peut-on dire que la mort des témoins de la foi est semence de cette civilisation de l’amour annoncée par la voix des derniers papes?

– Il y a eu, dans l’Église, un effort soutenu pour promouvoir le dialogue islamo-chrétien, et ce, depuis le Concile Vatican II. La difficulté, me semble-t-il, est qu’on ne peut pas parler d’un islam mais de plusieurs islams et, de ce fait, il est très difficile de tirer un bilan de ce dialogue. Nous assistons, impuissants, à une montée du fanatisme et de la violence anti-chrétienne. L’Église n’est pas dans une logique « expansionniste » et « belliqueuse », elle prêche l’Évangile. Les témoins de la foi qui payent de leur vie leur fidélité au Christ sont des semeurs « lucides », ils savent qu’ils n’ont pas encore les mots justes pour le dialogue et développent une spiritualité du « vivre ensemble » en créant des espaces de rencontre, en affrontant des défis communs comme aimait le dire Monseigneur Pierre Claverie. Ce « vivre ensemble » est, selon moi, une traduction moderne du verbe demeurer que l’on trouve fréquemment dans l’Évangile selon Saint Jean. « Vivre ensemble » regroupe un sens physique et un sens spirituel qui est semence de cette civilisation de l’amour : une présence, une manifestation du Christ, une communion.

Propos recueillis par François Vayne

Document à écouter pour aller plus loin : https://vimeo.com/55017905

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