Le pouvoir des signes

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« Fake news » au Vatican ? Ces derniers jours un vif débat s’est développé dans les médias autour d’une lettre du pape émérite, adressée à l’actuel préfet du Secrétariat pour la communication et rendue publique à l’occasion du cinquième anniversaire du pontificat de François. Lors de la présentation d’une collection consacrée à la théologie du pape Bergoglio, éditée par la Librairie vaticane, l’utilisation partielle de ce courrier a été vue par des observateurs comme une manipulation dans le but supposé de cacher une opposition profonde entre Benoît XVI et son successeur. Il s’agissait surtout de mettre en valeur les passages les plus significatifs, soulignant la continuité entre les deux pontificats. « Les petits volumes montrent à juste titre que le pape François est un homme avec une profonde formation philosophique et théologique et aident à voir la continuité interne entre les deux pontificats, malgré toutes les différences de style et de tempérament », écrit pour l’essentiel le pape émérite. Cependant, devant l’ampleur des polémiques, la Secrétariat de la communication a diffusé samedi 17 mars l’intégralité de la lettre, où Benoît XVI exprime son étonnement devant le choix d’un des auteurs de la collection, le professeur Hünermann, qui s’était notoirement dressé contre son magistère pontifical après avoir été virulent à l’égard des enseignements de saint Jean-Paul II.

Une question se pose certainement : comment est-il possible qu’une tribune officielle ait été mise à la disposition d’un théologien responsable d’initiatives anti-papales? Il est fort dommageable d’avoir ainsi donné du grain à moudre aux diviseurs professionnels actuellement à la manœuvre pour mettre le Pape en difficulté. Le moindre différent est amplifié, la moindre maladresse de ses collaborateurs est soulignée, sans concession. Après un quinquennat, l’emballement et le formatage médiatique donnent des titres à sensation, à l’heure du premier « bilan » de François, semant diaboliquement le doute sur la réforme en cours.

Comme nous, les hommes ou les femmes qui entourent l’actuel successeur de Pierre ont leurs défauts, lui-même se reconnaît pécheur, pour autant le cap reste le bon. Il n’est jamais trop tard pour des ajustements de gouvernement et d’heureuses nominations là où cela s’avère de toute urgence nécessaire.

Nous ne devons pas nous laisser influencer par les critiques incessantes des vendeurs de scoops mais prendre notre part,  spirituellement, dans le processus de retour à l’Evangile initié par François depuis son élection surprise, le 13 mars 2013. Au lieu d’aboyer en regardant passer la caravane brinquebalante du renouveau et ses marcheurs parfois hésitants ou harassés, la mission des baptisés que nous sommes n’est-elle pas de prier afin de soutenir l’œuvre qui progresse au cœur de l’Eglise ? Avec François les signes du pouvoir sont abandonnés, grâce à Dieu, tandis que le pouvoir des signes se manifeste universellement, n’est-ce pas un véritable motif de joie à communiquer?

Trois de ces signes au grand pouvoir sont les groupes de prière, le soin des malades, et le recours à la confession fréquente, source de guérison intérieure. Le Saint-Père vient à nouveau de les mettre en lumière samedi 17 mars, allant sur les pas de Francesco Forgione, saint Padre Pio, à Pietrelcina, où le célèbre frère capucin reçut pour la première fois les stigmates il  y a cent ans, et à San Giovanni Rotondo, où il fonda un hôpital doté des techniques médicales de pointe.

Toujours en mouvement dans une dynamique de dépouillement et de service, le Pape nous a encouragés à « devenir des instruments de l’amour de Jésus envers les plus faibles », en suivant l’exemple de Padre Pio. L’humble capucin résistait aux assauts du démon en s’abandonnant dans les bras de Jésus, une immersion dans la prière que François nous propose d’expérimenter aussi, sans doute comme il le fait lui-même. « Priez beaucoup ; priez sans cesse, sans jamais vous lasser », disait Padre Pio à ses héritiers spirituels, les exhortant à être des « réserves d’amour » pour les autres.

Devant une foule de 30 000 pèlerins, le Pape nous a montré que la prière de Jésus est d’abord louange gratuite au Père céleste – « Je te loue… » (Matthieu 11, 25) – nécessitant la petitesse car « quand on est plein de soi il n’y a pas de place pour Dieu », ajouta-t-il en substance. « Beaucoup sont disposés à mettre des Ça me plaît sur la page des grands saints, mais qui fait comme eux ? » demanda-t-il, ajoutant de manière imagée « la vie chrétienne n’est pas un Ça me plaît, elle est un Je me donne ». « La vie chrétienne sent bon quand elle est offerte, elle devient insipide quand elle est vécue pour soi-même », conclua-t-il, nous proposant de cultiver chaque jour la prière, la petitesse et la sagesse de vie qui grandit dans la mesure où nous accueillons la miséricorde de Dieu.

L’évêque en charge du sanctuaire de San Giovanni Rotondo, atteint d’un cancer, fit acclamer François avec ces mots, répétés par la foule, « Père Saint, nous t’aimons », un cri populaire auquel je m’associe pleinement, demandant à la Vierge Marie de garder notre Pape dans son manteau et de lui donner la victoire sur tous ses ennemis. Oui, Père Saint,  nous t’aimons!

 

1 Comment

  1. Cyprien Viet dit :

    Reprise ici de mon post Facebook de dimanche après-midi:

    Je viens de tenter de faire une traduction complète de cette fameuse lettre de Benoît XVI datée du 7 février et rendue publique hier soir. Ce message, qui n’a pas eu beaucoup d’écho encore dans les médias francophones, constitue pourtant l’une de ses paroles publiques les plus importantes depuis sa renonciation au pontificat, en février 2013.

    Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’affaire, il s’agit donc d’une lettre du Pape émérite au préfet du Secrétariat pour la Communication du Saint-Siège, Mgr Dario Edoardo Viganò, qui lui avait demandé de préfacer un recueil théologique consacré au Pape François, ce que Benoît XVI a refusé de faire, avec politesse mais avec aussi une certaine fermeté.

    J’en tire plusieurs enseignements intéressants :

    Sur le fond, tout d’abord, le Pape émérite y confirme sa loyauté inconditionnelle au Pape François, malgré toutes leurs évidentes différences de style dans l’exercice du ministère pontifical. Juste avant le conclave, Benoît XVI avait promis fidélité et obéissance à son successeur, et il a toujours tenu parole, limitant au maximum ses interventions publiques pour ne pas interférer sur le pontificat de François.

    Mais ce que révèle aussi cette lettre, à travers le cas du professeur Hünermann, c’est que les partisans d’une herméneutique de la rupture, autrement dit ceux qui projettent sur le Pape François l’espoir d’un agenda moderniste en rupture avec l’héritage des années Wojtyla-Ratzinger, sont bien présents et actifs au cœur des débats qui agitent le Vatican.

    Paradoxalement, certains anti-papistes sont devenus plus papistes que le Pape ! Et Benoît XVI a raison de relever l’incohérence de leur présence dans ce recueil théologique édité par la LEV, la “Libreria Editrice Vaticana”, et donc doté d’un caractère officiel.

    Personnellement, je n’aime pas la vision d’un pontificat qui viendrait annuler les travaux et efforts amorcés durant le précédent. Chaque Pape pose des jalons spirituels et intellectuels passionnants à explorer, avec des axes évidemment différents selon leur personnalité et leur lecture des signes des temps, mais les pontificats successifs doivent s’enrichir mutuellement.

    À la vision un peu nihiliste de certains théologiens arc-boutés sur des critères déconstructivistes très “post-68”, je préfère l’approche poétique d’un Jean d’Ormesson qui m’avait confié voir dans la succession des trois Papes récents une continuité dans l’articulation des trois vertus théologales : l’espérance avec Jean-Paul II, la foi avec Benoît XVI, et la charité avec François.

    Enfin, autre remarque, sur la forme : la communication confuse et alambiquée autour de cette lettre du Pape émérite (présentée et comprise d’abord comme un message de Benoît XVI pour les cinq ans du pontificat de François, et comme un soutien à ce recueil théologique, ce qui n’est pas vraiment la réalité) montre l’urgence d’une réforme des médias du Saint-Siège, pour qu’ils puissent se mettre au service de la Vérité, au service de la voix prophétique des Papes qui sont défenseurs de la Paix et de la Vie, y compris si le mainstream ambiant s’y oppose. Cet enjeu-là est autrement plus exigeant et passionnant que l’ébauche approximative d’un “storytelling” qui vise à faire du Pape un simple produit marketing accrocheur…

    Voici donc ma traduction de la lettre de Benoît XVI. N’étant ni théologien ni parfaitement bilingue, je vous demande de me pardonner si j’ai fait quelques erreurs en traduisant spontanément ce texte :

    “Très révérend Monseigneur,

    Merci beaucoup pour votre lettre courtoise du 12 janvier et pour le don conjoint des 11 petits volumes supervisés par Roberto Repole. J’applaudis cette initiative qui veut s’opposer et réagir au préjugé idiot selon lequel le Pape François serait seulement un homme pratique, privé d’une formation philosophique et théologique particulière, alors que moi je serais seulement un théoricien de la théologie qui n’aurait pas compris grand-chose de la vie concrète d’un chrétien aujourd’hui. Les petits volumes montrent, avec raison, que le Pape François est un homme d’une profonde formation philosophique et théologique et aident donc à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, même avec toutes les différences de style et de tempérament.

    Toutefois, je ne me sens pas en mesure d’écrire sur ceux-ci une “brève et dense page théologique” (ce que Mgr Viganò lui demandait, ndlr). Durant toute ma vie, il a toujours été clair que j’aurais écrit et que je me serais exprimé seulement sur des livres que j’avais aussi vraiment lu. Malheureusement, aussi pour des raisons physiques, je ne suis pas en mesure de lire les 11 petits volumes dans un futur proche, d’autant plus que j’ai déjà pris d’autres engagements.

    Seulement à la marge, je voudrais noter ma surprise pour le fait que parmi les auteurs figure aussi le professeur Hünermann, qui durant mon pontificat s’est mis en lumière pour avoir mené des initiatives anti-papales. Il a participé d’une façon significative à la “Kölner Erklarung”, qui en relation avec l’encyclique “Veritatis Splendor” (encyclique de Jean-Paul II parue en 1993, ndlr), a attaqué d’une façon virulente l’autorité magistérielle du Pape, spécialement sur les questions de théologie morale. Aussi la “Europäische Theologengesellschaft”, qu’il a fondée, fut pensée par lui initialement comme une organisation en opposition au magistère papal. Par la suite, la sensibilité ecclésiale (l’expression “sentire ecclesiale” en italien, dans un sens théologique, pourrait se traduire aussi comme “sens de l’Église”, “attachement à l’Église” ou “fidélité à l’Église”, ndlr) de nombreux théologiens a empêché cette orientation, en faisant de cette organisation un instrument normal de rencontre entre théologiens.

    Je suis certain que vous aurez de la compréhension pour ce refus et je vous salue cordialement.

    Bien à vous,

    Benoît XVI”

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